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Tom à la ferme, de Xavier Dolan

Par La Nuit Du Blogueur @NuitduBlogueur

Note : 3,5/5 

Loin de Montréal, loin de la ville-monde dans laquelle son homosexualité est acceptée, Tom se rend dans la ferme où a grandi son compagnon, Guillaume, pour son enterrement. Francis, le frère de Guillaume, a caché son orientation sexuelle à Agathe, la mère, qui croit que son fil était hétéro. Il impose à Tom, par la menace, de faire semblant de n’être qu’un bon ami de son fils. Entre les deux naîtra une relation ambiguë entre attirance et répulsion.

© Clara Palardy

© Clara Palardy

Loin de Montréal, loin de la ville-monde, Xavier Dolan trouve dans la ferme isolée du film un souffle nouveau en s’éloignant de la frénésie post-adolescente pop et clipesque, souvent agaçante, de ses précédents films. En signant un véritable thriller psychologique, le « jeune prodige canadien » a grandi et gagné en sobriété, pour le plus grand plaisir du spectateur. Même si le film est parfois un peu plombé par des effets arty qui jurent avec la simplicité efficace de la mise en scène et du récit, il est indéniable que Tom à la ferme est une œuvre forte, à la violence latente âpre et prenante qui utilise parfaitement, et très efficacement, les codes de la mise en scène du genre.

Soit un lieu isolé semblant ouvert vers l’extérieur mais dans lequel Tom s’enferme, soit une relation de manipulation psychologique complexe et étonnante, soit un jeu classique et maîtrisé de l’opposition entre plans larges et gros plans qui installe l’ambiance inquiétante du récit, soit une musique très marquée (parfois un peu trop) et inquiétante ; autant d’éléments que Xavier Dolan a su intelligemment maîtriser. Mais au-delà de l’utilisation d’éléments et de dispositifs classiques du thriller, le jeune réalisateur-acteur (Xavier Dolan joue lui-même le rôle de Tom) trouve quelques idées nouvelles et intéressantes, peut-être anecdotiques à première vue, mais qui s’accumulent et réussissent à construire l’identité du film.

L’idée, par exemple, d’affubler Tom d’une coiffure immonde, véritable tignasse blondasse repoussante, induit déjà l’idée de l’écart qui existe entre son statut de gay publicitaire à la ville, et la campagne traditionnelle dans laquelle il va se retrouver. Et ce dès les premières minutes du film alors que le spectateur n’a pas encore pu appréhender pleinement l’ampleur du rejet de son orientation sexuelle par le frère. Francis est d’ailleurs le seul qui exprime ce rejet de l’homosexualité, et là encore se traduit subtilement sa propension à avoir le contrôle sur les autres, à décider à leur place. Jamais pendant le film Agathe n’aura de discours homophobe, et elle fera même preuve d’une certaine ouverture d’esprit lorsque Tom aura des propos sexuels très crus sur ce que Sarah, la petite amie qui n’en est pas une, disait sur sa relation avec Guillaume.

Mais le charme du film se joue autre part, dans la variation de ton que s’autorise le film, et dans son sous-texte général. Au delà du thriller psychologique, Tom à la ferme réussit souvent à être drôle et enlevé, tout en gardant sa justesse et sa gravité. Mais Tom à la ferme est aussi un vrai film sur le deuil. Si Tom reste dans la ferme et est attiré par Francis, c’est qu’il se rend compte que celui-ci ressemble à son compagnon disparu. Au-delà de la ressemblance du frère, le film intéresse car Tom prend vraiment la place du disparu : son lit, ses habits, sa place dans la famille. Et comme pour le signifier encore plus, la séquence d’arrivée dans la ferme se déploie réellement comme un repérage du réalisateur qui, sous les traits de Tom, prépare le rôle de substitution qui sera le sien dans la suite du récit. Et là prend toute la dimension du titre : Tom à la ferme va à l’encontre de la découverte joyeuse qu’il laisse présager mais, à la manière d’une Martine, Tom jouera un jeu de rôle en se mettant en scène dans une autre réalité que la sienne, la vie à campagne, le travail des champs et des bêtes.

© Clara Palardy

© Clara Palardy

Sans réelle originalité donc, le film de Xavier Dolan reste tout de même une œuvre prenante, âpre et violente. Surtout, il annonce un renouveau dans sa courte filmographie. Peut-être le très beau Laurence Anyway était-il le final tonitruant et magnifique, au romantisme un peu trop rimbaldien, d’une trilogie qui avait le charme des premières fois. Et peut-être Tom à la ferme est-il le premier d’une nouvelle série plus noire, plus grise, plus dérangeante, plus accomplie et plus mature.

Simon Bracquemart

Film en salles depuis le 16 avril 2014.


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