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Elections européennes : la force d’attraction du Front national sur les catégories populaires

Publié le 05 juin 2014 par Delits

La première place du Front national aux élections européennes, après ses bons scores aux élections municipales et à différentes élections partielles, est révélatrice d’une profonde crise politique et sociale. Un électeur sur quatre qui s’est rendu aux urnes a choisi l’extrême-droite, démontrant la séduction que ce parti exerce sur une large partie de l’électorat par le biais de son discours de rejet des immigrés et de l’élite politique. Les propos des leaders du FN rencontrent un écho important dans un contexte de difficultés croissantes pour les plus modestes, dont le pouvoir d’achat recule et qui sont les premières victimes de la montée du chômage, mais également de craintes toujours plus vives pour beaucoup d’autres de rejoindre les rangs de cette population en difficulté ou de voir leurs proches le faire.

La montée du Front national révèle également en creux les déficiences des deux grands partis de gouvernement. D’une part, le PS, qui s’effondre à cause du très fort mécontentement que suscite la politique de François Hollande, et d’autre part l’UMP, qui, bien avant les derniers rebondissements de l’affaire Bygmalion, apparaissait empêtrée dans les affaires et la guerre des ego, tout en n’arrivant pas à incarner une ligne d’opposition claire. Alors qu’aucune autre force politique n’arrive à incarner une alternative séduisante et suffisamment fédératrice (que ce soient les centristes, les écologistes ou le Front de gauche), l’extrême-droite poursuit sa conquête de l’électorat, apparaissant désormais très implanté dans certaines franges de celui-ci.

Le FN est en tête chez les ouvriers, mais également chez les employés et les professions intermédiaires

Le FN est arrivé nettement en tête des élections européennes, devançant de 7 points les listes de l’UMP et de 11 points celles du PS. Néanmoins, le parti d’extrême-droite garde une sociologie électorale très marquée et sa domination s’exerce inégalement en fonction des catégories socioprofessionnelles.

Elle est très claire auprès des ouvriers puisque près de la moitié de ceux qui se sont déplacés pour voter ont glissé un bulletin du Front national dans l’urne (45% selon la moyenne des sondages sur la sociologie du vote1). Le parti d’extrême-droite est donc nettement en tête cette catégorie socioprofessionnelle, 32 points devant l’UMP (13%) et 36 points devant le PS (9%). Un peu moins d’un tiers des ouvriers votants avaient choisi ce parti à l’élection présidentielle (31 % selon les données des enquêtes électorales du CEVIPOF). Il est tentant d’y voir une progression du parti frontiste parmi cette frange de l’électorat particulièrement sensible au discours du FN sur les méfaits de la mondialisation du fait de la désindustrialisation rampante du pays. Pourtant, cette hausse ne pourrait être qu’un trompe-l’oeil et résulter d’un différentiel de participation (seuls 36 % des ouvriers ont participé au scrutin européen alors que 71 % avaient participé au premier tour l’élection présidentielle selon les données Ipsos). Les ouvriers favorables au FN semblent s’être davantage mobilisés que ceux de gauche, augmentant donc mathématiquement leur proportion dans les suffrages exprimés. Cette explication qui peut rassurer sur la pénétration réelle du vote frontiste ne peut cependant pas totalement relativiser les résultats de l’élection car cette mobilisation différentielle, pour être inversée, appelle de vraies réponses de la part des autres partis politiques, sinon elle a toutes les chances de se reproduire. En tout état de cause, le score du FN parmi les ouvriers, qu’il résulte plus d’une véritable progression de l’audience du parti ou davantage d’une plus forte capacité de mobilisation de cet électorat, est évidemment très important et montre une véritable colère sociale, malheureusement loin d’être neuve.

Cependant, malgré ce score imposant, il n’en demeure pas moins que le vote pour le Front national n’est pas hégémonique parmi les ouvriers, loin de là. D’une part, ils renoncent encore très majoritairement au jeu démocratique en s’abstenant toujours davantage que la moyenne (64 % d’abstention parmi les ouvriers contre 58 % parmi l’ensemble du corps électoral) – ce qui n’est pas forcément un meilleur constat démocratique – et, d’autre part, plus d’un sur deux se prononce toujours pour un autre parti.

Européennes - vote selon CSP

Le vote frontiste est également très fort chez les employés (36%), ce qui est sans doute plus inédit (21 % à l’élection présidentielle selon le CEVIPOF), notamment parce que cette catégorie socioprofessionnelle est très majoritairement composée de femmes (environ les trois quarts), et que les femmes sont traditionnellement plus rétives au vote Front national. Or, pour ces élections européennes, les votants et les votantes se sont prononcées pratiquement de la même manière, le Front national ne gardant qu’un léger avantage parmi la population masculine (26 % pour le FN chez les hommes et 23 % chez les femmes), des chiffres qui ne doivent cependant pas faire oublier qu’hommes et femmes restent très inégaux face à l’abstention (63 % des femmes se sont abstenues pour 52 % des hommes, ces 10 points d’écart démontrant qu’en 2014, les femmes se considèrent toujours plus incompétentes sur les questions politiques que les hommes). En valeur absolue, les bulletins masculins pour le Front national restent nettement plus nombreux.

Européennes - vote selon genre

Un quart des commerçants et artisans ayant voté aux européennes a soutenu le Front national (26%), un score moins étonnant car cette catégorie socioprofessionnelle a toujours été plus perméable à ce vote (26 % à l’élection présidentielle).

Parmi les professions intermédiaires, le vote pour le FN est moins important mais représente 21 % des voix, ce qui permet au parti de Marine Le Pen d’être premier en voix également dans cette catégorie (devant le PS qui recueille 16 % des suffrages des professions intermédiaires et l’UMP qui en obtient 15%). Ce chiffre est également nettement plus élevé que lors de l’élection présidentielle (14% des professions intermédiaires s’étaient prononcées pour Marine Le Pen) et semble témoigner d’une audience du FN en progression parmi les catégories moyennes.

Les cadres restent les plus hostiles au vote pour le parti d’extrême-droite. Ainsi, parmi ces catégories plus aisées, il n’arrive qu’en quatrième position du vote aux élections européennes, derrière l’UMP, l’UDI-MoDem et le PS, et à égalité avec EELV. Pour autant, même parmi cette frange de l’électorat qui vote traditionnellement peu pour le parti d’extrême-droite et qui continue à lui accorder quatre fois moins de suffrages que les ouvriers, le parti de Marine Le Pen recueille un score loin d’être négligeable (12 %). Ce résultat est clairement supérieur à celui que les cadres avaient accordé à Marine Le Pen à l’élection présidentielle (7 % selon les enquêtes électorales du CEVIPOF).

L’arrivée en tête du FN ne modifie donc pas profondément la sociologie de l’électorat frontiste. Le vote pour le parti de Marine Le Pen continue, comme c’était le cas jusqu’à présent, à décroître au fur et à mesure que l’on monte dans l’échelle sociale, ce qui recoupe en partie les fortes différences que l’on observe selon le niveau de diplôme.

Européennes - vote selon diplôme

Le FN, fort chez les jeunes ?

L’information a été largement relayée dès le soir des élections : le Front national aurait réalisé ses meilleurs scores chez les plus jeunes. Si c’est bien vrai dans le sondage d’Ipsos sur la sociologie du vote (selon les données de cet institut, 30 % des moins de 35 ans ont voté FN, 27 % des 35-65 ans et 21 % des plus de 65 ans), les données d’autres instituts ne corroborent pas ces chiffres. Bien qu’elles confirment que les 18-24 ans ont davantage voté FN que la moyenne des Français, d’après elles, ce sont les 35-49 ans qui se sont le plus prononcés pour le parti de Marine Le Pen (à 35 % pour l’Ifop et 31 % pour OpinionWay et Harris interactive contre de 28 % à 30 % des 18-24 ans selon ces différents instituts). Ces différences s’expliquent par une assez forte marge d’erreur pour les tranches d’âge les plus jeunes. Même si ces sondages s’appuient des échantillons solides, les effectifs restent relativement faibles pour les jeunes votants, car ils sont rares, s’étant très massivement abstenus pour ce scrutin (75 % des 18-24 ans et 72 % des 25-34 ans).

Européennes - vote selon age

En outre, cette forte abstention amène un autre démenti à l’idée que les jeunes seraient les plus portés vers le vote frontiste : si 29 % des 18-24 ans qui ont participé ont choisi le Front national, seul un quart de cette classe d’âge a voté. Reporté à l’ensemble des 18-24 ans, le vote FN n’est porté que par 7 % des plus jeunes. Si l’on fait le même calcul sur les 50-64 ans, qui votent moins pour le FN mais participent bien plus (47 % de participation), le vote FN représente 13 % de la classe d’âge. Même parmi les plus de 65 ans, qui sont ceux qui se prononcent le moins pour le FN (16%) mais ont participé à 60 % à l’élection, le vote FN est finalement plus fort : environ 10 % de l’ensemble des plus de 65 ans a voté FN, soit 3 points de plus que les 18-24 ans.

A l’élection présidentielle, 18 % des 18-24 ans avaient voté pour Marine Le Pen, soit moins que les 25-34 ans (25%) et que les 35-49 ans (21%). Ce qui émerge dans la sociologie du vote frontiste est plutôt une opposition entre actifs et inactifs : dans leur vote, les retraités et les étudiants se prononcent moins pour le FN que les salariés (surtout ceux issus du privé, le vote frontiste étant un peu moins présent parmi les salariés du public). Sans grande surprise, le FN rencontre plus d’écho parmi les populations qui sont confrontées aux difficultés du monde du travail ou craignent de l’être, que parmi ceux qui ont quitté le marché de l’emploi, n’y sont pas encore entrés ou disposent d’une sécurité du travail.

Pour éteindre ou tout du moins diminuer la flamme du Front national, il faudra que les partis républicains arrive à regagner ces catégories de population désormais largement conquises par le Front national et à remobiliser les déçus. Pour la gauche au pouvoir, cela ne pourra passer que par les résultats concrets de la politique gouvernementale, qui devra répondre aux attentes et aux inquiétudes notamment des plus modestes. Pour les différentes forces d’opposition, qu’elles soient de gauche, centristes ou de droite, il faudra construire un projet cohérent et faire renaître l’espoir que la politique peut changer leurs conditions de vie.

  1. Sauf mention contraire, les chiffres cités dans cet article correspondent à la moyenne des sondages électoraux d’Harris interactive, de l’Ifop, d’Ipsos, et d’OpinionWay [Revenir]

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