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Ensemble, d'un siècle à l'autre

Publié le 08 mai 2008 par Valérie Bernard
1430367306.pngPasseur de souvenirs, bibliothèque citoyenne, partager les souvenirs de ceux dont le destin a croisé l’histoire…. telles sont les ambitions du nouveau site Civis Memoria.
En ce mois de mai où les commémorations s’enchaînent, vous découvrirez la première bibliothèque interactive dédiée à la mémoire des Hommes.
Ce site collaboratif français, lancé en partenariat avec Historia, l'agence Magnum et Le Point, a pour ambition de recueillir et de faire partager le témoignage des internautes de tout âge, dont le point commun serait d'avoir été acteurs ou spectateurs d'événements à portée historique : guerres, crises politiques, événements sportifs, catastrophes naturelles, découvertes scientifiques, etc.
Pour contribuer à Civis Memoria, il faut avoir été le témoin direct ou l’acteur d’un événement historique.
Rien ne vous empêche, en revanche, d’aider vos aînés à le faire s’ils ne sont pas familiers avec l’outil informatique. Mais, dans tous les cas, le souvenir doit être personnel.
Préalablement à la mise en ligne des contributions, chacune est juridiquement validée et soumise à des modérateurs.
Présenté sous forme de frise chronologique à dérouler, les contributions peuvent être des textes, vidéos, photos ou documents sonores.
Exemple de cette diversité, ces témoignages de lycéens, retraités, soldats, scientifiques, citoyen lambda, qui tous nous font partager leurs émotions, tantôt dramatique, improbable ou juste essentielles, afin de donner une âme à l’Histoire et au temps qui passe.
•   « Le jour de 1940, où j'ai retrouvé ma maison, mon nounours et plein d'Allemands dans mon salon.
•   « Le jour de 1927, où j’ai vu Lindbergh atterrir au Bourget. »
•   « Le jour de 1968, où j’ai scotché la première pub TV française. »
•   « Le jour de 1974, où nous avons découvert Lucy. »
•   « Le jour de 1961, où j'ai vu s'élever le mur. »
•   « Le jour de 1978, où Ugo Tognazzi a déchiré le script de La cage aux Folles.
»
Et vous ? Qu’auriez-vous envie de raconter, ou de faire raconter par l’un de vos proches ?
Qu’est-ce qui vous a marqué ces dernières années ?
Quant à moi, je voudrais vous parler du jour où un soldat de RDA a mis mon casque de Walkman.
19 octobre 1987, une partie des élèves d’allemands de seconde 8 sont dans le train pour Berlin, invités par la ville, ou plutôt à l’époque la « moitié ouest » à fêter le 750e anniversaire de l’ex capitale.
Garçons et filles de 15 à 16 ans, nous chahutons dans les wagons. C’est la grande époque du Walkman à cassette et des tubes enregistrés à la radio pendant l’émission Top 50 ou sur NRJ pour économiser l’achat de 45 tours. Pas de parents, la prof d’allemand est dépassée par le bruit et l’enthousiasme.
Et puis, c’est un bruyant silence qui s’abat sur le joyeux groupe : nous sommes arrivés à la frontière RFA-RDA. Des soldats est-allemands parcourent le couloir puis s’arrêtent dans notre compartiment. L’ambiance se tend, leur uniforme pantalon jodphur et casque démodés nous semble anachronique, nous donne envie de rire et nous terrorise à la fois.
Un soldat à peine plus âgé que moi approche ses grands yeux bleus vers mes bouclettes, puis saisit mon casque de walkman, en plein Like a virgin.
D’abord je pense : « merde, ce casque, c’est des heures de baby-sitting, il ne va pas me le piquer quand même ?
Sourires, échanges en allemand scolaire pour confirmer que c’est bien Madonna qui chante, puis prêt du casque aux autres soldats… Fous rires. Proposition de troc, je refuse.
- « Madame, c’est dingue, ils n’ont pas de Walkman là-bas ? » s’exclame un élève !
- « Et s’il n’y avait que ça, si tu savais, il leur manque des choses bien plus essentielles, tout ça à cause des communistes.
»
Le Mur nous suivra tout au long du trajet, à notre grande surprise. Les images du livre d’histoire nous avaient scotché sur Berlin, loin d’imaginer que la voie ferrée était elle-même prisonnière des idéologies jusqu’à la ville.
Porte de Brandburg, devant mur, grafittis et pancarte, la joyeuse bande continue à s’amuser avec l’Histoire et à se prendre en photo comme s’il s’agissait de la Tour Eiffel.
Puis la prof, déçue de nos réactions nous a emmené face aux tombes, le silence a commencé à se faire plus pesant.
Le moment le plus intense qui a calmé tout le monde, c’est la descente de l’escalier du « mini-mirador » qui surplombe le mur avec vue sur le no man’s land, les champs de mines et les immeubles murés.
Les yeux humides, têtes baissées… nous repartons. Je crois qu’aucun car scolaire n’a connu silence plus grand après ces instants.
Le lendemain, nous sommes passés à l’Est au point de contrôle de la station de métro Friedrichstrasse, puis avons visité le plus grand magasin vide, croisé des regards qu’on oublie pas. Tantôt suppliants : quand vous reviendrez, dites-leur, dites-leur !
tantôt excédés par ces jeunes débarqués régulièrement à Berlin-Est comme au Zoo pour fêter un anniversaire qui exclue la moitié de la ville.
De retour à Paris, a suivi alors un long enchaînement de lectures qui ont fait la joie de ma grand-mère ukrainienne : Soljénitsine, Kundera et la promesse de ne jamais m’enfermer derrière le mur d'une idéologie, quelle qu'elle soit.
Je n'imagnais pas encore que moins de 20 ans plus tard, en traversant le périf j'allais découvrir un autre mur immense : celui des 93400 cichés sur la banlieue.

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