Jamaica Inn est une nouvelle minisérie de trois épisodes qui a été diffusée sur les ondes de BBC One du 21 au 23 avril en Angleterre. Adaptation du roman de Daphné du Maurier, l’action nous transporte en 1821 alors que la jeune Mary (Jessica Brown Finlay) vient de perdre sa mère et doit aller vivre chez sa tante Patience (Joanne Whalley) qui avec son mari Joss (Sean Harris) entretient un hôtel isolé en campagne. En fait, ce lieu sert de repère à des contrebandiers qui pillent des navires et n’hésitent pas à massacrer tous les passagers. Dès lors, Mary se retrouve entre l’arbre et l’écorce puisqu’elle voudrait faire stopper ces crimes abjects, mais ne veut pas non plus incriminer sa famille. Force est d’admettre que l’adaptation à l’écran de ce livre à succès ne porte pas chance aux réalisateurs. Déjà en 1939, Alfred Hitchcock s’y était cassé les dents, reconnaissant lui-même que son film était raté. Cette version télévisée n’est guère mieux : l’action traine en longueur, les personnages sont mal définis et c’est sans parler des problèmes audio lors de la diffusion qui ont valu à la BBC un nombre record de plaintes. Comme quoi, même une chaîne reconnue pour sa programmation de haute qualité peut quelquefois mordre la poussière.
Lent pour rien
Dans sa critique dans L’Express, David Stephenson résume très bien l’intrigue du premier épisode : « Mary found the Jamaica Inn, discovered they were engaged in smuggling and realised her uncle Joss (Sean Harris) was a half-wit. That was it. » En effet, ce long départ d’une heure ne nous offre rien d’autre à nous mettre sous la dent. Mary arrive au Jamaica Inn alors que Joss vient de commettre quelques vols. D’une attitude cruelle avec tous ses proches, sa conscience le travaille pourtant et il noie ses plus noires pensées dans l’alcool. C’est qu’il travaille à la solde d’un inconnu dont on ne découvrira l’identité que plus tard, et qui est encore plus machiavélique que lui. Si Mary le déteste, elle ne peut le dénoncer de peur que sa tante soit aussi pendue pour complicité. Elle essaie néanmoins d’arrêter les carnages en allant se confesser au pasteur Francis Davey (Ben Daniels) qui vit avec sa sœur Hannah (Shirley Henderson). La situation se complique alors qu’elle tombe amoureuse de Jem (Matthew McNulty), le frère de Joss qui lui aussi est un hors-la-loi. Ce dernier est arrêté par la police locale qui n’attend que des aveux pour procéder à l’arrestation de Joss et tous sont persuadés que c’est lui qui dirige les opérations. Jem conclu un marché avec les autorités : sa liberté et celle de son frère en échange du nom du mystérieux chef. Peine perdue : Joss et Patience sont assassinés avant d’avoir pu dévoiler quoi que ce soit. Lorsque Mary trouve refuge chez le pasteur Davey, elle découvre les objets volés, mais elle est droguée et transportée le haut d’un rocher. Au moment où le pasteur s’apprête à la tuer, Jem arrive, le tue et sauve Mary.
À priori, Jamaica Inn aurait très bien pu se résumer en un téléfilm de 90 minutes et personne ne s’en serait plaint. Durant ces trois heures, on tente de créer une ambiance glauque notamment grâce aux paysages embrumés de la région de Cumbria, mais encore faut-il une histoire accrocheuse qui vienne compléter le tableau; ce qui n’est pas le cas. Au global, c’est davantage l’histoire d’une jeune femme qui perd progressivement son innocence alors qu’elle est exposée à la cruauté de l’homme et que s’éveillent en elle des désirs charnels à l’égard de Jem. À certains moments, on tombe carrément dans un Harlequin, ce qui laisse peu de place au thriller qui a assurément plus de potentiel. C’est justement cette innocence que dégage Mary qui fait que tous les hommes (Joss, Jem et Francis) tombent amoureux d’elle. Pourtant, ça ne transperce pas l’écran et ce personnage féminin manque beaucoup trop de profondeur pour qu’on s’attache à elle.
Une finale qui aurait pu être digne d’Hitchcock
Quand on connaît l’œuvre d’Hitchcock, on comprend son désir initial d’adapter à l’écran Jamaica Inn, notamment pour sa finale qui se déroule le haut d’une montagne. Le réalisateur s’est souvent servi d’un espace géographique hors du commun pour créer la tension finale. On pense à la scène du carrousel dans Strangers on a train (1951) ou encore celle dans une salle d’opéra dans The man who knew too much (1934 et 1956). Les lieux en hauteur on aussi donné des émotions fortes aux spectateurs, qu’on pense au clocher d’un couvent dans Vertigo (1958) ou au mont Rushmore dans North by Northwest (1959). Même la finale de son Jamaica Inn représentait un certain attrait, ce qui complètement été escamoté dans la version de 2014. On est en plein jour, la musique n’a rien pour nous mettre dans l’ambiance et pas une fois on ne fait usage d’angles de caméras propices à nous donner le vertige et ainsi accentuer la tension. En somme, le climax tombe… à plat.
On n’entend rien
Le pire que l’on puisse reprocher à Jamaica Inn, c’est au niveau de la technique. Lors de la diffusion du premier épisode, la qualité du son laissait à désirer si bien qu’on entendait à peine ce que les personnages se disaient. Cette erreur technique a enflammé les réseaux sociaux, valut plus de 2 000 plaintes et James Purnell, le directeur de la stratégie à BBC, a même dû offrir des excuses publiques. De plus, à la fin du deuxième épisode, on nous a montré quelques scènes à venir dans la finale où on a pu apprendre la véritable identité du pasteur. Révéler le nœud de l’intrigue de cette façon a donc tué le peu de suspens qui restait à cette histoire! Pour compléter le tableau, on n’a même pas permis le visionnement de rattrapage puisque les épisodes n’étaient pas disponibles sur le site web de la chaîne. Oubli volontaire ou pas, on doute que le visionnement deuxième écran aurait de toute façon réconcilié les téléspectateurs avec la série.
Jamaica Inn avait pourtant attiré l’attention de plus de 6 millions de téléspectateurs lors de sa première, mais les problèmes techniques et la lenteur de l’histoire n’en ont retenu que 4 au final. Quand on pense que l’interprète principale, Jessica Brown Finlay a laissé en 2012 son rôle de l’adorable Sybil Crawley dans Downton Abbey pour se tourner vers d’autres projets, celui-ci est définitivement à oublier. Pour ce qui est de la BBC, on attend avec beaucoup d’impatience la première comédie originale de sa chaîne sœur, la BBC America, qui sera intitulée Almost Royal. La première aura lieu le 21 juin et mettra en scène deux aristocrates voyageant aux États-Unis alors qu’ils participent à une téléréalité. Ça promet!