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Est-il impossible de taxer les marchés financiers ?

Publié le 06 mai 2014 par Blanchemanche

Le Monde.fr | 05.05.2014 Par Mathilde Damgé
Le projet de taxe Tobin revient dans les discussions européennes mais le lobbying forcené des banques pourrait à nouveau avoir raison de cette tentative d'encadrement de la finance.

A trois semaines des élections européennes, la taxe Tobin européenne – appelée aussi taxe sur les transactions financières (TTF) – est au menu de la réunion des ministres des finances de la zone euro, lundi 5 mai, et des grands argentiers des Vingt-Huit, mardi 6 mai.


La TTF doit contribuer à la fois à la régulation financière, au redressement des finances publiques et à la solidarité internationale : « ces ressources additionnelles pourraient financer la lutte contre les grandes pandémies comme le sida ou le paludisme et la lutte contre le changement climatique », expliquait en janvier Pierre Moscovici – alors ministre de l'économie et des finances.Le principe de la taxe Tobin, du nom de l'économiste américain, qui, dans les années 1970, voulait lutter contre le court-termisme des marchés financiers, est celui d'une taxation très minimale de certains flux de capitaux. Longtemps portée par la gauche alternative (Attac notamment), elle a peu à peu fait consensus à gauche, voire au centre. Du moins en théorie.

Un engagement du candidat Hollande

En discussion depuis plusieurs années au niveau européen, la TTF était l'engagement numéro 7 du candidat François Hollande en 2012. Il s'agissait detaxer l'ensemble des transactions financières (y compris les produits dérivés). Mais deux ans plus tard, la montagne risque fort d'accoucher d'une souris.En effet, alors que la semaine dernière, le ministre des finances, Michel Sapin n'a pas hésité à parler d'« étape décisive », assurant : « Le serpent est en train desortir de la mer », tous ne sont pas aussi confiants. L'ancien ministre au développement, Pascal Canfin, s'est inquiété de l'issue du sommet européen dans le Journal du Dimanche du 4 mai :
« Le pire est qu'à l'issue de ces deux jours de réunion, les Etats ne parviennent qu'à un nouvel accord de principe sans conséquence concrète. Deuxième option, ils acceptent detaxer l'ensemble des transactions financières, actions et dérivés. Et là c'est un vrai succès. Enfin, ils peuvent partir sur un compromis : taxation des actions tout de suite puis extension de principe, un jour, à toutes les transactions. »
Or, selon le cabinet du même Michel Sapin, la discussion s'oriente vers un tel compromis.Lire en édition abonnés : Vers une taxe Tobin européenne a minimaLe ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble semble d'ailleurs avoir une opinion assez proche que le cabinet de Sapin. Il a déjà annoncé ce lundi, en marge de la réunion de la zone euro« les possibilités, les intérêts, la situation de chacun des pays qui participent sont si différents que, dans un premier temps, nous ne pourrons instaurer qu'une taxation limitée aux actions et à quelques dérivés, mais nous voulons trouver un accord là-dessus. »

Lobby bancaire

Le principe de cette taxe européenne consisterait à taxer à 0,1 % les échanges d'actions et d'obligations et à 0,01 % ceux des produits dérivés. Ces derniers pèsent lourd : instruments financiers créés à l'origine pour couvrir les risques des investisseurs (par exemple, pour permettre à des agriculteurs de se prémunircontre une baisse des cours du blé), ils ont désormais pris une place prépondérante dans les échanges.La valeur des produits financiers (titres de Bourse, matières premières, dettes d'Etat ou d'entreprises...) auxquels ils sont adossés représentait 550 000 milliards d'euros au premier trimestre au niveau mondial, dont 260 000 milliards d'euros enEurope. Et 7 % à 8 % seulement servent à des acteurs de l'économie réelle pour s'assurer contre des fluctuations de prix, le reste relevant de la spéculation financière.Un poids qui explique le lobbying acharné des banques, notamment françaises (BNP Paribas est le deuxième plus gros acteur du marché européen des dérivés), comme le montre le graphique ci-dessous.
BNP Paribas est le deuxième plus gros acteur du marché européen des dérivés.
Mais le lobbying se joue aussi au niveau d'Etats, comme le Luxembourg, leRoyaume-Uni ou même la France. Londres estime notamment que l'action des onze pays parties prenantes dans le processus de TTF nuirait à l'activité de la City. Le recours britannique auprès de la Cour de justice européenne a été rejeté en avril.Voir aussi le visuel interactif : Comment les lobbies détricotent la taxe sur les transactions financières10 FOIS MOINSLa Commission européenne estime que la TTF pourrait rapporter 34 milliards d'euros. Or, exclure les produits dérivés de la taxe rapporterait beaucoup moins qu'attendu. Dans le cas d'une taxe uniquement sur les actions « pour l'Europe, cela reviendrait à necollecter qu'environ 3 milliards d'euros », regrette Pascal Canfin, pour qui une telle« mini-taxe » ne correspondrait pas à la philosophie initiale du projet.

La France faible face aux banques

Certes, la promesse d'une « taxe sur toutes les transactions financières avec ceux en Europe qui voudront la mettre en place avec nous » figurait en bonne place en janvier 2012, dans le discours du Bourget de François Hollande. Mais quand, pour la Commission européenne et la coalition au pouvoir en Allemagne, la taxe devait toucher l'ensemble des produits financiers, y compris les plus spéculatifs, c'est-à-dire les produits dérivés, Bercy a tenté de vider le projet de la Commission de son contenu : Pierre Moscovici n'a pas hésité, dès l'été dernier, à parler d'une « proposition excessive » de la Commission européenne.« En osmose avec les banquiers, ils ont ainsi torpillé la réforme bancaire qui aurait dû séparer les activités de spéculation et les activités de crédit. Dernièrement, c'est la taxe européenne sur les transactions financières que Pierre Moscovici et Bercy étaient en train de saboter », accuse Thomas Coutrot d'Attac dans une tribune.Lire la tribune : Manuel Valls sauvera-t-il la taxe sur les transactions financières ?Certes, la France taxe déjà les échanges d'actions (des sociétés françaises dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d'euros) depuis 2012, ce qui lui rapporte 600 millions d'euros par an. Mais, force est de constater que les tentatives d'élargir cette taxation se sont soldées par des échecs, la dernière en date étant celle pour englober le trading haute fréquence, une technique de trading visant de tous petits bénéfices répétés à très grande échelle grâce à des ordinateurs.Lire : Trading haute fréquence, l'histoire d'un renoncementLes députés ont renoncé à renforcer la taxe en vigueur lors du débat sur la loi de finances 2014, en octobre, à la satisfaction du gouvernement qui estime qu'elle pénaliserait la place de Paris. L'amendement 240 a été retiré par le rapporteur de la commission des finances, le député (PS) Christian Eckert, qui en était l'auteur. Il est désormais secrétaire d'Etat chargé du budget.
  •  Mathilde Damgé 
    De l'éco, du décryptage et une pincée de data


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