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Le réformateur Pierre Viret prônait la théonomie

Par Monarchomaque
Plaque commémorative de Pierre Viret à Lausanne en Suisse

Plaque commémorative de Pierre Viret à Lausanne en Suisse

Voyez aussi :

  • Vidéo : Qui était Pierre Viret ? [Le Monarchomaque]
  • Le cinquième commandement : fondement biblique de la légitimité de l’autorité des magistrats chez Pierre Viret [Théonomie Biblique]

Je reproduit ci-bas des extraits du chapitre Pierre Viret éthicien tiré de l’ouvrage Pierre Viret (1511-1571) : Un géant oublié de la Réforme — Apologétique, éthique et économie selon la Bible signé par Jean-Marc Berthoud (2011) :

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Les pages 249 à 674 de l’Instruction chrétienne constituent un traité complet consacré à l’application détaillée des Dix Commandements à chacun des divers aspects de la réalité humaine. C’est le meilleur exposé de la Loi de Dieu qu’il m’ait été donné de lire ; et le seul ouvrage qui, à ma connaissance, puisse soutenir la comparaison avec le chef-d’œuvre de Rousas J. Rushdoony, Institutes of Biblical Law. Dans l’Instruction chrétienne de Viret, nous trouvons une application détaillée de toute la Parole normative de Dieu (Tota Scriptura) aux problèmes pratiques de la vie chrétienne de tous les jours, ceci pour chaque aspect de la vie personnelle et sociale. Une telle exposition est accompagnée, d’une façon remarquable, par un sens de l’équilibre théologique et par une compréhension de la relation délicate entre la dogmatique et l’éthique, tout en maintenant constamment à l’esprit le but de favoriser la proclamation de l’Evangile, de faire avancer le Royaume de Dieu et de ramener tout honneur et toute gloire au Seigneur Jésus-Christ. Dans sa Préface, Viret expose d’emblée son objectif central avec la plus grande clarté :

Pource [pour cette raison] que j’ai proposé de déclarer [expliquer] la Loi de Dieu, qui doit être tenue pour la règle de toutes les autres, par lesquelles les hommes doivent être conduits et gouvernés, je ferai avant qu’entrer en l’exposition d’icelle, quelques discours des grandes difficultés qui se sont trouvées de tout temps à bien gouverner les hommes, et [à] les contenir dedans les limites de raison, de droiture et de justice, et des causes semblablement de ces difficultés.

[...] Il entreprend ensuite de définir plus précisément cet objectif, montrant à quel point il était nécessaire que Dieu révèle aux hommes le contenu de cette loi, comme la création elle-même, d’origine céleste :

Pour cette cause, il a voulu bailler [donner] loi lui-même qui servit de règle à tous les hommes de la terre, pour régler l’esprit, l’entendement, la volonté et les affections, tant de ceux qui doivent gouverner les autres, que de ceux qui doivent être gouvernés par iceux. Et a fait ceci, à fin que tous ensemble se reconnussent un seul Dieu pour leur souverain Prince et Seigneur, et qu’eux se reconnussent ses serviteurs et ministres ; lesquels il faudra une fois tous venir à compte devant le trône de la majesté d’icelui.

Puis vient cette affirmation centrale à toute l’éthique chrétienne de Pierre Viret :

Or il [Dieu] a compris [renfermé] en cette Loi toute la doctrine morale, nécessaire aux hommes pour bien vivre. Ce qu’il a fait trop mieux [bien mieux], sans comparaison, que tous les philosophes en tous leurs livres, tant des éthiques, que des politiques et économiques, et que tous les législateurs qui ont jamais été, et qui sont et seront, en toutes leurs lois et ordonnances ; en sorte que tous ensemble n’ont jamais rien mis de bon en avant, qui ne soit compris en icelle ; et qui ne soit mauvais, s’il n’y est compris.

Et il ajoute :

Donc, soit que nous veuillons bien être instruits, pour nous savoir conduire en gouverner nous-mêmes en nos personnes propres en notre particulier, selon droit, raison et justice, ou au gouvernement de nos maisons et familles, ou au gouvernement du bien public ; cette loi nous pourra servir de vraie éthique, économique et politique chrétiennes, si elle est bien entendue ; et ceci trop mieux que celles d’Aristote, Platon, Xénophon, Cicéron, et des autres semblables.

Et Viret conclut sa Préface avec ces mots :

Car il ne nous faut point espérer que jamais Roi, Prince, ni peuple puissent avoir prospérité qui dure, sinon en tant que Dieu régnera en tous et sur tous, et qu’ils seront gouvernés par lui ; comme il appert [paraît] clairement par les promesses et menaces qu’il a ajoutées à sa Loi. Car comme lui seul peut nous donner Loi parfaite, selon laquelle il nous convient gouverner ; il peut semblablement bailler [donner] les Princes, les Magistrats, et les Pasteurs et ministres idoines [aptes], pour la mettre en exécution ; et les peut former comme instruments propres à son service, et bailler vertu [donner force] à leurs offices et ministères, pour ranger à son obéissance ceux qu’ils auront en charge. [...]

Une telle vision de l’autorité souveraine et de la sagesse suprême de la Loi de Dieu a poussé Pierre Viret à examiner les devoirs particuliers des hommes à l’intérieur des limites de leurs vocations spécifiques. [...]

Sur la pensée politique de Viret, l’étude pionnière de Robert D. Linder [The Political Ideas of Pierre Viret, Genève, Droz, 1964, 217 p.] nous présente une analyse d’une grande valeur de cet aspect de sa pensée. Il décrit d’abord ce que représentait pour Viret la loi divine, la Parole de Dieu [...]. Linder définit la pensée de Viret en ces termes :

Les Ecritures contenaient aussi des déclarations concernant l’Etat, et dans la mesure où elles se rapportaient au gouvernement séculier, elles représentaient la volonté de Dieu pour cette institution. Donc, l’Etat séculier était vu par Viret comme étant une création de facto, venant directement de Dieu lui-même mais gouvernée en harmonie avec les règles et les préceptes contenus dans les Ecritures Saintes.

Et Linder d’ajouter :

Les plans de Dieu pour les hommes comprenaient une existence paisible et rangée, et l’Etat était le moyen par lequel ce genre de vie pouvait être assuré. Les dirigeants de l’Etat séculier devaient légiférer en harmonie avec la Bible et remplir le rôle qui leur était assigné tel qu’il était représenté dans les Ecritures. Viret devait amener les autorités civiles à reconnaître que toute justice et toute loi émanaient de la souveraine volonté de Dieu, et que les magistrats étaient les distributeurs de la justice provenant de la loi de Dieu. Si elles n’obéissaient pas à cette vocation, ces autorités séculières étaient considérées comme de « méchants tyrans » et étaient passibles du jugement du Dieu Tout-Puissant.

Car, aux yeux de Viret, écrit Linder :

L’Etat séculier était une création immédiate de Dieu et c’est pour cela que Dieu lui-même lui avait directement délégué une certaine autorité. Cependant, selon Viret, les Saintes Ecritures non seulement décrivaient et confirmaient l’autorité temporelle, mais elles en définissaient la nature et en limitaient également les droits.

[Viret] pensait également que ces lois absolues et éternelles divines devaient être adaptées à l’époque où vivaient les gens et au tempérament national du pays où les lois devaient être appliquées. Linder continue :

Viret a montré que les lois civiles peuvent être autant bonnes que mauvaises. Il croyait que les hommes détenaient une certaine liberté dans le choix des codes légaux qui devaient régir leur vie. Cependant, il pensait que dans un Etat véritablement chrétien « les bonnes lois » reposeraient toujours sur les Dix Commandements de Dieu tels qu’on les trouve dans l’Ecriture Sainte. Selon lui, à moins que les lois humaines ne soient constituées sur le fondement de la loi morale de Dieu, les hommes ne pouvaient s’attendre à ce qu’elles soient justes et équitables. Ainsi, toutes « bonnes lois » viennent de Dieu Lui-même, car elles sont tirées de la Parole de Dieu qui est Son testament écrit pour l’humanité. […]

Viret mettait surtout l’accent sur le gouvernement soumis à la loi civile, et particulièrement la loi civile tirée, de la manière la plus précise possible, selon le contexte politique, de la loi morale de Dieu.

Et Linder ajoute :

La notion de Viret selon laquelle le prince était soumis à la loi est extrêmement intéressante et très différente de la théorie absolutiste qui plaçait le roi au-dessus de la loi, théorie dont Jean Bodin se fit l’avocat dans son De Republica rédigé à la fin du seizième siècle. Le concept du dirigeant séculier toujours nécessairement soumis à la loi était l’un des thèmes récurrents dans la pensée politique médiévale de l’Europe occidentale et n’était d’aucune manière une idée nouvelle.

Viret exprime sa pensée politique ainsi [dans Le monde à l’empire, publié à Genève en 1561] :

Car les Princes et les Magistrats doivent être sujets aux lois, et modérer leur gouvernement selon icelles [celles-ci]. Car ils sont, non pas maîtres des lois, mais Ministres d’icelles, comme ils sont Ministres de Dieu, duquel toutes bonnes lois procèdent. Et pourtant [pour cette raison] les Magistrats sont à bon droit tenus pour lois vives et parlantes, quand ils sont tels qu’ils doivent être ; comme aussi les lois sont comme Magistrats muets, lesquels parlent par les vrais Magistrats.

Et Linder de commenter :

Viret insiste sur le fait que le vrai chrétien doit, en toute circonstance, soumettre le Code Justinien et toute la loi romaine à l’autorité de la Parole de Dieu.

Les schémas de la pensée de Viret l’ont amené à préconiser ce qu’on appellerait aujourd’hui « la législation de la morale ». Par exemple, il était pour l’adoption de statuts civils contre l’adultère, le blasphème et l’idolâtrie, et il était partisan de la réglementation de certaines activités économiques le dimanche. De plus, il établissait un lien entre la vraie Chrétienté et le maintien et l’application de lois telles que celles contrôlant la corruption et l’achat de charges publiques, de lois contre l’usure, contre l’exploitation des pauvres par les riches, et de lois fixant des limites aux prix et à l’achat de terrains. [...]

Il est révélateur [d'étudier] l’exégèse de Viret [...] sur certains textes bibliques précis. [...]

Tu n’auras pas dans ton sac deux sortes de poids, un gros et un petit.
Tu n’auras pas dans ta maison deux sortes d’épha, un grand et un petit.
Tu auras un poids exact et juste, tu auras un épha exact et juste, afin que tes jours se prolongent dans le territoire que l’Eternel, ton Dieu, te donne. Car quiconque agit ainsi, quiconque commet une fraude, est en horreur à l’Eternel, ton Dieu. (Deutéronome 25.13-16)

Pierre Viret [...] ne consacre pas moins de cinquante-cinq grandes pages folio en petits caractères de l’édition originale [...] pour élaborer un exposé détaillé du huitième commandement [Tu ne déroberas point]. Sur le passage que nous étudions, son commentaire occupe six grandes pages (581 à 586). [...] Viret se donne une peine immense à étudier en détail cette loi biblique l’appliquant à toutes sortes de transactions commerciales. Ce que Viret développe ici est une véritable casuistique légale (dans le sens tout à fait positif de ce mot), une véritable déontologie professionnelle, se rapportant aux applications spécifiques des diverses lois bibliques. Il le fait de telle manière – bien que ses remarques soient soigneusement adaptées aux conditions de son époque et à la culture de son temps – qu’elles n’en demeurent pas moins presque directement applicables aux réalités du monde contemporain. Ses commentaires ne constituent d’aucune façon une distorsion anachronique de la signification du statut particulier de la loi mosaïque en question.

Examinons, tout d’abord, la façon dont il subdivise son texte et les titres qu’il donne à ces divisions [Instruction chrétienne, Tome II] :

  • Des larcins commis en la quantité, et aux poids et mesures des choses vendues ou délivrées ; et combien cette manière de larcin est jugée détestable ès [par les] Saintes Ecritures.
  • De l’invention et de l’usage de la monnaie, et des faux-monnayeurs ; et de la grandeur de ce crime, et du larcin commis par tel moyen.
  • Des larrons et faussaires de la Parole de Dieu, et des larcins qu’ils font des hommes et de leurs biens par ce moyen.
  • De ceux qui rognent les monnaies, et qui usent de celles qu’ils savent n’être pas de mise légitime ; et principalement ceux qui ont charge des deniers publics.
  • Des corruptions par les dons ; et des marchands qui vendent, et achètent justice et les pauvres.
  • Des larcins commis ès venditions [ventes] de victuailles ; et des dangers qui sont ès corruptions d’icelles [celles-ci].
  • Du regard [l'attention] que les Magistrats doivent avoir sur les vivres, et du grand mépris des serments faits pour raison d’iceux.
  • De la faute qui est ès Magistrats et officiers en cet endroit, par laquelle ils se rendent coupables des larcins et méchancetés qui se commettent en ces choses.
  • Du danger qui est ès médecins et apothicaires [pharmaciens], en telles matières ; et de la loi que Dieu a donnée des poids et mesures ; et des menaces d’icelui contre ceux qui les falsifient.

[...] Viret cite ici Amos 8.4-6 et les textes classiques de l’Ancien Testament applicables, encore aujourd’hui, à cette question : Deutéronome 25.13-16 ; Lévitique 19.35-36 ; Proverbes 11.1 ; 20.10. Viret applique, de manière très appropriée, ce statut de falsificateurs des poids et des mesures aux faux-monnayeurs, car dans les temps anciens, l’inégalité du poids des pièces de monnaie en rendait la pesée nécessaire si l’on voulait pouvoir en déterminer la valeur exacte :

Parquoi [raison pour laquelle], puisque Dieu a donné aux hommes ce moyen, pour se soulager plus aisément les uns les autres, ceux qui le pervertissent, et confondent cet ordre, font une grande plaie au bien public, et à toute la société humaine. Dont [ce pour quoi] ils sont dignes de griève punition ; et ce d’autant plus, qu’ils mettent plus grande confusion entre les hommes. Car ils ne peuvent vivre sans trafiquer [commercer] les uns avec les autres. Partant [par conséquent] celui qui leur ôte ce moyen, est comme un brigand public, pour couper la gorge à toute la communauté des hommes ; car il ôte par le moyen qu’il tient, la foi [bonne foi] et la loyauté, sans laquelle la société humaine ne peut être entretenue ni conservée. Car la foi et la loyauté étant ôtée, il n’y a plus rien de certain. Et par ainsi les hommes sont en un grand trouble et en un désordre nonpareil.

De nos jours, la fabrication de fausse monnaie est devenue la spécialité des banques centrales qui pillent sans vergogne la communauté par leur création d’argent comme sorti du chapeau d’un magicien, car une telle création ex nihilo de moyens d’échanges, émissions de crédit qui ne reposent sur rien, mènera inévitablement à l’inflation. Cette monnaie virtuelle, ces papiers, ces chèques ou cet argent électronique, ne sont – depuis les accords de Bretton Woods de 1944 et, plus encore, depuis le détachement par le président américain Richard Nixon en 1973 du dollar (la monnaie d’échange mondiale) de tout rapport avec l’or – plus du tout cautionnés par des réserves monétaires en dur et sont donc, en fin de compte, totalement irrachetables. Le résultat d’une telle création monétaire parfaitement arbitraire est, bien sûr, l’expansion incontrôlée de toutes sortes de dettes – publiques et privées – la destruction de la productivité de la société par la concentration d’un tel capital dans les transactions de spéculation, ceci aux dépens des investissements industriels et commerciaux producteurs de véritables richesses. On développe ainsi le cycle moderne de prospérité-faillite (boom/bust), d’inflation et de restriction monétaire ainsi que l’expansion à grande échelle d’une spéculation totalement improductive, comme autant de moyens de gouvernement tyranniques, occultes et irresponsables.

Pierre Viret aurait eu beaucoup à redire du point de vue biblique sur la situation monétaire qui est la nôtre actuellement. Il était tout à fait conscient de l’existence de problèmes similaires à son époque. C’est d’une plume acérée qu’il décrit le crime de l’Etat, la contrefaçon des moyens d’échange.


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