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Europe : la démocratie se conquiert par la base !

Publié le 17 mai 2014 par Sylvainrakotoarison

Une révolution est un train de se dérouler sous nos yeux. Une sorte de nouveau Serment du Jeu de paume. Les cinq candidats à la Présidence de la Commission Européenne se sont engagés sur le fait que l’un d’eux serait effectivement le prochain Président de la Commission Européen. Le Conseil Européen se trouvera-t-il ainsi dépassé par un nouveau pouvoir, celui des citoyens européens ?

yartiDebatUE2014051501Eurovision ne sert pas seulement qu’à diffuser des chansons de chanteuses à barbe. Cela sert aussi à retransmettre des débats électoraux. Et ce fut le cas ce jeudi 15 mai 2014 à 21h00 où les cinq candidats à la Présidence de la Commission Européenne ont participé à un débat contradictoire dans le cadre de la campagne des élections européennes du 22 au 25 mai 2014. Ce débat, qui s’est déroulé dans l’hémicycle du Parlement Européen à Bruxelles (pas à Strasbourg), a été retransmis (entre autres) par les chaînes françaises LCP-Public Sénat, i-Télé et Arte.

C’est une première historique sur des chaînes de télévision accessibles à tous que le débat électoral soit maintenant supranational pour les élections européennes et cela montre à l’évidence qu’il y a un réel enjeu.

De gauche à droite sur l’écran, participaient à la soirée : le Grec Alexis Tsipras, représentant de la gauche radicale, la jeune Allemande Ska Keller, représentante des écologistes, l’Allemand Martin Schulz, Président du Parlement Européen sortant et représentant des socialistes et sociaux-démocrates, l’ancien Premier Ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, représentant du PPE (centre droit), et enfin, l’ancien Premier Ministre belge Guy Verhofstadt, représentant des centristes (libéraux et démocrates).
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Il n’y a aucun représentant de l’extrême droite puisque celle-ci n’a investi aucun candidat à la Présidence de la Commission Européenne. Elle s’est trompée d’élection. Le FN se croit en pleine expansion dans les sondages en France, mais par son absence, il a raté le train de l’histoire.

Le décrypteur habituel des émissions télévisées, Daniel Schneidermann, remarquait dans sa chronique de ce 16 mai 2014 : « Et même, disons le mot, j’ai assisté à une vraie rencontre, celle de l’Europe et de la télé. Oui, l’Europe institutionnelle, pas l’Europe en creux (Bruxelles la punitive, le dumping social allemand), ni l’Europe-coups de gueule (Cohn-Bendit et ses gueulantes pour zapping), ni même, hélas, l’Europe des anti-Europe (l’absence de tout représentant de la mouvance lepénoïde laissait tout de même une désagréable impression d’entre soi), mais l’Europe du cœur de la machine, avec sa palette de visages, ceux des éléphants (Juncker, Verhofstadt, Schulz, tous les trois zoologiquement intéressants, chacun son genre), comme ceux des outsiders Tsipras et Keller, les plus attendus évidemment, c’est-à-dire dont on attend sans trop y croire qu’ils nous donnent envie d’aller voter. ».

La "désagréable impression d’entre soi" est imputable à la seule "mouvance lepénoïde" elle-même qui avait refusé de désigner un candidat à la Présidence de la Commission Européenne, choix d’ailleurs logique par rapport à son discours antieuropéen pas très constructif mais quand on refuse de jouer, il ne faut pas reprocher aux autres de vouloir jouer.

La langue du débat était l’anglais, car il était retransmis dans les vingt-huit pays de l’Union Européenne, mais Alexis Tsipras a parlé en grec et Jean-Claude Juncker en français. Les autres ont parlé un anglais excellent. Tous, à l’exception de Jean-Claude Juncker, avait un certain charisme, Ska Keller, la seule femme de l’assemblée, en avait sans doute un peu plus que les autres avec ses sourires et sa rapidité d’esprit.

Cependant, les conditions de ce débat ont pu favoriser parfois l’ennui des téléspectateurs français, en raison de la traduction orale qui était assez difficile à écouter en doublage (il aurait mieux fallu laisser la version originale et sous-titrer en français en direct comme les moyens technologiques le permettent maintenant dans les conférences internationales), et le format du débat, avec trop de questions, une seule minute de réponse par question, qui rend l’exercice de synthèse très périlleux pour des sujets complexes, des applaudissements à chaque fin d’intervention qui nuisaient à la bonne compréhension de l’ensemble.

Honte aux chaînes françaises nationales et généralistes, France Télévisions et TF1, qui n’ont jamais voulu intéresser les citoyens français à cette campagne cruciale des élections européennes. À l’exception peut-être d’Alexis Tsipras dont je n’ai pas connaissance des compétences linguistiques, les autres candidats sont capables de parler français et un débat organisé spécifiquement en France en langue française n’aurait pas été superflu, sachant que la France est le deuxième pays le plus peuplé de l’Union Européenne après l’Allemagne qui jouit, elle, de son côté, de deux candidats allemands même si ceux-ci sont férocement opposés à la Chancelière Angela Merkel.

Ici, le télélecteur français pourrait ne pas se sentir concerné, ne pas s’identifier, pourrait se sentir même exclu d’un débat qui n’est pas dans sa langue et dans lequel aucun Français n’est présent (Michel Barnier avait voulu être le candidat du PPE à la place de Jean-Claude Juncker et l’aurait probablement remplacer avec avantage).

La France semble en effet peu impliquée sur le plan européen aujourd’hui, à la veille des élections européennes, aucun candidat chef de file, et aussi, le Président François Hollande soutient du bout des lèvres le chef de file de son courant politique, Martin Schulz, tandis que l’UMP est assez divisée au point de donner comme raison de voters pour ses listes la possibilité de sanctionner le pouvoir socialiste sans s’aventurer avec le FN qui ferait, malgré lui, le jeu du PS. Seules en France, les listes centristes (UDI et MoDem) sont ouvertement, passionnément et unanimement favorables à la construction européenne.
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L’impression générale qui est ressortie de ce débat pouvait peut-être faire ressentir un peu de confusion, car il était difficile de s’y retrouver entre les propositions des uns et des autres, sur ce qui esquisserait les réels clivages.

Il était assez compréhensible qu’Alexis Tsipras se distinguât un peu mieux des autres en dénonçant la "troïka" (UE, BCE, FMI) dans les pays où l’austérité budgétaire est imposée : « Si nous voulons vraiment sortir de cette crise, nous devons investir dans le développement et la cohésion sociale. ».

Ce à quoi Jean-Claude Juncker, qui fut longtemps président de l’Eurogroupe, a tenu à répondre : « J’accepte beaucoup de reproches mais je n’accepterai jamais que nous avons été insuffisamment solidaire de la Grèce ! » en rappelant qu’il a passé des mois, jour et nuit, plutôt la nuit d’ailleurs, à travailler et faire avancer ce sujet des dettes souveraines.

Qui aurait gagné ou perdu le débat ? C’est un jeu journalistique qui n’a pas beaucoup d’intérêt. À l’évidence, Jean-Claude Juncker, soutenu par Angela Merkel, n’a pas montré beaucoup d’enthousiasme ni de passion ni même de leadership pour l’Europe. Au contraire, Guy Verhofstadt a été très combatif, très actif pour reprendre par la base, par les électeurs, les cartes de la construction européenne dont les dérives bureaucratiques sont dénoncées avec raison. Jean Quatremer, de "Libération", a donné l’avantage à Ska Keller « qui a montré que la jeunesse avait faim d’Europe et qui a donné faim d’Europe » tandis que son collègue toujours de "Libération" Dominique Albertini a trouvé que Guy Verhofstadt avait bien marqué son territoire, comme Alexis Tsipras du reste. En revanche, Martin Schulz, contrairement à d’habitude, a été moins percutant.

En fait, l’enjeu ne se situe pas là. Il ne se situe pas dans le choix de l’un ou l’autre, il se situe au niveau des institutions européennes et je ne sais pas si les citoyens européens peuvent aujourd’hui se rendre compte que le vent de l’histoire est en train de passer.

Effectivement, à la fin du débat, amorcé par Guy Verhofstadt, mais repris en chœur par ses quatre autres concurrents, l’idée que le futur Président de la Commission Européenne serait parmi eux cinq a été admise. C’est un énorme pas dans la démocratisation de l’Union Européenne.

Dans les textes (le Traité de Lisbonne), c’est le Conseil Européen (donc, les chefs d’État et de gouvernement des vingt-huit États membres) qui désigne le nouveau Président de la Commission Européenne. Jusqu’à aujourd’hui, cette désignation s’est toujours faite dans l’opacité la plus regrettable, avec des compromis qui sont loin de donner à l’Europe un véritable manager. Comme l’a rappelé dans "Les Échos" le directeur des études de la Fondation Robert Schuman, Thierry Chopin : « Une union de cinq cent millions de citoyens ne peut se passer de leadership. ».

Or, grâce au Traité de Lisbonne que beaucoup, en France, semblent contester, le Parlement Européen a désormais le pouvoir, le réel pouvoir, de rejeter le choix du Conseil Européen. C’est donc avec émotion qu’on pouvait entendre les chefs de file de tous les groupes prêts à s’investir dans le travail européen refuser clairement un éventuel diktat issu du Conseil Européen. Un peu à la manière de l’arrivée du Cartel des gauches en 1924 et de l’épreuve de force entre Alexandre Millerand et Édouard Herriot.

La question sera évidemment : est-ce tout le monde, de ces candidats, ira jusqu’au bout de cette logique institutionnelle ? L’enjeu est pourtant énorme : si le Conseil Européen réussissait à choisir une autre personnalité, dite de compromis comme toujours, cela signifierait qu’il se coucherait sur le suffrage universel, sur les cinq cents millions d’Européens qui auront élu leurs 751 députés européens.
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Rendons à César ce qui lui appartient : c’est bien Martin Schulz qui a initié cette démarche de vouloir investir des candidats à la Présidence de la Commission Européenne, dès le début de l’année 2013. De plus, Président du Parlement Européen, il est bien placé pour représenter le point de vue des parlementaires européens face au Conseil Européen auquel il s’est durement opposé lors de l’élaboration du budget européen 2014-2020. Ce jeudi soir, Martin Schulz a réaffirmé sa détermination en mettant clairement les points sur les i (d’institutions) : « S’ils osaient désigner quelqu’un d’autre, lui ou elle n’obtiendrait pas une majorité au sein du Parlement Européen ! ».

Si bien que, ne voulant pas déserter ce terrain électoral, tous les autres partis ont suivi cette tendance à désigner un candidat (à l’exception des extrêmes droites assez divisées sur le plan européen). Même le PPE, initialement très réticent à l’instar d’Angela Merkel refusant le principe d’automaticité, s’y est finalement conformé et Jean-Claude Juncker a, lui aussi, confirmé qu’il ne serait pas pensable de choisir un Président de Commission Européenne en dehors des protagonistes de ce débat : « C’est le début de quelque chose qui n’existait pas avant : l’opinion européenne ! ».

C’est ainsi que les évolutions institutionnelles décisives peuvent être réalisées : par les hommes et pas par les institutions. Quand je dis par les hommes, c’est évidemment dans le sens générique et à l’exception (éclatante) de Ska Keller, il faut regretter que les femmes sont encore trop peu présentes dans un rôle majeur au sein des institutions européennes : aucune n’a encore présidé la Commission Européenne (pour le cocorico français, les deux seules femmes à avoir présidé le Parlement Européen sont françaises, Simone Veil et Nicole Fontaine).

Finalement, le vrai enjeu de ces élections européennes, ce n’est pas de savoir quel sera le ou les groupes majoritaires, mais bien quels vont être les rapports de force entre le Parlement Européen et le Conseil Européen. Il est bien évident que si le citoyen français désertait les bureaux de vote ce 25 mai 2014, alors l’Histoire se passerait de lui.

Les cinq candidats ont aussi montré une autre solidarité que sur le seul plan institutionnel. Les premiers mots du débat furent pour un hommage à Jean-Luc Dehaene qui a été rendu par Martin Schulz et Guy Verhofstadt, et en fin d’émission, Ska Keller a eu une pensée pour les centaines de jeunes filles prises en otage au Nigeria, montrant une affiche à l’écran, suivie des autres candidats.
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Oui, sans doute qu’en France, cela aura pu troubler, étonner, même inquiéter, mais le débat européen, pour la première fois en France, est devenu un vrai débat européen et pas un débat qui n’est qu’une simple resucée d’arrière-pensées de politique intérieure.

Pour ce débat du 15 mai 2014, à mon sens, deux personnalités se sont nettement distinguées en montrer leur capacité à assumer le rôle pleinement nouveau du Parlement Européen, à incarner pleinement cette Europe plus démocratique : Guy Verhofstadt et Ska Keller, qui, étrangement (!), ne sont pourtant pas les favoris dans la course. Aucun vote n’est prévisible, n’hésitez donc pas à voter par vous-même ! Les surprises électorales, dans le passé, ont toujours été légions. Le pire n’est jamais sûr !

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (16 mai 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Jean-Claude Juncker.
Martin Schulz.
Guy Verhofstadt.
Jean-Luc Dehaene.
Les élections européennes de 2014.
Les candidats à la Présidence de la Commission Européenne.
Le budget européen 2014-2020.
Euroscepticisme.
Le syndrome anti-européen.
L’Europe des Vingt-huit.
La révolte du Parlement Européen.
La construction européenne.
L’Union Européenne, c’est la paix.
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