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Pourquoi faut-il lire Hannah Arendt ?

Publié le 17 mai 2008 par Ttdo

Article en forme de plaidoyer pour redécouvrir une œuvre souvent citée mais peu lue et encore plus rarement travaillée alors même que sa pertinence n’a jamais été aussi forte.

Nous vivons aujourd’hui une triple crise.

Une crise économique. Une réaction en chaîne non maîtrisée nous a fait passer de la relation marchande à la toute puissance de la seule raison économique. Une construction européenne marquée très fortement du sceau de l’ordolibéralisme a fait de la concurrence et du marché une nouvelle idéologie, au sens où l’entendait Arendt pour les deux totalitarismes du siècle dernier : la logique d’une idée poussée à son terme et emportant tout sur son passage. Le libéralisme, sous ses deux formes complémentaires politique et économique, sous couvert de moindre mal nous conduit plutôt au « meilleur des mondes ». L’augmentation de la productivité, due aux nouvelles technologies et aux nouveaux modes d’organisation, détruit plus de travail que l’extension des marchés n’en produit et induit les premiers signes d’une sortie du capitalisme.

Quelques auteurs à lire : Jean-François Billeter, Christian Laval, Jean-Claude Michéa, André Gorz

Une crise de la démocratie. Depuis la fin des années 1970, Le développement du « supercapitalisme » favorise le consommateur et l’investisseur aux dépens du citoyen, fragilisant fortement la démocratie. Démocratie qui vit par ailleurs une seconde crise de croissance qui rompant les équilibres établis la rend immaîtrisable au nom même de la démocratie. Démocratie enfin attaquée par le développement de l’idéologie gestionnaire qui s’étend à l’ensemble de la société.

Quelques auteurs à lire : Robert Reich, Marcel Gauchet, Vincent de Gaulejac

Une crise de civilisation. Alors même que nos sociétés font du travail la valeur centrale et le principal élément de lien social,l’extension, la destruction et la précarisation croissante des emplois salariésrendent de plus en plus de travailleurs superflus, les excluant du même coup de la vie publique et politique. L’habitude du travail, essentielle au fonctionnement du capitalisme, tend ainsi à disparaître. Avec la consommation c’est l’autre volet essentiel au capitalisme qui est en crise. La libido, qui est l’énergie du capitalisme, tend à s’épuiser et, avec elle, la sublimation comme pouvoir de socialisation, laissant la place au règne des pulsions. Enfin notre temps semble être celui non pas seulement de « la » mais des catastrophes, climatiques, économiques ou politiques, sociales ou médicales.

Quelques auteurs à lire : Dominique Méda, Bernard Stiegler, Eric Hosbawn, Zygmunt Bauman,Gunther Anders, Jean-Pierre Dupuy, N° de Mars-Avril Revue Esprit sur le temps des catastrophes

La pensée politique de Hannah Arendt est de mieux en mieux connue grâce aux travaux d’auteurs anglo-saxons, insuffisamment traduits en France. Margaret Canovan a ainsi mené à bien en 1992 une réinterprétation complète de la pensée politique de Hannah Arendt en s’appuyant sur des écrits non encore publiés pour éclairer la démarche et identifier les « fils de pensée » (Trains of Thougth) de Hannah Arendt tout au long de son œuvre. Elle a aussi écrit une remarquable introduction à la seconde édition en 1968 de « The Human Condition ». Elizabeth Young-Bruel, ancienne élève de Hannah Arendt et sa première biographe, a publié à l’occasion du centenaire de sa naissance un livre dont le titre est tout un programme « Why Arendt matters ? ». Jonathan Schell a rédigé une préface très intéressante à la dernière édition de « On Revolution », livre dont il n’existe plus de traduction en français. Enfin Jerome Kohn, ancien assistant de Hannah Arendt et directeur du Hannah Arendt Center, a assuré l’édition de plusieurs recueils d’articles non encore publiés et versés au fond de la « Library of Congress ». Grâce à ces travaux, et à quelques autres, Il est maintenant possible de percevoir la cohérence d’une pensée jalonnée par la publication de quelques livres célèbres : Les origines du totalitarisme, La condition humaine, Entre passé et futur, Sur la révolution, Eichmann à Jérusalem, La vie de l’esprit.

Cette œuvre peut nous aider à penser ce que nous faisons. A comprendre les origines du totalitarisme, à comprendre les éléments de totalitarisme présents dans le Marxisme, à penser la condition humaine, à penser les liens entre morale et politique dans l’âge post-totalitaire, à penser un nouveau républicanisme, à penser les liens entre philosophie et politique…

Cette pensée peut être confrontée utilement à quelques approches contemporaines : la méthode d’Edgar Morin, l’individuation de Gilbert Simondon, la contreproductivité et l‘hétéronomie d’Ivan Illich, la croissance ou le progrès de Christian Comeliau, la propension des choses de François Jullien, la traduction vue par Jean-François Billetter, le catastrophisme éclairé de Jean-Pierre Dupuy, les niveaux d’organisation du vivant d’Henri Laborit, l’approche des situations de Dominique Fauconnier, l’acte vu comme aventure par Gérard Mendel, les nouveaux principes d’efficacité du monde industriel décryptés par Pierre Veltz, Bruno Latour, Jacques Ellul, René Girard,….

Cettepensée peut enrichir des expériences actuelles : les Ateliers de la citoyenneté, l’association « trans-politique » Utopia, l’Atelier des métiers, MediaPart, Esprits libres,…

En résumé cette pensée peut nous aider à retrouver le sens et les chemins du vivre ensemble dans un monde global et complexe.


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