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La transition énergétique sera citoyenne ou ne sera pas

Publié le 09 mai 2014 par Blanchemanche
La transition énergétique sera citoyenne ou ne sera pas
SUSANA JOURDAN ET JACQUES MIRENOWICZ vendredi 9 mai 2014
La transition énergétique sera citoyenne ou ne sera pasEn Allemagne, la transition énergétique a pour principal moteur une dynamique citoyenne très forte. Mais cet élan est menacé par les lobbies fossile et fissile qui ont raté le train de la transition et tentent de l’enrayer.
Samedi 10 mai 2014, des dizaines de milliers de personnes manifesteront dans les rues de Berlin pour s’opposer à la réforme de la loi sur les énergies renouvelables. Cette loi est à l’origine du tournant énergétique que le Bundestag doit réviser en juin.Or, le ministre de l’Economie et de l’énergie Sigmar Gabriel (Social démocrate, SPD) prévoit de baisser de 20 % les tarifs d’achat garantis et de plafonner l’essor du photovoltaïque et de l’éolien terrestre, les deux technologies les meilleur marché et les plus populaires de la transition énergétique en cours.Il est même envisagé, à l’horizon 2018, de supprimer les tarifs d’achat garantis. Toutes ces mesures auraient pour effet d’asphyxier la dynamique citoyenne à la base d’une évolution spectaculaire source d’inspiration et d’espoir pour les écologistes du monde entier.Qu’on en juge : en Allemagne, où la sortie du nucléaire est prévue pour 2022, l’atome fournissait 30 % de l’électricité en 2008. Depuis, sa part a régressé à 15 % pendant que l’électricité d’origine renouvelable bondissait de 8 % à 24 %. Les courbes de production d’électricité renouvelable et nucléaire se sont croisées en 2011.Or, les citoyens sont en très grande partie à l’origine de ce bouleversement : un kilowattheure renouvelable sur deux provient d’une coopérative d’énergie ou d’un équipement installé chez un agriculteur. Plus de 200 000 citoyens sont sociétaires des quelque 900 coopératives d’énergie recensées dans le pays. En 2005, la France et l’Allemagne étaient à égalité en production d’électricité d’origine renouvelable. Aujourd’hui, l’Allemagne en produit deux fois plus que la France.Les grands groupes ont raté le train de la transitionMais pendant que les citoyens allemands sautaient sur l’occasion qui leur était offerte avec des résultats impressionnants, les quatre grands électriciens du pays ont complètement raté le coche. Avec des conséquences sans précédent.Depuis 2011, le cours de l’action d’E.ON, plus grand producteur d’électricité allemand, a chuté de 33 %. RWE, le deuxième, a accusé en 2013 des pertes record de 2,8 milliards d’euros pendant que le troisième, EnBW, voyait son bénéfice divisé par dix et Vatenfall, le quatrième, enregistrait 1,5 milliard d’euros de pertes.Trop attachés à l’énergie fissile et fossile, ces grands groupes ont manqué le train de la transition et cherchent maintenant par tous les moyens à le freiner pour pouvoir monter en marche. Ils ont perdu un temps précieux à attaquer en justice la loi sur les énergies renouvelables, qui définit depuis 2000 des tarifs d’achat pour leurs différentes sources d’énergie. Aujourd’hui, ils veulent casser une dynamique contraire à leurs intérêts.Myriade d’effets positifsLa transition énergétique sera citoyenne ou ne sera pasPour la société allemande, en revanche, l’implication citoyenne dans l’énergie a des retombées positives extrêmement importantes et profondes. Tout d’abord, le fait qu’un projet d’équipement de production d’énergie renouvelable soit d’essence citoyenne conduit à une bien meilleure adhésion des populations affectées (bruit, impact paysager, etc.). Cet effet est systématique, y compris dans le domaine ultra conflictuel de l’éolien.Ensuite, de manière très spectaculaire, les coopératives d’énergie renouvelable favorisent les économies d’énergie. Un phénomène pour ainsi dire mécanique : toute implication dans une coopérative de production d’énergie conduit à réduire son usage en tant que consommateur.Les coopératives et les sociétés d’investissement citoyennes dans l’énergie ont pour autre effet considérable d’offrir sur un plateau un placement bancaire alternatif aux produits qui détruisent la biosphère. En moyenne, un particulier génère plus de CO2 en plaçant son argent dans une banque standard que dans sa vie quotidienne (en se chauffant, en mangeant, en se déplaçant, etc.).A contrario, l’énergie citoyenne représente un investissement protecteur du climat. Le raisonnement vaut bien sûr pour les déchets radioactifs et toute une cohorte de dégâts écologiques.Au final, l’énergie citoyenne construit une force sociale. Plus elle grandira, plus elle pèsera sur la scène politique en faveur de la nécessaire transition énergétique. Un signe clair de la dimension citoyenne de la transition allemande est le retour d’une partie des services locaux de l’énergie dans le giron public ou leur passage en mains coopératives.De 2010 à 2015, environ huit mille concessions pour la fourniture d’électricité et de gaz arrivent à terme. Or, sur les trois premières années, deux cent cinquante sont retournées vers le public, dont celle de Hambourg, seconde ville du pays avec son 1,8 million d’habitants. D’autres ont été confiées à des coopératives.Pour les collectivités, la motivation première est l’accès à un meilleur service à moindre coût. Mais les aspirations écologiques sont très fortes : de plus en plus de communes veulent négocier le virage énergétique plus rapidement que ce que le Gouvernement fédéral prévoit. Plusieurs tablent sur le 100 % renouvelable bien avant 2050.Les effets politiques de l’énergie citoyenne se manifestent aussi au niveau national. Le Danemark, qui a bâti un secteur éolien de taille mondial grâce aux coopératives d’énergie, est un cas d’école. Malgré un potentiel hydraulique nul, ce pays vise le 100 % renouvelable et évince peu à peu son charbon au profit du vent et de la biomasse pour produire le courant et la chaleur dont il a besoin.Or, en 2002, le chef du gouvernement conservateur nouvellement élu, Anders Fogh Rasmussen, a cru pouvoir tirer un trait sur les énergies renouvelables, jugées contraires aux intérêts du marché. Mais en 2008, selon toute vraisemblance sous la pression de son propre électorat, il a dû opérer un virage à 180 degrés.En Allemagne, l’histoire dira si les lobbies fossile et fissile réussiront à détruire la transition énergétique déjà bien avancée. Mais cela ne sera pas si facile, car aussi puissants soient-ils, ces lobbies ont désormais en face d’eux une vraie force citoyenne et pas uniquement des ONG environnementales sans véritable base sociale et des partis écologistes minoritaires largement impuissants.L’espoir reste donc de mise que la citoyenneté allemande pourra continuer de montrer au monde qu’elle peut déplacer des montagnes de CO2 et de déchets radioactifs et les remplacer par des énergies renouvelables.« Petits » obstacles, grands effetsA l’heure où la France doit elle aussi adopter une loi sur la transition énergétique, dont le principal objectif sera de diminuer la part du nucléaire dans la fourniture d’électricité, les cas allemand et danois font la démonstration que le défi de cette transition se pose d’abord en termes de construction d’une dynamique sociale porteuse de poids politique avant d’être un problème d’ingénieurs. Il faut le répéter : la transition énergétique sera citoyenne ou ne sera pas.Or, en France, les règles du jeu administratif dressent devant les citoyens une batterie de « petits » obstacles qui ont de quoi décourager les plus battants : une fois additionnées, les mille et une barrières bureaucratiques pour réunir les fonds nécessaires, obtenir un accompagnement technique, être raccordé au réseau, etc. font qu’il faut huit ans en moyenne dans ce pays pour monter un projet éolien contre deux ans et demi en Allemagne. Le diable énergétique, en France, est en grande partie logé dans ces détails.
Source : Courriel à ReporterreSusana Jourdan et Jacques Mirenowicz sont rédacteurs en chef deLaRevueDurableLe numéro 51 de LaRevueDurable, décrit et analyse en détail les rouages de la révolution citoyenne de l’énergie en cours en Allemagne et ailleurs.La transition énergétique sera citoyenne ou ne sera pasPhotos :
. chapo : Terra Eco
. maisons solaires : Truthdig
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