Dans mon précédent billet j'évoquais le plan d'austérité Valls et rappelais que l'austérité n'apportera pas les résultats attendus, d'une part parce qu'elle est généralisée dans de nombreux pays d'Europe et d'autre part elle étouffe toute forme de reprise économique.
Mais pour en revenir à la situation franco-française, le gouvernement multiplie les cadeaux hors de prix et sans effets certains aux entreprises : crédit d'impôt compétitivité emploi (20 milliards d'euros), baisse des cotisations sociales patronales (10 milliards d'euros), suppression progressive de la C3S (6 milliards d'euros), suppression de la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés en 2016 (2,5 milliards d'euros), baisse du taux normal de l'IS en 2017 (2,5 milliards d'euros). Bref, de 30 milliards d'euros annoncés, on en est déjà à 41 milliards et on se demande toujours quelles contreparties on peut en espérer, car ça commence à faire cher l'emploi...
Dès lors, pour financer ces 41 milliards d'euros distribués aux entreprises et respecter son engagement de ramener le déficit public sous la barre des 3 % du PIB en 2015 - contre 4,3 % aujourd'hui, le gouvernement devra fort probablement pratiquer des coupes dans les dépenses publiques à hauteur de 80 voire 100 milliards d'euros, donc bien loin des 50 milliards annoncés ! Et je vous laisse alors imaginer les conséquences économiques et sociales de telles coupes sur 270 milliards de dépenses...
Certes il y a eu le vote consultatif du Parlement mardi, dont le seul intérêt aura été de faire couler beaucoup d'encre dans les rédactions de presse, d'autant plus que Manuel Valls avait écrit une lettre à tous les parlementaires socialistes (cliquer sur l'image pour voir la lettre dont LCP s'est procuré une copie) où il confirme que le gouvernement pilote désormais l'économie avec des oeillères néolibérales :
Le plus ironique est de lire sous la plume du Premier ministre que ce Pacte doit aller de pair avec "un renforcement déterminé de la lutte contre la fraude fiscale". Pourtant il ne peut ignorer l'excellent rapport parlementaire rendu par Alain Bocquet et Nicolas Dupont-Aignan en 2013, et qui concluait que la fraude fiscale coûte chaque année entre 60 et 80 milliards d'euros !
Oui, vous avez bien lu 60 à 80 milliards, c'est-à-dire bien plus que les 50 milliards de coupes claires qui sont prévues ; et si je vous disais que cela représente presque la totalité du déficit public ? Il y a donc même quelque chose de cynique à demander des efforts conséquents aux uns lorsque les autres (une minorité de la population) profitent des failles du système ou fraudent sans complexes pour notamment ne pas contribuer à l'effort collectif, expression bien éculée du reste en politique...
Mais nombreux sont ceux qui ignorent que la France devra ensuite transmettre sa trajectoire budgétaire triennale à la Commission européenne, qui rendra son verdict le 2 juin prochain. En effet, la France est déjà sous surveillance renforcée pour reprendre le jargon de l'institution européenne, ce qui implique que les services de la Commission vont vérifier si la France a bien appliqué les recommandations de juin 2013 en matière de déficit public nominal et structurel.
Il y a alors trois possibilités qui sont bien résumées par l'infographie suivante issue du Figaro :
[ Source : le Figaro ]
Bref, ce sont donc bien les services de la Commission européenne qui décideront de la validité du plan d'austérité Valls, et non le Parlement français dont le vote n'est que consultatif comme mentionné plus haut... Et en fin d'année, rebelote pour l'élaboration du budget 2015, où il faudra à nouveau tenir compte des recommandations de la Commission européenne, conformément à la procédure de semestre européen :
[ Source : Sénat ]
En complément du semestre européen, on trouve dans l'arsenal communautaire le Traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG, dit Pacte budgétaire) ainsi que ses avatars ("two-pack", "six-pack",...). Mais quel que soit le nom de la gangue, le fruit mauvais reste le même : le déficit devra tendre vers 0, ce qui est synonyme de perte d'autonomie budgétaire.
Se priver de la politique monétaire et maintenant de la politique budgétaire en pleine crise, il fallait y penser non ? Au fait, on fait comment pour piloter l'économie d'un pays sans politique économique autonome ?
J'ai du reste profité de ma chronique sur Mosaïk TV pour évoquer les politiques de rigueur. Exceptionnellement, celle-ci a été diffusée dans le journal du mercredi 30 avril (jour de mon anniversaire, ça ne s'invente pas de parler d'austérité un tel jour pour un économiste !) :
[ Cliquer sur l'image pour voir la vidéo sur le site de Mosaïk ]