« On a dit grand oiseau, ordinateur monté sur échasses, "magnifique insecte, mais qui n’a pas d’antennes"
(Alexandre Sanguinetti), surdoué ayant une case de trop, etc. On a tout dit sauf qu’il était physiquement trop propre et croyait qu’il entraînerait la France derrière lui en laissant dans son
élégant sillage, un parfum délicat de savonnette. » (Jean Cau dans "Croquis de mémoire", 1985). Première partie.
Il y a exactement quarante ans, ce 19 mai 2014, Valéry Giscard d’Estaing fut élu Président de
la République à l’âge de 48 ans avec 50,8% des suffrages, à la suite d’une campagne courte provoquée par la mort du Président Georges Pompidou.
Même pas quatre cent vingt-cinq mille voix l'ont séparé de son concurrent François Mitterrand.
Premier Président non gaulliste de la Ve République, il est sans doute le dernier "premier de la classe" à avoir été élu par les Français
qui ont préféré par la suite, à chaque élection présidentielle depuis trente-trois ans, le candidat le plus efficacement démagogique.
Mieux que Jean
Lecanuet ou Jean-Jacques Servan-Schreiber, VGE a pu incarner, par sa jeunesse et son dynamisme,
le Kennedy français.
Une PME de la politique
La meilleure idée d’imaginer ce dimanche 19 mai 1974, c’est de regarder "1974, une partie de campagne",
l’excellent film documentaire de Raymond Depardon sur la campagne présidentielle (inspiré du film "Primary" de Richard Leacock sur la campagne de John
Kennedy), un film qui n’a eu l’autorisation d’être diffusé pour la première fois que le 20 février 2002. Il a été récemment rediffusé par la Chaîne parlementaire.
C’est le dimanche soir, il est entre dix-huit heures et dix-neuf heures, les bureaux de vote n’ont pas encore
tous fermés (dans les grandes villes) mais les premières tendances vont bientôt arriver. Valéry Giscard d’Estaing attend seul dans son bureau du prestigieux Ministère de l’Économie et des
Finances, rue de Rivoli. Il se lève, va sur le balcon, regarde des touristes qui se promènent le long des Tuileries, il me semble qu’il répond au salut d’un, puis se rassied sur son fauteuil posé
devant un téléviseur. Le téléphone sonne. Son fidèle Michel Poniatowski l’appelle et lui indique que les premières tendances le donnent gagnant. Silence lourd quand il raccroche.
C’était la réussite d’une PME de la politique, un petit parti (les RI devenus PR), juste trois ou quatre
hommes de confiance, et cette campagne d’artisan (Valéry Giscard d’Estaing conduisait lui-même sa voiture, et mettait à contribution sa propre famille) est très loin du matraquage marketing
industriel dans lesquelles sont tombées les campagnes présidentielles à partir de la fin des années 1980, en crescendo, avec pour point d’orgue en coût et en coups (politiques) la campagne
présidentielle de François Hollande en 2012, avec trois ou quatre énormes meetings par semaine.
Un fort en thème
Le voici chef de l’État, roi de France presque, on le surnomma même Louis XV dont il serait un descendant par
la petite porte (Catherine Éléonore Bénard). Ce n’est pas une revanche sociale, il n’a jamais rien eu à prouver, c’est juste la consécration de sa très brillante carrière.
Lycéen à Janson-de-Sailly puis Louis-le-Grand, engagé volontaire en avril 1944, à 19 ans, dans la
1e Armée, celle de De Lattre de Tassigny, major à Polytechnique, énarque (mais sorti seulement 6e), inspecteur des finances, directeur adjoint du cabinet d’Edgar Faure à Matignon à 28 ans, député à 29 ans, ministre à 32 ans, grand argentier à 35 ans, et enfin, à 48 ans,
tout en haut de la pyramide.
Même sa grande taille fait partie de sa stature. Son intelligence aussi, reconnue de tous. Une très belle
mécanique que certains regrettent qu’elle n’ait pas fonctionné parfois à bon escient. En excluant Louis Napoléon
Bonaparte, un cas un peu particulier dans l’histoire républicaine, le plus jeune Président de la République française.
Condescendance comme un réflexe ?
Une grande intelligence, une très grande conscience de cette grande intelligence, et forcément, une très
grande distance mise naturellement, voire inconsciemment, entre lui et le commun des mortels. Malgré lui, malgré toutes ses tentatives pour essayer de se rapprocher du peuple, Valéry Giscard
d’Estaing aura toujours cultivé une certaine condescendance qui laisse entendre que lui et "les autres", c’est très différent. Ce n’est pas la même catégorie.
Le 18 mai 1989, par exemple, au cours d’un déjeuner dans ma ville, je l’avais salué pour la première fois et
malgré notre dizaine de centimètres d’écart (je ne sais pas exactement combien il mesure), et quelques différences au niveau des diplômes et mandats (entre autres !), l’ancien Président
avait encore eu besoin de me toiser du regard au moment de la poignée de main.
J’imaginais que cela devait être un réflexe spontané et involontaire car je savais aussi qu’à l’époque, en
tant que président de l’UDF, par exemple, il tenait à répondre personnellement à ses correspondants épistolaires, tout comme, bien plus tard, il répondait personnellement sur son blog à certains
internautes qui, parfois de manière cavalière, lui reprochaient la loi du 3 janvier 1973 (abrogée depuis
longtemps et qui n’a jamais été la cause du fait que l’État dépense plus qu’il ne gagne depuis plus de trente ans).
Depuis dix ans, la retraite
Aujourd’hui, Valéry Giscard d’Estaing est un vieux monsieur de plus de 88 ans, mais il serait difficile de
l’imaginer comme un vieillard. Régulièrement présent au Salon du Livre de Paris, par exemple, souvent portant un pull-over pour montrer son côté détendu et souriant, il semble toujours bénéficier
d’une mécanique intellectuelle bien huilée.
Cela fait dix ans qu’il a quitté la vie politique, le 2 avril 2004, par contrainte électorale, après plus de
vingt années de carrière postprésidentielle qui l’ont conduit à présider le Conseil régional d’Auvergne (1986-2004) mais aussi à encaisser trois autres échecs, les municipales à Clermont-Ferrand
le 18 juin 1995 (49,1%), sa reconduction à la présidence du conseil régional le 28 mars 2004 (47,3%) et, évidemment, et j’en parlerai un peu plus tard, le référendum sur le Traité constitutionnel
européen (TCE) du 29 mai 2005 (seulement 45,3% pour le oui) dont il avait inspiré le texte final.
Cerise sur le gâteau de ses honneurs, lui, l’ancien protecteur de l’Académie française, il fut élu Immortel
le 11 décembre 2003 (reçu le 16 décembre 2004 par Jean-Marie Rouart) au 16e fauteuil, celui laissé par le Président Léopold Sédar Senghor, mais aussi celui d’Armand-Emmanuel du Plessis
de Richelieu, chef du gouvernement sous Louis XVIII, d’Alexandre Ribot, autre chef du gouvernement, et de Charles Maurras. Une fonction d’académicien qui semble l’avoir assez déçu, car il l’a
trouvée assez ennuyeuse finalement, ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre une œuvre littéraire à
l’appréciation diversement partagée.
L’éternel retour
Cette retraite politique n’allait pas de soi. Ayant reçu en pleine figure le premier échec de sa vie le 10
mai 1981 à 55 ans (48,2%), un échec qu’il a toujours considéré comme injuste, il a voulu rester dans la vie politique, dans le jeu politique. Il a fait sa première réapparition médiatique dans
"L’Heure de Vérité" du 16 septembre 1982 sur Antenne 2.
Il a repris dès mars 1982 un petit mandat de conseiller général puis d’autres mandats, locaux ou nationaux,
même européens (conseiller régional, conseiller municipal, député élu le 23 septembre 1984, réélu jusqu’au 18 juin 2002, député européen élu le 18 juin 1989 jusqu’au 9 juin 1993), et n’hésitant
pas non plus à prendre à Jean Lecanuet, du 30 juin 1988 au 31 mars 1996, la présidence de l’UDF qu’il
avait contribué à créer le 1er février 1978.
Une boulimie qui a sans doute nui à la postérité de son septennat, n’ayant pas pris de la hauteur et ne
s’étant pas transformé en sage. En arrière-fond, une petite idée de revenir sur l’avant-scène nationale, prenant pour modèle Raymond Poincaré, lui aussi académicien (élu le 18 mars 1909),
redevenu Président du Conseil en période difficile (du 15 janvier 1922 au 1er juin 1924 et du 23 juillet 1926 au 26 juillet 1929) après avoir occupé l’Élysée pendant la Première guerre
mondiale (du 18 février 1913 au 18 février 1920), soit comme candidat à l’élection présidentielle de 1988 ou de 1995, soit comme Premier Ministre de la cohabitation en mars 1986, ou même comme
Ministre du Redressement national, une revendication que François Mitterrand et Jacques Chirac, désigné à
Matignon, considéraient comme grotesque.
Dans un second
article, j’évoquerai plus concrètement le bilan du septennat de Valéry Giscard d’Estaing.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (19 mai
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le monopole du cœur.
De Gaulle.
Georges Pompidou.
Jacques Chirac.
Raymond Barre.
Alain Poher.
Edgar Faure.
Jean Lecanuet.
François Mitterrand.
Nicolas Sarkozy.
François Hollande.
Olivier Guichard.
Alain Peyrefitte.
Roger Galley.
Robert Boulin.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-septennat-giscard-d-estaing-152105