Grand marché transatlantique : cette étrange affaire qui menace le négociateur européen Karel De Gucht
Par Thierry Brun
Le fisc belge a décidé de se pourvoir en cassation dans une affaire de fraude fiscale qui concerne Karel De Gucht, commissaire européen au commerce, et principal négociateur du grand marché transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis. La Commission européenne le soutient, pourtant ce n’est pas la première fois que la justice s’intéresse à lui.Georges Gobet/AFPLa menace d’une condamnation pour fraude fiscale pèse toujours sur le libéral flamand Karel De Gucht, un des piliers de la Commission européenne. L’autorité fiscale belge, le Service public fédéral des finances (SPF Finances), a annoncé le 24 avril qu’elle allait introduire un pourvoi en cassation dans un dossier visant le commissaire européen au commerce, qui est aussi le principal artisan de la négociation pour conclure un accord créant un grand marché transatlantique, baptisé « Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement » (PTCI, TTIP en anglais).
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Le fisc belge a commencé son enquête en s’intéressant à une villa en Toscane et s’est finalement penché sur les comptes de Karel De Gucht et de son épouse Mireille Schreurs. Le SPF Finances estime que le couple a omis de déclarer une plus-value de 1,2 millions d’euros réalisées lors de la revente en 2005 d’actions de la société d’assurance belge Vista au Britannique Hill & Smith, échappant ainsi aux impôts dus. Le fisc réclame plus de 900 000 euros au couple. Mais la cour d’appel de Gand a décidé en décembre 2013 que l’inspection spéciale des impôts ne disposait pas d’indices suffisants de fraude fiscale pour consulter les comptes du couple et a annulé cet acte. Elle a jugé que les données recueillies ne pouvaient pas être utilisées lors des plaidoiries.
L’administration fiscale belge a cependant décidé de se pourvoir en cassation, ce qui signifie que le dossier fiscal contre le commissaire européen se poursuit et que le fisc maintient sa demande d’un rehaussement des revenus imposables du couple à hauteur de 976 000 euros, indique l’agence de presse Belga, qui ajoute que, par ailleurs, le litige entre les De Gucht et le fisc devrait être plaidé en janvier 2015 devant la chambre fiscale du tribunal de première instance de Gand, c’est-à-dire bien après les élections européennes.
Le très libéral Karel De Gucht a pourtant eu des démêlés avec la justice dans le passé. En novembre 2008, alors ministre des Affaires étrangères, il fut accusé de délit d’initié dans l’affaire de la faillite de la Banque Fortis, suite à une plainte anonyme déposée auprès de la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA). Le ministre aurait conseillé à son épouse et à son beau-frère de se défaire au plus vite d’actions Fortis, pour un montant de 500 000 euros, avant l’annonce publique des problèmes de cette banque et la suspension des ventes d’actions. Toutefois, la chambre des mises en accusation de Gand, suivant l’avis du procureur général, a mis hors de cause Karel De Gucht le 8 septembre 2009 et le parquet général a donc requis le non-lieu.
L’accumulation des litiges financiers et des sommes en jeu interroge. En pleine campagne pour les élections européennes, le rappel des poursuites judiciaires de celui qui négocie le grand marché transatlantique avec les États-Unis peut être explosif pour la Commission européenne. Publiée par les médias belges, ces informations n’ont pourtant pas suscité de réaction politique sur le maintien du commissaire européen au commerce dans ses fonctions. Accusé de fraude fiscale par les autorités de son pays, la Commission européenne a de plus exclu, dès novembre 2013, de demander la démission de Karel De Gucht, arguant qu’il s’agissait d’une « affaire privée », qui concernait une période où il n’était pas membre de la Commission européenne.
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« La bonne question aujourd’hui est de savoir si la position de Karel De Gucht est encore politiquement tenable », a pourtant déclaré à l’AFP, une source interne à la Commission européenne, souligne latribune.fr, qui rappelle qu’elle s’était séparée « sans ménagement » du commissaire à la Santé, le Maltais John Dalli, mis en cause dans une enquête de l’organisme anti-fraude de l’Union européenne (Olaf), en octobre 2012. L’enquête n’avait pourtant pas apporté la preuve d’une participation directe de John Dalli comme instigateur ou comme commanditaire d’une demande d’argent pour influencer la législation européenne sur le tabac.
Le retrait de Karel De Gucht aurait sans doute des conséquences sur l’évolution des négociations transatlantiques, alors que celles-ci doivent, dans le secret et sans être éclaboussées par des affaires, mettre en cause les législations et réglementations européennes dans tous les domaines où les multinationales considèreront que ces normes constituent une entrave à leurs profits.
En mai 2013, le commissaire européen avait pris fait et cause pour un accord avec les États-Unis, et ajouté : « Je suis contre les exclusions [de secteurs], parce que je crois que lorsque vous visez un accord complet, il doit être possible de discuter de tout ». Un mois plus tard, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, avait violemment critiqué la volonté de la France d’exclure la culture et l’audiovisuel du mandat de négociations commerciales avec les Etats-Unis, qualifiant cette attitude de« réactionnaire ».
En cette période électorale, la Commission est d’une grande discrétion autour des négociations de l’accord commercial transatlantique (aussi nommé TAFTA, Trans-Atlantic Free Trade Agreement) et sur le sort du libéral Karel De Gucht, commissaire européen, candidat aux élections et ardant défenseur du partenariat transatlantique.