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Géopolitique d’israel

Publié le 26 mars 2008 par Francois155

Par Frederic Encel et François Thual. Editions Points – Essais. 2004.

« La plus grande injustice qui pèse sur Israël, c’est de n’avoir pas le droit d’être injuste ». Chris Marker.

Impossible de parler d’Israël sans déchainer les passions[1] ! En fonction de son auditoire, avouer son admiration pour la marche de cet Etat neuf, son courage et sa débrouillardise, vous vaut un déchainement de critiques (voire d’insultes) plus ou moins bien informées et variablement marquées du sceau de l’intelligence. Devant tel autre, quelques remarques nuancées sur l’attitude de l’Etat juif envers certains de ses voisins risquent de briser, ou au moins de distendre considérablement, quelques précieuses amitiés. Israël, son destin, ses actes, ses attitudes, attisent les passions et sa représentation en pâtit ou en sort glorifiée à outrance en fonction du point de vue adopté par chacun.

Plus problématique encore, il semble qu’aujourd’hui chacun ait une opinion sur ce qui se passe là-bas, une représentation intellectuelle dont les bases sont parfois moins solides qu’il n’y paraît de prime abord. Dans nos sociétés sans cesse abreuvées d’informations distillées sans distance ni beaucoup de discernement, ce qu’on croit savoir, ce qu’on a vu en dernier à la télévision devient plus réel, plus exact que ce que l’histoire et la géopolitique enseignent.

Combattre cette « ignorance » de l’immédiateté, ces certitudes instantanées qui nous interdisent une salutaire prise de distance, c’est le but de cet ouvrage malin, non dénué d’un certain humour malgré une froideur assumée et une érudition évidente. S’adressant à tous ceux qui s’intéressent à la région et sont las des « faits » qu’on leur assène comme autant d’incitations à prendre position sur des sujets complexes sans avoir toutes les cartes en main, il est revigorant et mérite une lecture attentive.

Son objectif est simple et louable : présenter Israël comme un Etat normal, un pays qui est né d’un projet riche et longuement muri, ni plus ni moins belliqueux qu’un autre, simplement ancré dans un environnement géopolitique complexe et qui se fabrique une identité en fonction de l’envie de ses citoyens et des possibilités que lui offrent une géographie contraignante[2] et des voisins presque tous hostiles à des degrés divers. Bien sur, ne nous voilons pas la face, il peinera à convaincre les plus enflammés des contempteurs ou des thuriféraires de l’Etat hébreu. C’est là une tâche quasi impossible. Pour les autres, en revanche, il recèle quelques pépites, bouscule un certain nombre d’idées reçues et enrichit la culture générale du lecteur curieux.

Ainsi, la présentation des différents courants politiques qui s’affrontent en Israël depuis la création de l’Etat (le sionisme est enfin présenté pour ce qu’il est, loin des phantasmes et des simplifications outrancières), sa doctrine stratégique (fondée, entres autres, sur la constitution d’une « deuxième ceinture » amicale entourant le premier cercle du « front du refus »), ses alliances, l’évolution de sa posture sur la scène internationale, son histoire, son devenir possible, aussi, sont présentés, pour ne prendre que quelques exemples, de manière dépassionnée mais passionnante. Les données sont analysées avec rigueur et démontrent qu’Israël, comme tous les pays du reste, se conforme au vieil adage qui constitue la base de toute géopolitique cohérente : les Etats ont d’abord des intérêts avant d’avoir des amis. Des annexes volumineuses[3] et une bibliographie exhaustive complètent utilement le tout.

Un ouvrage à parcourir sans modération et sans se laisser rebuter par sa forme (un dictionnaire qui peut laisser croire à une suite ennuyeuse d’entrées plus ou moins intéressantes) tant le fond est riche et utile.

Seuls regrets : quoique bénéficiant d’ajouts sur la guerre Hezbollah/Israël de 2006, les auteurs se contentent de survoler cet événement pourtant considérable. De même, pour des raisons évidentes, la prise du pouvoir du Hamas à Gaza ne sera probablement traitée que dans une prochaine réédition.



[1] Ce modeste billet peut d’ailleurs me valoir quelques acerbes commentaires, comme toujours lorsque le sujet du Proche-Orient est évoqué… D’avance merci aux lecteurs passionnés, que je respecte, de bien vouloir me pardonner si ce qui précède a pu froisser leurs sensibilités respectives.

[2] « La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre », rappellent les auteurs en citant le géographe et géopolitologue Yves Lacoste.

[3] La Charte du Hamas (1988) est un document instructif et édifiant, surtout à la lumière des événements récents…


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