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Fabriquer le vivant Entretien avec Michel Morange

Publié le 18 mai 2014 par Blanchemanche

Fabriquer le vivant Entretien avec Michel Morange

Michel Morange est professeur de biologie à l’Ecole Normale Supérieure. Il dirige le centre Cavaillès d’histoire et de philosophie des sciences à Paris. Il est biologiste moléculaire et s’est spécialisé en biologie synthétique depuis six ans environ.

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  • Michel Morange, quel rêve la biologie synthétique pourrait-elle permettre de réaliser ? 
    Elle pourrait nous permettre de synthétiser la vie, c’est-à-dire de reproduire de manière complètement artificielle tous les gènes d’une cellule. C’est un beau rêve ! Mais à l’heure actuelle, ce n’est pas encore complètement possible. Nous y parviendrons peut-être cependant dans un avenir plus ou mois proche.
    Ce qui nous empêche pour l’instant de réaliser ce rêve c’est la complexité du vivant. Si on prend par exemple la plus petite cellule vivante, la plus simple que l’on connaisse, cela demeure pour nous encore d’une extrême complexité. Et ceci s’explique par le nombre de gènes, de protéines présents dans une cellule ! Et la moindre cellule représente 500 gènes ! Aujourd’hui on peut certes reproduire chaque gène isolément mais c’est la réalisation d’une cellule dans son ensemble qui nous résiste encore.
    Craig Venter, un chercheur californien, a dit avoir réussi à recopier la vie, mais il n’a en réalité reproduit qu’un chromosome, bref il est encore loin de la copie d’une cellule dans son entièreté.
Quelles conséquences pourraient avoir la biologie de synthèse sur l'agriculture, si demain on se met à fabriquer du caoutchouc, de la vanille ou de la réglisse de synthèse ?
Il est vrai que la biologie synthétique pourrait remplacer l’extraction d’un produit à partir de plantes cultivées. Et en soit cela représente une menace économique pour tous ceux qui vivent de la culture de ces plantes aujourd’hui. 
Mais au fond, on ne ferait que retrouver une situation que l’on a déjà connue au XIXe siècle. À cette époque, l’industrie chimique s’est mise à produire des colorants, si bien que l’on n’a plus eu besoin de les extraire d’éléments naturels. Cela a littéralement ruiné les régions et pays où l’on produisait ces plantes colorantes. Du jour au lendemain, c’est l’industrie chimique qui les avait remplacées. 
Et aujourd’hui on peut imaginer que la biologie synthétique ira plus loin que la chimie en réalisant des choses qu’elle n’est pas capable de faire. 
  • Le biodiesel bactérien est-il vraiment le gazole du futur ?
    Le biodiesel bactérien pose un certain nombre de problèmes … Si on décide de miser sur la fabrication de carburant par des organismes vivants, il nous faudra trouver de quoi les nourrir. Ces bactéries ne vont pas faire de carburant à partir de rien. On peut donc les alimenter avec des matières végétales ou du sucre par exemple. Cela suppose alors que l’on réserve une partie des terres agricoles de la planète à leur alimentation. Or c’est un problème car il n’y a déjà pas assez de quoi nourrir la population humaine. C’est là toute la limite du biodiesel bactérien même si on peut toujours rêver qu’un jour, les bactéries n’auront besoin que de CO2 et de lumière pour s’alimenter. Certains réfléchissent sûrement déjà là-dessus dans les entreprises pétrolières qui cherchent des moyens d’avenir pour remplacer les énergies fossiles. 
Certaines ONG, tel l'ETC Group, dénoncent, comme dans le cas des OGM avec la firme Monsanto, les liens étroits qu'entretiennent les quelques labos où se pratique la biologie synthétique avec les grands groupes tels que Shell, Microsoft etc. À qui les recherches en biologie synthétique vont-elles profiter exactement ?
La biologie synthétique est présentée comme une science qui va permettre de résoudre de nombreux problèmes. Elle permettra de créer de nouveaux médicaments, de dépolluer les sols, etc. On a mis en avant les nombreuses applications possibles de cette science, donc évidemment qui dit applications, dit intérêts économiques potentiels. Et cela n’échappe pas aux grandes entreprises privées.
Aux États-Unis notamment, la biologie synthétique s'est développée dans de petits laboratoires privés. Et si ça se passe bien pour eux, ils ont de grandes chances d’être rachetés par de grandes entreprises, qui récupèreront ainsi leur savoir-faire. La mainmise des grands groupes que l’on peut craindre, pourrait donc se produire …
  • L’esprit dans lequel se développe la biologie synthétique est plutôt ludique. Le succès du concours iGEM témoigne d'un enthousiasme croissant pour cette nouvelle discipline. Mais ne doit-on pas se montrer inquiet face à la démocratisation de la biologie synthétique et le phénomène des Do it yourself ?
    On peut certes faire de la biologie synthétique dans un garage, mais un projet comme la conception synthétique de l’artémisinine (une substance médicamenteuse servant à guérir la malaria ou le paludisme) demande de nombreux moyens et de grandes connaissances. Cependant, il est vrai que l’on ne peut pas être sûr à 100% de ce que font les gens dans leur garage. C’est un peu comme en informatique où des petits génies sont capables, seuls, de lancer des attaques virales massives sur les ordinateurs.
    Néanmoins, dans les laboratoires des Do it yourself comme dans le cadre du concours iGEM, l’intérêt est sûrement que les projets qu’on y mène sont parfois extrêmement originaux. Et ce, sûrement parce qu’ils intègrent des personnes habituellement loin de l’univers du labo. 
Quels risques court-on à développer ces nouveaux organismes vivants pour l'homme et son environnement ?
Le risque principal serait que nous en perdions le contrôle si un jour on décide de lâcher ces organismes vivants dans la nature. On prendrait alors le risque de ne plus savoir où ils sont. Et avec leur dissémination, on risquerait de les voir échanger du matériel génétique avec d’autres organismes non modifiés. Et par là même, on finirait sûrement par les voir muter. Ils seraient alors hors de contrôle. 
Afin de prévenir tous ces risques, on maintient jusqu’à présent, ces nouveaux organismes dans des espaces confinés, dans des enceintes fermées. 
Seule la xénobiologie nous offre des pistes de réflexions pour l’avenir puisqu’elle permettrait de rendre difficile voire impossible l’échange de matériel génétique entre organismes vivants modifiés et organismes vivants non-modifiés. Et si la xénobiologie réussit son pari, cela reviendrait à créer une sorte de vie extra-terrestre sur terre.
  • La biologie synthétique a-t-elle pour objectif d’améliorer une nature, une humanité imparfaite ? 
    Il y a l’idée chez certains spécialistes de biologie synthétique qu’il serait possible de faire mieux que la nature, considérant que les organismes vivants ne sont pas parfaits, qu’ils sont « bricolés ». Cependant, c’est un raisonnement qui est en train de perdre un peu de sa force par rapport au milieu des années 2000, car on est loin de faire aussi bien que les êtres vivants. En effet, ces derniers ont mis des milliards d’années à se développer. Ils sont capables de beaucoup plus de choses que nous. Par exemple, si l’on examine la capacité des végétaux à capter la lumière, on constate que c’est beaucoup plus efficace que tout ce que l’homme essaie de faire avec des cellules photovoltaïques ou autres.
  • En conclusion, quel est selon vous l’enjeu fondamental de la biologie synthétique ?
    C’est sûrement l’enjeu de connaissance qui sous-tend la biologie synthétique. Si on arrive à reconstruire le vivant, cela signifie qu’on en a compris toutes les clés. C’est aller à la racine de la vie. Et en un sens aujourd’hui, on a le sentiment d’arriver enfin à vérifier toutes les intuitions que l’on avait eues jusque-là sur le vivant en le reproduisant de manière synthétique.
Propos recueillis par Marie Berthoumieu

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