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L’impossible neutralité des journalistes

Publié le 04 mai 2014 par Podcastjournal @Podcast_Journal
Derrière la notion de neutralité, se cache un fondement de la déontologie du journalisme contemporain: l’éthique de l’objectivité née avec la tentative de distinguer le fait de son interprétation. Mais le "flot déchaîné de l'information à outrance" selon la formule de Zola, peut également se révéler indigeste. Depuis, le journalisme oscille donc entre engagement et distanciation. Chez les historiens, le débat sur la neutralité est permanent depuis la thèse de Raymond Aron sur les limites de l'objectivité historique. Howard Zinn dénonce ainsi le silence de l’historien face aux injustices: "se taire c’est laisser la liberté aux leaders politiques de faire ce qu’ils veulent". On peut donc penser qu’un désengagement du journaliste sert aussi les politiques. Quand les journalistes véhiculent "l’air du temps", ce n’est pas considéré comme un engagement. A l’inverse toute dissonance politique ou idéologique sera stigmatisée alors que son expression fait partie intégrante d’une vision pluraliste de la société. Car une information citoyenne confronte la pluralité des points de vue, ce qui suppose une liberté de l’engagement. D’ailleurs Sandrine Levêque constate dans son livre "Journalistes engagés" le retour à un journalisme de combat.

Même si le journaliste se voulait neutre, il ne le pourrait pas. Le choix des sujets, de l'angle, des mots et des images exprime un point de vue influencé par son histoire et ses principes. Jean Lacouture, maître du journalisme du XXe siècle, dit que nous sommes le produit des influences "que nous avons vécues dans le ventre de notre mère jusqu’au dernier livre lu". Le journaliste est notamment engagé quand il choisit et nomme ses sources. Pierre Bourdieu expliquait dans une critique du Monde Diplomatique que "l’apparence de l’objectivité est assurée par le fait que les positions partisanes de certains sont déguisées avec des titres ou des fonctions d’expertise". Par exemple, un sénateur sera présenté comme écrivain et un conseiller politique comme économiste. Enfin, l’information qui résulte de la conjonction entre événement brut et événement construit pour un public qui a ses propres interprétations reste de facto subjective. Dans son livre "L’invention du journalisme en France", Thomas Ferenczi montre qu'à une époque, des journalistes étaient aussi des politiques comme Jean Jaurès ou Léon Blum, sans que personne n'y trouve rien à redire. Mais les temps ont changé. Au-delà du militantisme actif qui interdit à un journaliste de manifester et faire un reportage sur la manifestation le lendemain, la proximité culturelle entre les médias et le pouvoir est aujourd’hui perçue comme le cancer de la démocratie. Dans l’affaire Julie Gayet par exemple, les journalistes français n’ont pas questionné le président sur l’incompatibilité entre son mode de vie et l’action de son gouvernement contre les stéréotypes liés au genre. Et que dire des liaisons dangereuses entre politiques et journalistes, encouragées par leur manière de suivre au plus près leurs sources. Sans compter les journalistes devenus communicants des politiques comme Françoise Degois nommée conseillère spéciale de Ségolène Royal en 2009 alors qu’elle suivait le PS pour France Inter. Une journaliste de Télérama, Emmanuelle Anizon, ironisera: "Nous adressons nos félicitations aux politiques qui ont su s’attirer talents d’écriture et d’analyse. Nous adressons nos condoléances à la démocratie, affaiblie dans cette guerre toujours plus inégale entre le monde de l’information et celui de la communication". En définitive, le journaliste ne restera garant de la démocratie que s’il accepte de ne pas prétendre à la neutralité.

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