Magazine

La question de la maison de la sagesse

Publié le 17 mai 2008 par Vincent

Byzance me signale qu'à cette adresse on trouve une réaction de  Marie-Geneviève Guesdon (publiée avec le consentement de l'auteur ? Le blog ne mentionne pas si le texte a été initialement publié ailleurs) après avoir constatée l'utilisation que fait Sylvain Gouguenheim dans Aristote au Mont Saint-Michel d'un article qu'elle a écrit en 1992 au sujet de la Maison de la Sagesse (dans la revue Arabica), bibliothèque et lieu de rencontre de savants au IXe s. à Baghdad. Il me demande mon avis et c'est avec plaisir que je lui réponds car c'est quand même une question trop souvent instrumentalisée au profit d'une grande ouverture (ou non) de l'époque abbasside (et par extension de la civilisation arabo-musulmane) à l'influence grecque.

Saine lecture, le Gutas (1998) dont j'ai parlé tant de fois qui dit à ce propos: En réalité, nous savons peu de choses sur le bayt al hikma ( = maison de la sagesse). Cela est en soi un indice sur le fait que ce n'était pas quelque chose de grandiose ou d'important et, par conséquent, une interprétation minimaliste serait plus en accord avec les documents historiques. Nous sommes à la page 97 de l'édition française et une note nous parle de l'article de M-G Guesdon (1992): le réexamen récent du problème par M. G. Balty-Guesdon (...) offre une discussion raisonnée et méthodique sans toutefois éviter les prétentions excessives; en outre, il laisse totalement échapper le contexte sassanide et ses implications qui seront mentionnées plus loin. (...). L'étude de Balty-Guesdon est gâchée par les inexactitudes dans les références en particulier par l'usage de l'édition du Fihrist ( = Ibn Nadim) la moins classique, l'édition non datée de Beyrouth. Dans sa préface à l'édition de 2005, Gutas renvoie à un article du professeur P.S. van Koningsveld intitulé Greek manuscripts in the early Abassid empire: fiction and facts about their origin, translation and destruction (Bibliotheca Orinetalis, 55, 1998, pp.354-3752) qui selon lui rejoint sa vision critique. Je n'ai pas lu cet article à la différence de celui de M-G Guesdon.

Celui-ci, encore trop excessif aux yeux de Gutas, est particulièrement prudent. L'auteur fait remarquer dès le début : Les indications précises concernant les livres qu'on y trouvait sont rares (p.132). La date de la fondation de cette bibliothèque (830/832), ajoute-t-elle, est plus extrapolée que mentionnée réellement quelque part (p.133-134). A la page 137, l'auteur remarque bien le fait que les commandes de traduction étaient privés (après avoir postulé un point d'impulsion du bayt al hikma, point d'impulsion qui n'existe pas selon Gutas ). M.G. Guesdon explique également qu'il n'y a pas lieu d'associer l'école de traduction de Hunayn et la maison de la sagesse, encore moins de faire de Hunayn le directeur de cette maison de la sagesse ! Elle est prudente lorsqu'elle dit par exemple: le bay al hikma put être (...) le lieu privilégié d'une rencontre entre philosophie et religion (p. 148). Elle relève à la page 149 le flou sur la date de disparition de cette maison de la sagesse et émet in fine l'hypothèse que l'interdiction  de discuter de la création du Coran ait rendu inutile cette bayt al hikma.

Dimitri Gutas de la page  95 à 105 de son livre fait la démonstration assez convaincante que cette maison devait avoir pour rôle d'institutionnaliser les traductions du pehlvi en arabe (Mme Guesdon avait déjà pointé le fait que c'est surtout ce type de traduction qui est mentionné par les textes en notre possession), ce qui correspond à sa thèse de fond, à savoir que la traduction des textes grecs en arabe a pour origine le zoroastrisme et qu'il s'agissait de reconquérir ce qui avait été pillé par Alexandre et transmis sous langue grecque. Il rectifie le texte de Nadim, minimise al Qifti et les autres auteurs trop tardifs ou sujets à caution. Cette thèse minimaliste me semble en l'état des choses assez convaincante, quant à la thèse d'une idéale maison de la sagesse, lieu de traduction gréco-arabe et de discussion, elle semble douteuse. Ce qui ne veut pas dire, contrairement à ce qu'affirment des sites hostiles à l'islam en France, que ce soit un argument contre la civilisation arabo-musulmane médiévale. Il y avait en effet une élite cultivée, à défaut d'une institution. Sur ce coup là, je donne raison à Gouguenheim qui pointe une vision ethnocentriste: nous voulons à tout prix voir une institution là où le monde arabe a fonctionné par cercle.

J'ai lu la réaction de Mme Guesdon (qui a bien le droit de réagir après tout !), laquelle maintient sa thèse, en dépit des publications postérieures (l'article date quand même de 1992). Je ne sais pas si elle a répondu quelque part aux arguments de D. Gutas, je serais curieux de savoir ce qu'elle y répond. Il est curieux cependant qu'elle s'inquiète de l'usage fait par l'auteur de son article (qui confondrait une source et son utilisation abusive ?). De toute façon, une relecture des pages  133 à 135 du livre de Sylvain Gouguenheim ne montre aucune erreur et si l'auteur s'était appuyé sur Gutas, sur ce point là  en particulier, il aurait pu soutenir sa thèse avec plus de force encore.

* Quelques liens à propos du livre de Gouguenheim:

- Une contribution intéressante là et là sur le blog de  Bisogna Morire

- Une critique équilibrée  tempère certains éléments en vue d'une réédition.

- Une analyse intéressante là sur les blogs qui sont le plus mis en avant- ceux d'extrême-droite. L'auteur souligne avec beaucoup de finesse que celui qui ferait une recherche sur le livre aurait peu de chances d'avoir un avis objectif.

P.S: PC en réparation pour le début de la semaine prochaine. Donc si je ne réponds pas tout de suite, ne vous inquiétez pas.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Vincent 3 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog