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Les martyrs d’oufran

Publié le 30 avril 2014 par Feujmaroc

Chers amis

Permettez -moi d'être insistant, sur ce coin du Sud Marocain, nommé Oufran ou Ifrane de l'Anti-Atlas, mais il est important de ressasser l'histoire de cette petite communauté vieille de plusieurs siècles en terre Marocaine. Voici un autre article recueilli dans la presse d'antan, mais qui nous donne les recherches faites à vif à une période où les descendants des communautés originelles étaient là pour témoigner et attester, nous vous la remettons dans l'intégrale, elle nous est rapportée par Mr Jacob OHAYON, ancien journaliste de la Vigie Marocaine.

Georges SEBAT

Le Conseil de la Communauté d’Oufrane (ou Ifrane de l’Anti Atlas). dernière photo d’une des plus anciennes communautés du Maroc, partie en Israël entièrement, en 1958

Le Conseil de la Communauté d’Oufrane (ou Ifrane de l’Anti Atlas). dernière photo d’une des plus anciennes communautés du Maroc, partie en Israël entièrement, en 1958

Oufran est un petit bourg au Sud-Est d’Agadir, à trois jours de marche.

Situé dans une dépression de terrain, il possède de nombreuses sources du côté de la montagne te de la plaine.

De fondation très ancienne, il passe pour le centre le plus antique du Maroc.

Les juifs semblent s’y être établis avant la construction du second temple, ainsi qu’en témoignent leurs inscriptions tumulaires.

En 1912, M. Nahoum Slousz, professeur à la Sorbonne, fut envoyé par l’académie des Inscriptions et Belles-Lettres pour relever les inscriptions tombales de l’ancien cimetière juif d’Oufran.

Ce cimetière passe aux yeux de tous, juifs et musulmans, pour inaccessible. On le prétend peuplé de reptiles venimeux.

Le savant Slousz y pénétra tout de même, malgré tous les efforts des Israélites pour l’en empêcher. Il revint, muni d’une ample moisson de renseignements, qui fixent un point de l’histoire ancienne des Juifs du Maroc.

Il faut dire qu’il a été guidé et aidé dans sa tache par le savant Rabbin Messod Knafo, le regretté Président du Premier Tribunal Rabbinique de Mogador, qui était originaire d’Oufran, et dont les ascendants étaient parmi les héros d’Oufran.

Il semble que les premiers colons juifs soient venus de Talaba et de Ouaddan, deux localités du Sahara, éloignées d’Oufran de quarante étapes de chameau.

Jusqu’à nos jours, ces deux centres contiennent des ruines d’habitations juives, et des pierres tombales, ainsi qu’en témoignent les relations laissées par Rabbi Messod Rebibo, et par Abraham, fils de Salomon Knafo.

Le premier était allé au Sahara en 1777, accompagné d’une vingtaine d’amis.

Le deuxième s’y était rendu en 1852, accompagné de Judah, fils de Maclouf Ohana.

En 1773, au moment de sa prospérité, Oufran contenait 400 propriétaires juifs, très riches. Mais les deux famines successives qu’il y eut au Maroc, en 1879 et en 1881, les obligèrent à quitter leur ville, et ils se dispersèrent dans les divers centres Marocains.

Il ne reste pas plus de 50 propriétaires.

A Oufran existent quatre grandes synagogues, qui témoignent du nombre relativement important d’habitants juifs que devait contenir ce centre. La moitié d’une de ces synagogues suffirait aujourd’hui à contenir la population actuelle.

Leur « Mikveh », piscine rituelle, est alimentée directement par une source, et son eau est renouvelée plusieurs fois par jour.

Les juifs avaient acheté aux musulmans l’emplacement de cette source, ainsi que celui du cimetière actuel.

Il n’y a aucun doute que le titre d’achat existe encore.

En 1893, les musulmans réclamèrent ce terrain aux israélites.

On chercha le titre de propriété, qui fut retrouvé chez une vieille femme, la veuve de Haim, fils de Rabbi Jacob Sebag.

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Les juifs d’Oufran sont connus pour leur esprit d’indépendance et leur amour de la liberté.

Sous des apparences modestes, et quelques fois même très humbles, qui trompent les esprits superficiels, et ignorants des Juifs Marocains, ils cachent une fierté, inconnue chez les juifs soi-disant évolués ou assimilés.

Leurs noms dénotent, soit la noblesse et l’ancienneté de leur origine, soit une profession manuelle ou de grand air.

Ainsi, Afriat est l’anagramme d’Ifrata, Knafo (de Kanaf, aile) signifie « protecteur » ; Sarfaty, le Gaulois ; Cohen-Haddad, Cohen le Forgeron, Sebag, le tenturier ; Boganim, le pasteur, etc….

Les Ohana, fils de Hana, se prétendent les descendants de Samuel l’Ifrati. D’ailleurs, tous les Oufranis s’appuyant sur le témoignage de leurs inscriptions, s’attribuent une origine Ifratie.

Cette fermeté d’âme, et cette indépendance de caractère, qui les distinguent, ont fait d’eux les héros et les martyrs du Sud Marocain.

Nous demeurons émerveillés par les récits des martyres subis, dans les siècles passés, par des chrétiens et des juifs attachés à leur foi.

Les récit de Chateaubriand nous émeuvent, et nous font méditer sur la puissance du mysticisme.

L’histoire des martyres juifs, que nous commémorons, tous les ans, au Ticha Bé-Ab, est une source d’amère s réflexions pour certains juifs, qui croient un tel ressort brisé en Israël.

Ces martyrs étaient des surhommes, des illuminés, qui dominés par une idée fixe, étaient préparés, en quelque sorte, à la pensée du supplice.

Mais, lorsque, comme à Oufran, le martyr est subi par de simples artisans ou des commerçants nullement entrainés à ce rôle, et cela à la fin du dix huitième siècle, époque où  ce genre de héros n’existait plus qu’à l’état de légende, on demeure saisi d’admiration devant de telles manifestations d’énergie humaine, et l’on éprouve un étonnement douloureux de constater que de pareils faits, si près de nous dans le temps et dans l’espace, soient ignorés des juifs marocains, qui devraient les méditer.

Des non-juifs n’ont pas caché de leur admiration pour ces surhommes d’Oufran.

Notre confrère François Berger, qui s’intéresse à ce qui peut éclairer l’Histoire marocaine, nous a demandé une relation sur Oufran.

Nous croyons que cette relation a sa place marquée dans une publication juive.

Le manuscrit original sur parchemin, en est soigneusement conservé chez de vieux Oufranis.

Cette tradition de conserver sur parchemin les récits des événements douloureux du Judaïsme existe également en Europe Orientale, où de tels événements deviennent chroniques.

Un ouvrage juif, « Israël, où vas tu ? », paru récemment, fait allusion à cette tradition.

M. Sémach, délégué de l’Alliance Israélite qui réunit des documents sur l’histoire du Judaïsme Marocain, possède un exemplaire de ce récit, dont nous nous contenterons de donner une analyse.

L’histoire des Martyrs d’Oufran date de 1790, mais déjà, à ces héros, un autre martyr, 150 ans plus tôt, avait montré la voie.

Cette précision dans les dates montre à quel point les Juifs d’Oufran ont le sens de la tradition historique.

Les siècles ne semblent nullement les impressionner, et, lorsqu’ils parlent d’événements de leur histoire, ils les exposent comme des faits récents.

C’est le propre de ceux qui ont le sens instinctif de l’Histoire, et c’est cette intuition qui les fait lier le présent au passé et en saisir la parfaite unité.

Cette unité n’est elle pas la source de leur indépendance ?

Ne doit-elle pas être pour nous d’un exemple salutaire ?

En 1663, un vieillard, Ammi (Oncle) Salomon Sebag, subit pour sa foi un supplice atroce. Cet homme possédant à Oufran, de grandes richesses, et jouissait d’une situation prépondérante. Il était aimé aussi bien des musulmans que des juifs.

Un jour de Ramadan, une femme juive, qui faisait sa cuisine sur sa terrasse, fut insultée par un indigène, qui la menaça de mort. Ammi Salomon Sebag, qui passait par là, tenta de la défendre.

Alors, l’indigène, pour se venger, accusa le vieillard d’avoir insulté le prophète. Au Maroc, cette accusation est la ressource suprême des chercheurs de querelles, elle est toujours suivie d’effet sur l’esprit de la foule.

En l’occurrence, elle trouva écho chez les ennemis ou les débiteurs de Sebag, qui, d’une commune voix, attestèrent l’avoir entendu blasphémer contre la foi musulmane.

Le vieillard, enchainé, fut trainé devant le Caïd El Houssein Bel Hachem, de Tazeroualt, dont dépendait Oufran.

Le Caïd El Houssein le renvoya chez le Cadi, qui, sans autre forme de procès, le condamna à la peine de mort pour blasphème et rébellion.

Cependant, la grâce était offerte au condamné, s’il se convertissait à l’Islamisme.

Salomon Sebag se contenta de protester de son innocence.

Le Caid El Houssein, à l’exemple de Ponce Pilate, rejeta sur le Caïd la responsabilité de la condamnation, qu’il savait, disait-il injuste.

Gardé en prison pendant dix jours, dans l’espoir d’une conversion, le vieillard endurait tous les jours le supplice du feu.

Des tiges de fer chauffées au rouge lui labouraient la chair sans parvenir à lui faire prononcer la profession de foi du prophète.

Le dixième jour, il fut fustigé de verges de fer rougi et rendit le dernier soupir en prononçant le Chémah.

Son cadavre fut exposé, pendant trois jours, sur un tas de fumier, et ne fut livré à la sépulture qu’après paiement d’une forte somme au Caïd El Houssein.

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En 1790, un ascendant de Ma-El-Amine, et de M’Rebbi Rebbou, le Caïd Bou Halacha, le père au bas, ainsi nommé parce qu’il portait constamment sur le dos un sac d’amulettes gros comme un bas, arriva un jour à l’improviste, dans un souk du Souss, où se trouvait une cinquantaine de juifs d’Oufran, venus là pour leurs affaires.

Il les convoqua, et leur donna un délai pour choisir entre le bucher et la conversion.

Cette nouvelle glaça tous les habitants d’Oufran, et les musulmans n’étaient pas les moins indignés.

On sait que dans le Souss, chaque juif avait un « protecteur » ou « patron » musulman, qui en répondait, et qui, au besoin, le défendait contre les exactions des Caids.

Les « protecteurs » étaient donc irrités contre Bou-Halacha et ils se doutaient qu’ils seraient alors molestés.

Les Juifs résistèrent.

Au jour dit, ils étaient tous présents au rendez-vous.

Sur leur dos, ils avaient eux-mêmes chargé le bois, pour le bucher, tenu dans la grande place.

Quelques uns étaient des adolescents, d’autres avaient des jeunes femmes et des enfants, d’autres, encore, étaient des hommes mûrs et des vieillards, qui venaient là, sans phrases, se sacrifier pour la sanctification du nom, le « Kidouche Hachem »

.Un seul manquait encore à l’appel. C’était Moise Knafo, qui avait ce jour là, la circoncision de son fils. On l’attendait. Il arriva, après avoir lui-même circoncis son enfant.

Sa jeune femme, encore malade de ses couches, sauta par la muraille, et emporta son enfant blessé, attaché derrière son dos, à la manière arabe, se dirigeant à pied sur Mogador.

Il fallait sauver l’enfant pour perpétuer la race.

Parmi les cinq suppliciés, se trouvait un homme qui servait de cuisinier à ces commerçants dans leurs nombreux déplacements.

Sa femme vint s’accrocher à ses vêtements, et ne voulut plus le lâcher.

Bou-Hallacha restait insensible à cette scène atroce, qui impressionnait les musulmans eux-mêmes.

Mais le chef des martyrs, le héros Naftaly Afriat, fit écarter, par quelque jeunes gens vigoureux, cette femme qui venait troubler par des plaintes indignes, la sérénité de ce grand sacrifice.

Tous, d’une seule voix, entonnèrent alors la prière du Chémah.

Naftaly Afriat les poussait un par un au bûcher.

D’un regard sévère, il glaçait les hésitants.

Tous se jetèrent au feu. Les cris atroces des premiers suppliciés semblaient décupler l’ardeur de ceux qui suivaient, et une émulation sauvage s’empara de cette troupe exaltée.

Seul, Naftaly Afriat, comme le capitaine à son bord, demeura le dernier. Avant de se livrer aux flammes, il voulut se laver les mains.

Une femme passait avec un seau d’eau. Il le lui demanda, et elle refusa. Alors, il arracha son anneau d’or de son oreille pantelante, et l’offrit pour un peu d’eau. Puis, sans un cri, ainsi il sied à un chef, il entra au bûcher.

Les Afriat, qui portaient l’anneau, signe qu’ils n’avaient pas livré leurs bijoux au Veau d’Or, ont cessé depuis l’événement d’Oufran, d’en orner leur oreille, en souvenir du sacrifice de Naftaly Afriat.

Les Juifs Marocains, et en particulier les descendants des héros d’Oufran, ont le droit de se montrer fiers à l’évocation de ces faits glorieux, qui constitue une des plus belles pages de notre histoire.

Par Jacob OHAYON

L’Avenir Illustré du 19 Février 1931

Jacob Ohayon, homme d’érudition et latiniste émérite, fut journaliste à la Vigie marocaine. Il avait perdu son poste à l’époque des lois raciales de Vichy.

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