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Déclarer

Publié le 15 mai 2014 par Rolandlabregere

Le panneau lumineux indique « Attente : 1 HEURE ». Il faudra patienter pour rencontrer un agent afin de se faire aider à remplir la feuille d’impôt. La file des contribuables est canalisée par de molles cordes gainées de velours fatigué. Elles reposent sur des supports argentés et montrent la recherche d’une organisation au service de l’usager et le souci de l’ordre. Une heure, vraiment une heure, c’est une longue attente. Des agents surveillent. Les éventuels resquilleurs sont ainsi tacitement prévenus qu’ils pourraient être repérés. Devant moi, un néo-contribuable s’impatiente. « Une heure pour avoir une feuille d’impôt, ça me gave… j’aimerais pas travailler ici ». Une contribuable expérimentée et à la mine revêche répond à la volée au risque d’être entendue. « Pour une fois qu’ils travaillent, c’est sûr ils vont être fatigués à la fin de la journée ». Une gêne à peine perceptible s’installe en amont et en aval de la dame qui vient pour « faire vérifier la feuille que son mari a passé des heures à remplir ». Le ton de la voix indique qu’elle est prête à dire que son mari, au moins, lui, il travaille. Mais non, elle n’en dira pas plus, se réservant sans doute pour le tête-à-tête avec l’agent que le sort va lui désigner. Une pensée compassionnelle pour l’agent me traverse.

Dans ce pays, le mois de mai a deux traditions. Celle des révolutions et celle des impôts. Régulièrement, des politiques essayent d’en faire la synthèse en annonçant la nécessité d’une révolution fiscale mais elle tarde à venir. Les révolutions trouvent aujourd’hui difficilement preneurs. Les impôts restent donc dans la tradition. La justice fiscale fait les bons moments des meetings de campagne électorale. Sans que personne n’y prenne garde, l’expression est devenue un exemple d’oxymore qui tracasse celui qui y réfléchit. L’élection faite, il ne peut être question que des efforts auxquels doivent consentir les citoyens. L’expression justice fiscale ne manque jamais de déclencher quelques sourires à double fond ou des commentaires irrévérencieux. Est venu en écho le temps de la croissance zéro, oxymore absolu très prisé des politiques pour s’exonérer de leur impuissance. Michel Sapin, ministre des finances en exercice, ne se prive pas de se protéger en répétant que « cinq années de croissance zéro ont créé une situation catastrophique ». (Le Monde, 3 mai 2014). Quand Le Monde.fr (15/05/2014.) titre « croissance nulle », Michel Sapin répond « ce n'est pas grave mais cela conforte toute la politique que nous menons aujourd'hui ». Croissance zéro se taille la part du lion dans la logorrhée du discours politique. En associant le symbole numéral qui représente une valeur nulle à un substantif qui suggère le dynamisme, le ministre laisse entendre qu’il peut se prévaloir de résultats favorables voire positifs. L’oxymore est le lifting du mensonge.

Pourtant, il ne devrait pas être compliqué de définir les termes d’un impôt conforme à des principes impartiaux qu’une démocratie pourrait s’enorgueillir de mettre en place. Si l’impôt intègre et rassemble les citoyens dans un projet partagé et accepté, il ne doit être qu’une contribution à la vie collective à proportion des ressources de chacun. Jadis, par un effet métonymique, l’Hôtel des Impôts était désigné sous le nom de contributions. L’impôt servait alors à ce que chaque citoyen contribue à la vie publique. Quand on entendait « Je vais aux contributions », il fallait comprendre que la personne allait accomplir une démarche administrative auprès des services fiscaux. Contribuer, c’est comprendre. La compréhension précède l’acceptation.

Avec sa première déclaration, le jeune contribuable accomplit un des rites qui marque l’entrée dans la vie adulte. L’autre rite est celui du permis de conduire, passeport, parfois inaccessible et souvent onéreux, pour l’autonomie et la mobilité. L’administration fiscale les désigne sous la terminologie de primo déclarants. Presque une identité, Primo Déclarant. Ces débutants de l’impôt savent-ils qu’ils entrent dans un jeu de lois, un maquis de réglementations qui invitent à chercher comment payer le moins possible quand tout est prévu pour ponctionner chacun du maximum ? Sur la ligne de départ, les citoyens ne sont pas en situation d’égalité. Ceux qui n’ont rien à cacher ignorent les ruses de ceux qui connaissent les petites niches. Pour payer peu ou pas, il vaut mieux être un héritier. Si les politiques réfléchissaient à l’adhésion des jeunes générations à la vie publique, ils découvriraient que la citoyenneté ne se décrète pas. Elle procède d’une volonté et d’une compréhension. Les 50 milliards d’économies à réaliser au bénéfice du patronat sonnent comme une purge pour la jeunesse, enjeu qui avait été bien mis en avant par le discours du Bourget du candidat Hollande.

Faire sa déclaration peut être entendu comme une forme paradoxale de l’insertion citoyenne. Faire sa première déclaration, c'est appartenir au groupe de ceux qui contribuent mais en même temps être exclu, et pour longtemps, de la redistribution. La gauche n’est jamais autant de droite que quand elle se complaît à installer des dispositions antisociales et quand elle s'accommode des inégalités. Plus que le changement, c’est désormais une stratégie. Plus qu'une habitude, c'est le reflet de l'atavisme du parti socialiste. Se faire élire à gauche et gouverner comme la droite. Voilà de l’eau pour le moulin de ceux qui sont heureux d’annoncer que gauche ou droite, c’est même pareil. Blanc bonnet et bonnet rouge.


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