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Oui, Wikipédia est un mauvais docteur

Publié le 03 juin 2014 par Pierrotlechroniqueur

Comme vous l'avez sûrement constaté, ami lecteur et Wikipédien (d'autant plus qu'on en a abondamment parlé sur le Bistro), une étude américaine, menée par le Journal de l'association américaine d'ostéopathie, a fait le buzz (comme l'on dit de nos jours) en proposant l'évaluation, par deux médecins, d'une sélection d'une dizaine d'articles de la Wikipédia anglophone consacrés au domaine médical. La conclusion de cette étude est sans appel : neuf articles sur dix sont, selon les éminents spécialistes qui se sont penchés dessus, entachés d'erreurs plus ou moins importantes. La presse, y compris française, s'est emparée du sujet pour asséner une nouvelle fois ce message si politiquement correct : Wikipédia n'est décidément pas fiable. Et il vaut mieux ne pas la consulter quand il s'agit de se renseigner sur des maladies ou des symptômes. Pour reprendre le titre, par exemple, du dernier numéro du Journal du dimanche : "Wikipédia est un mauvais docteur".

Si ce n'est que ça, je confirme : Wikipédia est un mauvais docteur. Déjà parce que ce n'est pas un docteur, ni même un site médical ou de consultations en ligne, mais un projet d'encyclopédie, généraliste qui plus est. L'on pourra alors m'objecter que cette pirouette n'atteint pas la validité de la critique : une encyclopédie doit être fiable et, si une étude démontre qu'elle ne l'est pas sur un sujet, c'est évidemment dommageable. Certes. Mais encore faut-il que la critique soit également fiable pour avoir un minimum de crédibilité et d'impact. Sur ce point, un certain nombre de commentaires peut être apporté, comme l'a bien expliqué mon collègue blogueur Alexander Doria dans son dernier billet. Je n'y reviendrai donc pas.

En admettant même la validité de fond — très possible, voire probable — du procès en fiabilité, une réponse doit y être apportée. Wikipédia n'a jamais prétendu se substituer à un médecin ou à une expertise médicale. Le projet n'est pas non plus responsable de l'éventuelle inconséquence d'un malade qui privilégierait l'auto-diagnostic forcément aléatoire, en se basant sur ce qu'il lit et en dépit de son manque de connaissances, à la nécessaire visite chez son médecin traitant. Et ce d'autant plus que, théorique et généraliste, l'encyclopédie n'a pas de possibilité de traiter un cas particulier, chaque patient étant unique, avec ses propres spécificités et, éventuellement, contre-indications. Wikipédia apporte des savoirs, non des réponses aux questions (elle n'est même pas faite pour le lecteur, en tout cas pas un lecteur en particulier). Pour faire un parallèle, son but n'est pas davantage de remplacer l'avocat ou le magistrat, ce qui ne l'empêche pas de traiter le droit comme n'importe quelle thématique encyclopédique. Avec une possibilité d'erreur et d'obsolescence naturelle et quantifiable statistiquement, qui est hélas inéluctable et inhérente à son fonctionnement et même à sa nature.

Il existe un outil, par ailleurs de plus en plus contesté ces derniers temps, où il y a effectivement des contributeurs qui apportent des réponses à des questions : c'est l'Oracle. Mais, justement, les interrogations portant sur le domaine médical se voient systématiquement rejetées sans réponse, et l'internaute est invité à se rendre à une consultation en bonne et due forme. Il y a même un bandeau dédié. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'opportunité de l'apposer sur tout article médical. Pourquoi pas mais, encore une fois, les Wikipédiens ne sont pas responsables de l'imprudence de leurs lecteurs ...

À vrai dire, et en conclusion, le chiffre qui m'a le plus interpellé n'est pas vraiment celui qui a été le plus rapporté et amplifié par les médias (sans doute parce qu'il ne permet pas de porter une critique directe à Wikipédia, réelle ambition de la popularisation à visée marronnière de l'étude) : de l'aveu même du responsable de l'enquête scientifique, une bonne moitié au moins des médecins et des étudiants en médecine se base sur Wikipédia dans le cadre de leurs activités estudiantines ou professionnelles. En lieu et place des cours de leurs professeurs ou de leurs dictionnaires médicaux professionnels. Une tendance qui, finalement, va de pair avec l'évolution générale de la société, encline à utiliser Wikipédia comme étant sa première source d'informations. Il n'empêche que cette donnée-là, je la trouve personnellement bien plus inquiétante que le reste ... Il faudra que j'interroge mon médecin traitant sur le sujet, tiens.


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