A gauche, la chanteuse Rim Banna ; à droite, la réalisatrice Annemarie Jacir
Cinq ans après Intervention divine d’Elia Suleiman (prix du Jury en 2002), un autre film palestinien est présent au festival de Cannes. Il s’agit du Sel de la terre (Milh hadha al-bahr ملح هذا البحر), une fiction qui tourne autour de la rencontre entre Emad (Saleh Bakri), un jeune Palestinien qui ne rêve que de quitter son pays, et Soraya (Suheir Hammad), émigrée de la troisième génération, née et élevée aux USA et venue renouer avec son pays d’origine.
Le scénario n’est pas totalement étranger à l’histoire personnelle de la réalisatrice, Annemarie Jacir (آن ماري جاسر). Née à Nazareth, elle a passé une partie de son enfance en Arabie saoudite où travaillait son père avant de gagner les USA. Depuis quelques années, elle vit à Ramallah, "capitale" des Territoires occupés.
Ou plutôt elle vivait car, en dépit de son passeport américain qui devrait en principe lui "faciliter la vie", les autorités israéliennes lui refusent depuis bientôt un an le droit de rentrer chez elle (sur son indispensable blog, Alain Gresh fait allusion à la fin de son billet à cette situation décrite de façon détaillée dans un article publié sur le site de l’association France-Palestine Solidarité).
Annemarie Jacir a donc sans doute raison de penser que la question du retour est, pour les autorités israéliennes, LA véritable ligne rouge. Evoquer cette question, c’est donc franchir une frontière symbolique qui entraîne, immédiatement, les pires représailles, à savoir le bannissement des territoires sous contrôle israélien, des deux côtés de la Ligne verte, dans la Palestine de 48 (d’où est originaire la réalisatrice et l’héroïne du film) et dans les Territoires occupés sous prétendue autonomie palestinienne.
Interdite de séjour chez elle, Annemarie Jacir a dû se résoudre à terminer à… Marseille le film présenté ces jours-ci à Cannes. Comme elle s’en explique dans un entretien (en arabe) publié il y a quelque temps déjà dans le quotidien palestinien Al-Ayyam, elle n’en a pas moins atteint son but : faire entendre sa voix, quels que soient les obstacles.
Briser le mur du silence, c’est également le but que se donne une autre jeune artiste palestinienne. Pour Rim Banna (ريم البنا), qui vit à Nazareth - en territoire israélien donc -, chanter est d'abord un acte politique. Elle revendique son choix de rester à l'ouest de la Ligne verte, pour faire entendre depuis l'autre côté du mur, cette résistance patiente, ce "tenir bon" (صمود) des Palestiniens de 48.
Avec une petite dizaine d’albums produits depuis 1985, Rim Banna a ouvert la voie à toute une génération de chanteuses, en Jordanie, en Syrie et au Liban notamment, qui se proposent de renouveler la chanson arabe en associant thèmes traditionnels et orchestrations modernes d’inspiration occidentale (son mari, Leonid Alexeienko, est une figure du rock ukrainien).
Avec une telle carrière, la réputation de la chanteuse ne connaît plus, depuis longtemps, de frontières. Musicalement en tout cas car, comme les Palestiniens porteurs d’un passeport israélien, il lui est bien plus facile de se produire en Europe que dans le monde arabe. Invitée dans le cadre du programme "Damas, capitale de la culture arabe" (voir ce billet), elle n’a bien entendu jamais obtenu son visa de sortie pour cette destination. Face à cet obstacle, Rim Banna a inauguré en mars dernier une nouvelle manière de se produire, le "concert virtuel" : face à une webcam, chez elle, à Nazareth, elle a chanté pour ses admirateurs syriens réunis dans un café internet du quartier de Bab Touma à Damas ! Expérience qu’elle a renouvelée depuis pour d’autres destinations qui lui sont interdites : à l’université de Yarmouk en Jordanie, à Beyrouth où on a pu l’écouter à la Maison de la laïcité (البيت العلماني) ouverte depuis février dernier, ou encore à Gaza, toujours coupée du monde par le blocus israélien…
Soyons juste ! Il est des pays arabes où l’évolution de la situation diplomatique rend les visites des artistes palestiniens moins impossibles : l'Egypte depuis les accords de Camp David, d'autres plus récemment, dont les Emirats arabes unis. Mais c'est sans compter sur d'autres barrières. En effet, en plus des interdictions israéliennes il faut intégrer la question, extrêmement complexe et douloureuse, du boycott (voir ce billet), lequel complique encore plus la situation. Il a ainsi fallu toute l’autorité du ministre de l’Enseignement supérieur local, pour faire obtenir à la chanteuse palestinienne, porteuse d'un passeport israélien, son visa d'entrée pour les Emirats.
C'était il y a quelques jours, à l’occasion d’un concert donné à Abu Dhabi, pour réunir des fonds à l’intention des étudiants de l’université Al-Quds de Jérusalem, Rim Banna a pu, pour la première fois, aller à la rencontre - non pas seulement virtuelle - d’un autre public arabe que le sien. Pour cette occasion, elle avait apporté dans ses bagages une pierre tirée d’un tas de ruines : tout ce qui reste, à l’exception d’une mosaïque miraculeusement (!) préservée, d’une église de Saffuriyya, petit village où, selon la tradition, est née la Vierge, à quelques kilomètres de Nazareth, en Palestine.
Ce village a été totalement détruit par les forces israéliennes, et ses habitants vivent aujourd’hui à Nazareth, ou encore dans le camp d’Aïn al-Heloué, au sud de Beyrouth.
Cela s’est passé en 1948, il y a tout juste 60 ans…
Plusieurs titres de Rim Banna sur YouTube, notamment This was not my story et The Night has fallen down.
Pour l'apprentissage de l'arabe,je recommande cet extrait illustré de Mâlik
Plus de titres disponibles sur la Toile, et notamment sur la partie arabe du site de la chanteuse.