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"Les sacrifiés d'Eyrinques" de Catherine May

Publié le 25 mai 2014 par Francisrichard @francisrichard

Un esprit scientifique a tendance à considérer les rêves prémonitoires comme impossibles. Il ne serait tout simplement pas possible de prédire l'avenir, encore moins possible d'infléchir les lois qui régissent l'Univers. Il existe pourtant des rêves troublants. Ils s'expliqueraient cependant, logiquement, par la reconstruction en prophétie, a posteriori, de ce qui n'était au départ qu'une simple vision.

Dans Les sacrifiés d'Eyrinques, de Catherine May, une mère et sa fille, qui se ressemblent, notamment par l'amour qu'elles ont de leur métier, sont sujettes à de tels rêves qui leur empoisonnent l'existence, parce qu'en quelque sorte, ces rêves ayant annoncé la mort de personnes plus ou moins proches et cette mort s'étant produite, elles se sentent coupables, surtout de n'avoir rien pu faire pour empêcher cette issue fatale.

Après avoir passé trois ans dans le centre de recherche Océanopolis, à Brest, à étudier la biologie des estuaires, Alice Patterson, 34 ans, est engagée, à l'été 2011, au Canada, pour deux ans, par le Laboratoire de biologie des écosystèmes, LBE, situé près de Montréal, à Longueil.

Longueil est une dépendance de l'Université de Sherbrooke, située à une centaine de kilomètres de là. Alice va y étudier plus particulièrement, au sein de l'Unité de génie environnemental, UGE, la biologie de l'estuaire du Saint-Laurent.

La mère d'Alice, Claire Sagnac, 63 ans, est archéologue. Elle travaillait sur le site de fouilles d'Eyrinques, en Auvergne, au moment où sa fille avait trois ans et où elle venait d'avoir un petit garçon, Bastien. Sur ce site sont découverts des ossements d'animaux et des ossements d'hommes.

Les ossements humains découverts proviennent de personnes sacrifiées aux dieux celtes. Il y a en particulier neuf squelettes, dont huit sont bien alignés sur le dos et un neuvième, le seul de sexe féminin, qui a été retrouvé en procubitus, c'est-à-dire couché sur le ventre, et qui portait des bijoux, un torque et un anneau.

Bastien ne vivra que quelques mois. Claire fera un rêve prémonitoire trois jours avant qu'il ne meure. Au bord d'une rivière, elle se verra confectionner un diadème de fleurs pour sa fille, que cette dernière a cueillies alentour, son bébé dormant dans un couffin. A la fin de ce rêve, une silhouette s'éloigne sur l'autre berge de la rivière, emportant le couffin. Cette dame grise a profité du moment où Claire était occupée à tresser le diadème...

Après la mort de Bastien, Claire va se consacrer de plus en plus à son travail et négliger sa famille. Sa fille va être victime de TOC, troubles obsessionnels compulsifs, dont elle ne parviendra à se débarrasser qu'après avoir entendu ses parents se disputer à ce sujet et au prix d'un effort considérable sur elle-même. Le mari de Claire quittera la métairie familiale d'Hautefort et emmènera Alice avec lui à Bordeaux.

Au cours de sa vie, Claire fera une série de rêves prémonitoires. Dans un de ses cahiers où, au début, elle tenait son journal de fouilles, puis où elle a surtout pris des notes personnelles, elle fait le compte des morts qui ont été ainsi annoncées:

Si je fais bien le compte, cela fait dans le désordre: un bébé, un enfant, deux jeunes gens, une femme et un homme sans progéniture, un père et une mère. Une palette complète de trajectoires humaines, aux différents âges de la vie.

Elle fait ce compte macabre le jour du 35e anniversaire de sa fille Alice, le 24 septembre 2011, soit six jours avant sa propre mort, dont elle sait seulement qu'elle se produira à telle heure et à telle minute, sans connaître le jour exact.

Au Canada, Alice est en proie à son tour à des rêves prémonitoires. Après un voyage éclair en France pour l'enterrement de sa mère, dans les cahiers de cette dernière qu'elle a emportés, sur l'instigation de son père, James Patterson, elle découvre que sa mère a connu les mêmes affres qu'elle-même connaît maintenant.

Dans ses rêves, comme dans les rêves maternels, il y a à chaque fois une dame grise, qui ne laisse pas voir son visage, dont se dégage une terrible froideur et qui s'en va avec sa future victime...

S'agit-il d'une malédiction, qui serait liée à la mise à jour des squelettes des sacrifés d'Eyrinques? Claire, comme Alice, en bonnes scientifiques, ne veulent pas l'admettre. Ce ne peut être que coïncidences, d'autant que les morts réelles ne surviennent pas du tout dans les mêmes circonstances que dans les rêves.

La psy qu'Alice consulte, est du même avis. Elle va même jusqu'à dire à Alice que ses rêves sont comme les TOC de son enfance et qu'elle pourra s'en débarrasser de même. Si l'on admet l'hypothèse de la malédiction, de toute façon, comment se serait-elle transmise de Claire à Alice?

Le roman de Catherine May ne se résume pas à ces rêves, ni aux fouilles sur le site archéologique d'Eyrinques par Claire, ni aux études menées par Alice sur les eaux du Saint-Laurent. L'auteur raconte aussi la vie personnelle d'Alice au Canada.

Les amours passées d'Alice avec un homme marié, plus âgé qu'elle, le professeur Martial Desbarres, menaient à une impasse. Elles ont été à l'origine de l'océan qu'elle a mis entre elle et lui. Mais elles sont ravivées par la présence de Martial à l'UGE, le temps d'un colloque. Les amours présentes d'Alice avec son collègue Loïc Lafortune l'aident heureusement à les oublier et à supporter bien d'autres vicissitudes.

Le récit ne se fait pas de manière linéaire. Il y a nombre de retours en arrière, qui précisent et expliquent les choses. Ce sont des retours en arrière sur les vies de Claire et d'Alice, mais aussi des retours en arrière sur les dernières heures des sacrifiés d'Eyrinques. Aussi le lecteur peut-il, petit à petit, reconstituer le puzzle de toutes ces existences.

Ce livre bien construit se laisse lire avec plaisir. Jusqu'au bout. Mais il n'est pas seulement divertissant. Il est instructif et revient sur une interrogation éternelle qui tourmente les hommes: comment interpréter les rêves dits prémonitoires?

La psy du roman, la belle Ghiringelli, parle évidemment d'Oedipe:

Oedipe n'a pas tué son père et épousé sa mère parce que les dieux le voulaient [...], c'est la conjonction de ses peurs, de ses failles et de celles de son entourage qui ont amené à cela. Les dieux n'y sont pour rien.

N'était-ce pourtant pas sa destinée? demande Alice.

Il n'est pas "écrit" dans les astres qu'il épousera Jocaste, lui répond la doctoresse. C'est un certain nombre de hasards qui conduira à ce désastre.

C'est la vieille querelle entre prédestination et liberté d'agir, laquelle ne peut être absolue, puisqu'il y a toujours des incertitudes au moment du choix...

Francis Richard

Les sacrifiés d'Eyrinques, Catherine May, 456 pages, Xenia


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