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"Le silence de la loi" de Cédric Parren

Publié le 26 avril 2014 par Francisrichard @francisrichard

La France est le pays des lois. Ce n'est pas un scoop.

Le 16 mars 2013, dans l'émission télévisée de Laurent Ruquier, On n'est pas couché, François Bayrou faisait la comparaison entre le Code du Travail français, 2691 pages, et le Code du Travail suisse, une centaine de pages (il s'agit en fait de la Loi fédérale sur le travail, 32 pages, et du titre dizième du Code des obligations, 47 pages, relatif au contrat de travail). Cela donnait une idée de l'hypertrophie législative française, mais ce n'était que la pointe d'un iceberg inimaginable.

Le mérite du livre de Cédric Parren, Le Silence de la loi, est de donner toute sa dimension à cet iceberg. Dans son prologue, il compare le premier code de lois complet d'Hammurabi (1'750 ans avant JC), qui se trouve au Louvre sur une stèle de basalte noir de deux mètres de haut et qui comprend 282 articles, aux 70 codes en vigueur en France actuelle. En prenant le même gabarit, la stèle équivalente française "mesurerait trois mille deux cent vingt-huit mètres de hauteur":

"Erigée à Paris, elle projetterait son ombre jusqu'au Caire."

Les chiffres qu'il donne par la suite sont à l'avenant et sont vertigineux: 11'000 lois en vigueur, 130'000 décrets, 10% des articles de ces lois mal faites étant changés chaque année, 90% des projets de lois étant d'origine gouvernementale (le gouvernement légifère encore davantage par ordonnances), 70% des textes adoptés étant servilement repris des 30'000 directives européennes, sans parler des 200 accords bilatéraux conclus chaque année et des 3'000 conventions multilatérales de l'Union européenne avec des pays tiers (tels que la Suisse).

De cette inflation législative il résulte une instabilité juridique, un accaparement de la fabrique des lois par l'exécutif, une complexité coûteuse, un développement exponentiel de la chicane et, en définitive, une restriction phénoménale des libertés, par leur division furtive, avec - c'est le bonus - l'approbation des asservis eux-mêmes - c'est la servitude volontaire dont parlait déjà La Boétie:

"L'honnête homme doit désormais se faufiler entre plus de onze mille infractions différentes, qui se voient sans cesse élargies dans le temps et dans l'espace."

Le corollaire de ce pulullement de lois c'est d'accoutumer la population à leur relativité et c'est d'autoriser juges et policiers à mettre à l'ombre qui ils veulent, les prétextes légaux ne manquant pas.

Le corollaire de ce pulullement de lois, qui règlementent tout dans les plus petits détails, c'est aussi le nivellement et l'uniformisation de tout. Car pour s'y conformer, tout finit par se ressembler: les voitures, les bâtiments, les êtres humains.

A qui profite le crime de ces lois, qui devraient être faites pour les hommes et non pas  pour lesquelles les hommes devraient être faits, et refaits? A l'institution étatique:

"La croissance imperturbable de l'appareil administratif, qui n'a de cesse d'étendre aussi bien le périmètre de son pouvoir que la férocité de ses moyens d'action, cause mécaniquement une inflation législative, qui devient dès lors un indicateur du degré de bureaucratisation d'un pays."

Ce processus se traduit par une extension permanente du champ d'application, toute contestation ou compétition étant exclues du fait du monopole de la production de lois. Car l'astuce aura été de légitimer cette production au moment de la Révolution française en en transférant le pouvoir au peuple, "bien évidemment filtré par la "représentation" parlementaire":

"Le régime démocratique confère à la loi le statut d'impératif catégorique. Subitement, la liberté n'est plus synonyme d'autonomie vis-à-vis de l'autorité; elle devient une simple participation à la prise de décision. Dans cette optique, ne pas se plier aux injonctions de l'état est un geste incompréhensible, puisque sa légitimité est assurée par son caractère démocratique. Dès lors toute contestation est soit une manifestation de stupidité, soit un acte terroriste."

Du fait de l'atomisation de la société (avec la dégradation des liens familiaux, religieux et associatifs), l'état n'a pas trouvé d'opposants à son extension. Devenu état-providence, avec ses cohortes pléthoriques de fonctionnaires, il a pu déplacer à son profit le centre de gravité du pouvoir de fabriquer les lois:

"Dorénavant, les fonctionnaires conçoivent et rédigent les lois et les règlements à leur avantage exclusif, puis les modifient au cas où les mailles du filet ne seraient pas assez serrées."

Et les politiciens ne sont plus que les intercesseurs de la population auprès de cet état omnipotent:

"La loi n'est, en effet, que la continuation de la religion par d'autres moyens. Les prêtres, hier, les politiciens aujourd'hui, sont seuls de taille à traiter avec les puissances invisibles, au prix toutefois d'une liturgie complexe et dispendieuse."

Seulement, tout excès donne un jour naissance à son contraire. C'est ainsi que trop de loi finira par tuer la loi:

"Par son outrance, l'inflation normative conduit au mépris généralisé des règles et, partant, à l'anomie."

C'est là que réside l'espoir:

"Bientôt, la liberté sera à nouveau un fait plutôt qu'un droit."

Et la loi sera alors réduite au silence, après s'être développée... silencieusement.

Francis Richard

Le silence de la loi, Cédric Parren, 80 pages Les belles lettres


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