Libre-échange transatlantiqueVERS LA DICTATURE ÉCONOMIQUE?
Vers la dictature économique?
22 Avril 2014
Nous ouvrons dans GLOBAL le dossier du
Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement appelé aussi
Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) qui se négocie dans la foulée de l’
Accord économique et commercial global (AECG) signé par le président de la Commission européenne le 18 octobre 2013 avec le Canada et en attente de ratification par le Parlement. C’est le fruit d’une longue enquête - non close - sur une énorme négociation qui nous concerne tous, au même titre que plus de 858 millions de personnes des deux côtés de l’Atlantique. Enorme parce qu’elle si elle aboutit, elle créera le plus grand marché unique du monde. Enorme parce que les principes et normes adoptées s’imposeront à nous ... Et au reste du monde.
Démocratie bafouée
Au XXI
ème siècle, 225 ans après la Révolution et l’expérience de plusieurs Républiques, une telle ambition exige d’abord que le mandat des négociateurs soit débattu et définit par les Parlements européens et nationaux s’appuyant sur un large débat dans la société civile. Il en découle ensuite une exigence de transparence totale des négociations parce que l’on sait d’expérience le poids des lobbies privés sur ce type de traité, on connait la faiblesse intellectuelle, et parfois morale, de nos élites politiques incapables de penser le monde depuis la chute du Mur, et l’on subit depuis trop longtemps la corruption idéologique de la caste des économistes. Or, ces deux traités sont négociés dans le plus grand secret ! Pourquoi ? C’est la question essentielle. Pourquoi se cacher pour négocier si tout est honnête et dans l’esprit du bien commun ? Pourquoi dissimuler le contenu de la négociation, y compris aux députés européens ? Pourquoi bafouer, en Amérique et en Europe, les règles les plus élémentaires de la démocratie ? Finalement, pourquoi ce traité ?
Une offensive préparée de longue date
L’enquête que vous allez découvrir retrace brièvement la genèse de ce projet de traité. Elle nous renvoie aux lendemains de la chute du Mur de Berlin. L’effondrement du bloc communiste et de ses satellites inaugure une expansion à grande vitesse des échanges commerciaux. Les Etats-Unis qui ont soutenu la naissance de l’Union européenne par nécessité géopolitique face à la menace soviétique, facilitent dès les années 90 la libération des échanges convenant à leurs multinationales, notamment à travers les accords multilatéraux du
GATTpuis de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais l’Amérique grimacent devant la montée en puissance économique de l’Europe, notamment celle de sa monnaie qui menace aujourd'hui la suprématie du dollar dans les échanges commerciaux. L’Union européenne, avec son marché unique de plus en plus réglé par des règles sociales, sanitaires, environnementales devient un modèle mondial notamment pour les BRICS
(
Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) avec lesquels l’UE entretient et accroit de bonnes relations. Cette évolution contrarie les firmes devenues transnationales. Contrairement à l’attente de ces dernières, l’OMC est bloquée par la politique, par le blocage de gouvernements soucieux des intérêts de leurs peuples. Pour gouverner le monde selon leurs règles (en gros l’abaissement maximum des coûts de production et de circulation des marchandises et des services), ces firmes ont lancé une offensive d’accords bilatéraux qui contournent l’OMC et pourraient aboutir à terme à sa disparition. Dans cet esprit, deux organisations de lobbying industriel, commercial et financier ont été créées pour amener l’Europe à s’aligner sur le droit des affaires états-unien : en 1992, le
Transatlantic Policy Network (TPN) et dès 1983,
l’European Round Table of Industrialists(ERT). Rencontres, rapports, financement de think tank, depuis leur création ces organisations distillent auprès des décideurs politiques et économiques et des fonctionnaires européens une idéologie libre-échangiste dans la plus pure orthodoxie libérale du XVIII
èmesiècle, drapée dans une langue technocratique imbibée « d’économie du bien-être ». Celle-là même que biberonnent depuis plus de vingt ans les fonctionnaires européens.
Le mandat donné au négociateur européen est dans cet esprit, sans la moindre prise en considération des alertes globales, terrestres, qui mobilisent déjà les travaux du Parlement européen et de l’ONU: alertes d’épuisement des ressources naturelles, de pollutions multiples, d’extinction rapide de la biodiversité, de réchauffement climatique, de migrations des populations, de faim de près d’un milliard de personnes.La plus grande bataille de l’Histoire
On assiste à une véritable bataille opposant deux conceptions des échanges, deux cultures. D’un côté l’Europe, première puissance économique mondiale, dont la force politique est faible mais l’espace politique marqué par des cultures citoyennes nationales fortes ; la loi y incarne une idée collective du bien commun ou pour le moins les rapports de force qui le définissent ; l’état et le gouvernement sont des leviers d’amélioration et de protection de la société ; comme les autres activités humaines, le commerce y est pensé sous le contrôle de la politique. De l’autre, les Etats-Unis, première puissance militaire de la planète, où la loi protège avant tout les intérêts privés et les possibilités pour chaque individu de développer une stratégie d’enrichissement matériel et financier ; l’état et le gouvernement sont les garants de l’exercice « non faussé » de la concurrence entre entreprises et des intérêts communautaires ; le monde des affaires guide et contrôle le pouvoir politique.Cette négociation du TTIP est le champ de bataille de ces deux conceptions du monde, l’une d’émancipation des peuples et de solidarité internationale, l’autre de contrôle de plus en plus hégémonique des échanges et des populations.
Plus d’Europe !
Considérer ce traité comme une opération de l’Amérique dévorant l’Europe (ou l’inverse) serait une erreur. Il ne faut pas se méprendre, nous avons affaire à une stratégie des entreprises transnationales pour contrôler les états-nation. Le TTIP est une négociation entre firmes avec pour témoin, arbitre et exécuteur contractuel les états…En France, atteint d’une myopie politique peu commune, le gouvernement n’a vu dans le TTIP qu’une menace contre « l’ exception culturelle » et en a fait un cheval de bataille qui dissimule l’ampleur de l’offensive comme l’arbre cache la forêt.
Et ignore – ou feint d’ignorer – la réalité de la menace qui pèse sur notre mode de vie.Le secret de la négociation affirme avec arrogance un refus du contrôle indépendant du Parlement européen et de la société civile européenne. C’est un reniement de la légalité européenne, un abandon de la souveraineté intérieure européenne au pouvoir des firmes transnationales (c’est déjà le cas en Amérique du nord). C’est une prise de pouvoir intercontinentale selon les règles des entreprises, au-dessus des lois des États ou groupes d’États comme l’UE. Nous sommes à l’aube d’une déconstruction de l’Europe et d’une mise à mort de la démocratie.La crise ukrainienne, dans laquelle les Etats-Unis ont attisé les feux de la révolte, pourrait les aider à précipiter la conclusion du TTIP. Comment stopper cette destruction de l’Europe ? L’arme de destruction du traité est la transparence et le débat public. C’est aux
sociétés civiles européennes de les imposer. La campagne des élections européennes du 25 mai prochain est l
a chance historique d’interpeller candidats et élus de tous les partis démocratiques sur leur intentions de s’opposer au TTIP. L’occasion aussi de mobiliser les Européens et leurs organisations citoyennes sur la définition de leur Europe. Son affirmation et sa défense accrues.