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Souvenirs d'un révolutionnaire (G. Lefrançais)

Publié le 16 mai 2014 par Despasperdus

« Je meurs de plus en plus convaincu que les idées sociales que j'ai professées toute ma vie et pour lesquelles j'ai lutté autant que j'ai pu sont justes et vraies. Je meurs de plus en plus convaincu que la société au milieu de laquelle j'ai vécu n'est que le plus cynique et le plus monstrueux des brigandages. Je meurs en professant le plus profond mépris pour tous les partis politiques, fussent-ils socialistes, n'ayant jamais considéré ces partis que comme des groupements de simples niais dirigés par d'éhontés ambitieux sans scrupules ni vergogne. »

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Ne trouvez-vous pas que ces lignes de Gustave Lefrançais, lues à son enterrement, sont terriblement actuelles ? Ce révolutionnaire est décédé le 16 mai 1901 après une vie bien remplie, au service de la République sociale. Eugène Pottier lui dédia L’Internationale.

« En livrant au lecteur ces notes et souvenirs relevés presque tous en leur temps, je ne prétends faire ni de l'histoire ni de l'autobiographie. (...) Mais ayant pris part depuis bientôt quarante ans aux efforts communs pour hâter l'heure de la délivrance, j'ai cru que, peut-être, il serait intéressant pour les nouveaux de l'armée révolutionnaire de savoir quelles impressions produisirent sur l'esprit d'un "jeune" d’autrefois les événements qui se déroulaient devant lui, portant dans leurs flancs la révolution sociale et comment ainsi se forma sa conscience. »

Homme libre n'appartenant à aucune formation politique, Lefrançais ne put, à de très rares exceptions qu'il narre avec humour, exercer son métier d'enseignant. Il sera d'ailleurs révoqué après sa participation aux journées de juin 1848. De l'interdiction de séjour à Paris après l'écrasement de la révolution de juin 1848 jusqu'à sa condamnation à mort par contumace le 30 août 1872, en passant par son exil à Londres et son retour dans la capitale où il participa à divers meetings tolérés par le Second Empire, Lefrançais fut un infatigable militant qui se définissait comme communiste antiautoritaire :

«Il faut distinguer entre la République et les républicains. Qu'il est hors de doute qu'aujourd'hui, comme il y a cinquante ans, la République n'est, pour le plus grand nombre de ceux qui s'en prétendent partisans qu'un moyen de se créer des situations - impossibles pour eux sous une monarchie, les avenues du Pouvoir étant soigneusement gardées contre eux par des privilégiés de la naissance et de la fortune dont la royauté a besoin de s'entourer pour sa propre sécurité -; mais cela n'a rien à faire avec l'idée même de République qui, dans la conception moderne, n'a de valeur propre que parce qu'elle correspond à la suppression au moins graduelle du principe d'autorité. (...) Qu'enfin si les républicains sont le plus souvent peu dignes de la confiance qu'on leur accorde, cela n'infirme en quoi que ce soit la supériorité de la République - qui réserve l'avenir aux générations futures - tandis que la monarchie confisque cet avenir au seul profit de sa dynastie.»

Lefrançais narre, presque au jour le jour, sa vie et celle de ses proches, ses difficultés pour vivre décemment, les brimades du pouvoir républicain puis impérial, la lâcheté des républicains lors du coup d’État de 2 décembre 1851, les arrestations, les conditions de détention, les procès, l'espoir et les terribles répressions de 1848 et de 1871.

« Cette catégorie de socialistes se compose généralement de petits bourgeois, commerçants ou industriels de province, qui aiment à deviser réforme sociales... à venir, et à à venir lentement surtout. »

La galerie de portraits d'amis et de camarades, de traitres et d'ennemis de son temps est impressionnante : Vallès, Varlin, Blanqui, Barbès, Proudhon, Leroux, Blanc, Déjacque, Delescluze. Et la description de la vie quotidienne, de la misère, de l'arbitraire du régime, des exilés londoniens et de leurs divisions internes, des réunions clandestines, des journaux qui ont maille à partir avec la censure et des meetings est passionnante.

« Je ne crois ni à la possibilité ni surtout à la valeur d'une dictature comme moyen de faire triompher la révolution sociale. Je ne sais ni homme ni groupe qui soit de taille à résoudre seul les multiples problèmes qu'elle soulève, quels que soient l'intelligence et le dévouement du dictateur et de ses amis. Je ne puis donc être banquiste. Mais je n'en ai pas moins pour Blanqui, dont toute la vie a été généreusement sacrifiée sans réserve à la Révolution, le respect auquel il a droit (...). »

Plus passionnants encore sont les récits qui immergent le lecteur d'une part dans la révolution de février 1848 dévoyée par le gouvernement républicain et l'assemblée, puis dans la réaction barbare à l'insurrection des journées de juin. Et d'autre part, dans la Commune avec ses espoirs, ses erreurs, ses divisions entre les partisans du Comité de salut public et les minoritaires qui comme lui, estimaient que le Conseil de la Commune suffisait, et la victoire sanglante des versaillais.

« Paris est donc maintenant tout entier à la Révolution. Mais on a laissé passer le moment d'occuper Versailles. L’assemblée et le gouvernement s'y sont réunis et peuvent y organiser une plus sérieuse résistance que celle des Tirard et consorts. C'est un grand malheur. Irréparable peut-être. »

Ce récit est un témoignage de première main sur le mouvement ouvrier français de la deuxième moitié du XIXème siècle. Remarquablement bien écrit dans un style alerte qui ne manque ni d'humour, ni de distance pour décrire des situations, parfois cocasses, parfois terribles. Ce livre se dévore comme un roman. De plus, la lecture est d'autant plus agréable que Gustave Le français qui a été un militant de tout premier ordre, notamment lors de la Commune, fait preuve de modestie ne tombant pas dans les deux écueils suivants : glorifier sa propre personne et donner des leçons.

« Puisque je ne puis lire avec calme, si je profitais de ma réclusion pour me demander ce qu'était ce grand mouvement pour lequel tant de dévouements et tant d'intelligences se sont généreusement sacrifiés; et aussi pourquoi il soulève de si lâches et si unanimes colères. Prétendre que ceux qui y prirent part à un titre quelconque aient tout de suite compris nettement l'immense portée de la révolution du 18 mars, j'avoue en conscience qu'en ce qui me concerne ce serait fort inexact. »

Un grand merci aux éditions La Fabrique pour la réédition des Souvenirs d'un révolutionnaire (de juin 1848 à La Commune). Je publierai bientôt un extrait savoureux de ces souvenirs.

« Les vrais “crimes” de la Commune, ô bourgeois de tous poils et de toutes couleurs : monarchistes, bonapartistes, et vous aussi républicains roses ou même écarlates ; les vrais crimes de la Commune qu’à son honneur vous ne lui pardonnerez jamais ni les uns ni les autres, je vais vous les énumérer (...) La Commune a démontré que le prolétariat était préparé à s’administrer lui-même et pouvait se passer de vous (...) La réorganisation des services publics que vous aviez abandonnés en est la preuve évidente (...) La Commune a tenté de substituer l’action directe et le contrôle incessant des citoyens à vos gouvernements, tous basés sur la raison d’État, derrière laquelle s’abritent vos pilleries et vos infamies gouvernementales de toutes sortes... Jamais, non jamais, vous ne le lui pardonnerez. »

Bonne lecture.


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