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Grand Delanopolis Palace

Publié le 04 mai 2014 par Delanopolis
En ce début de semaine et puisqu'il ne sera plus très longtemps à l'écran, allez déguster le savoureux hommage de Wes Anderson à Zweig dans Grand Budapest Hotel. Et ne négligez pas pour autant les Van Gogh commentés par Artaud. Grand Delanopolis Palace Stephan Zweig avait la même vision sociale que Marcel Proust : ce qui met de la fluidité dans une société hiérarchisée et guindée, ce n'est pas la politique ou la révolution, méthodes vicieuses pour abrutir les individus voire éliminer les plus récalcitrants d'entre eux, mais le plaisir. Le plaisir sexuel d'abord, qui subvertit les classes. Le plaisir gastronomique ensuite. Et celui des yeux, de l'art, du sensible, de la beauté.

La fantaisie débridée mais hautement maîtrisée qui caractérise "Grand Budapest hotel" sorte de condensé de l'univers de Zweig, est le relais fidèle de cette vision du monde. Tout tourne autour d'un directeur d'hôtel, raffiné, humaniste et gigolo qui aime sincèrement ses clientes d'âge plus que mûr comme ces dernières l'aiment elles aussi. "Ce sont comme des faux-filets, de la viande souple", dit-il en connaisseur, anthropophage de la sexualité.

Il règne en autocrate sur son palace, soucieux de perfection, preuve éclatante que la discipline professionnelle est nécessaire au toucher du beau. Il apprécie les parfums et la poésie romantique mais sait se contenter d'un mode de vie frugal quand il n'est pas dans la galante compagnie de ses rombières de charme.

Et il prend sous son aile un déshérité venant de nulle part à qui il donne pour prénom "Zéro". Ce n'est pas flatteur mais qui aime bien nomme bien.

Ces deux comparses vont se trouver ballotés par une intrigue tarabiscotée sur fond d'héritage crapuleux et de montée du fascisme dans une Europe centrale d'opérette qui tient davantage du fantasme que de la réalité. L'esthétique d'Anderson est hautement travaillée en couleurs acidulées et ses images sont montées comme des crèmes chantilly, un vrai régal qui évite toujours le haut-le-coeur parce que le pâtissier est aussi un grand cuisinier. Et qu'il a rôti une prodigieuse brochette d'acteurs.

Le monde de Zweig était à ce point idéalisé qu'il a préféré mettre fin à ses jours, loin de son Europe chérie, quand il a réalisé que la vie n'avait pas la légèreté qu'il lui prêtait et qu'il a cru à tort que ses ennemis allaient définitivement triompher. Quelle perte absurde et cruelle pour la littérature ! Insurpassable dans l'art de la biographie, Zweig est un monument auquel Anderson a su parfaitement rendre hommage, preuve supplémentaire que l'Europe centrale d'avant-guerre continue de vivre, un peu, dans l'esprit cultivé des Nord-Américains. En Europe même, cette grâce a disparu depuis longtemps. Il lui faut de l'argent, du cosmopolite et du libertaire, ingrédients qu'aucun pays du vieux continent ne réunit plus. Dommage que la Suisse ne soit pas un peu plus anarchique ..!

Toujours sur grand écran vous pourrez également vous distraire, mais l'exercice est conduit avec infiniment moins d'ambition, de moyens et de maestria en allant voir "96 heures", essentiellement pour le numéro d'acteur de Niels Arestrup, moins bon toutefois que dans "Quai d'Orsay" où il incarnait à la perfection un directeur de cabinet blanchi sous le harnois et confit dans la diplomatie. Le brillant troisième âge cinématographique d'Arestrup est une raison d'espérer pour la France grisonnante.

Dans le domaine des arts plastiques et plasmatiques, deux expositions à noter. D'abord, quelques belles pièces de Van Gogh sont à Orsay, notamment des tableaux du musée d'Otterlo, difficiles à voir en dehors des Pays-Bas. Les commentaires ésotériques et décalés d'Artaud qui les accompagnent, quoique formellement séduisants, laissent souvent dubitatifs. L'idée que Van Gogh a été conduit au suicide par une société incapable de recevoir son génie mérite certainement qu'on la prenne en considération. D'autres explications sont au moins aussi convaincantes, notamment la relation trouble, névrotique et potentiellement incestueuse avec son frère : le coup de fusil que Vincent se donna dans le ventre étant comme un seppuku pour défaut de fertilité au moment où Théo se mariait. Mais laissons là ces glissants terrains pour déplorer, chez Van Gogh comme chez Zweig, cette calamiteuse tendance des grands esprits à céder à des moments d'affliction profonde.

Un dernier mot pour Bill Viola, au Grand Palais, avec ses vidéos où règnent le sentiment d'étouffement et la peur de la noyade. Intéressant mais un peu répétitif quand on les voit les unes après les autres. Viola devrait donner un tournant respirationniste à son oeuvre ...

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