L'Attaque de la boulangerie
La première nouvelle réunit deux jeunes hommes sans le sou qui n'ont pas mangé depuis deux jours. Leur faim est la manifestation symbolique d'un vide existentiel : "Il n'était pas impossible que notre faim ait été directement générée par notre manque d'imagination". Lorsqu'ils décident d'attaquer une boulangerie, le patron, un communiste fou de musique classique, leur propose une transaction. Il leur offrira du pain à condition qu'ils écoutent un disque entier de Wagner avec lui : "Quand nous fûmes de retour à la maison, le néant qui était en nous avait totalement disparu. Et notre imagination se mit à rouler comme sur une pente douce".
Murakami illustre ici, grâce à la figure du maître (le patron) et de l'élève (les deux compagnons), sa foi en l'éducation artistique. Il transmet sa conviction : il est aussi important de cultiver son imaginaire que de pourvoir à ses besoins alimentaires.
La Seconde attaque de la boulangerie
Dans la seconde nouvelle, un couple de jeunes mariés est pris d'une violente fringale en pleine nuit alors que le frigo est vide. La femme se met en quête de nourriture : "Elle alla fureter en douce, comme un écureuil en novembre, dans les placards de la cuisine" (voir la couverture du livre). Pendant ce temps, l'homme a une vision, sorte de rêve éveillé, où il flotte sur l'océan à bord d'un petit bateau et observe le sommet d'un volcan sous-marin : "Cet étrange sentiment de manque - la sensation que le vide existait réellement - ressemblait à la peur paralysante que l'on peut ressentir en se penchant du sommet d'une haute tour. Découvrir des points communs entre la faim et le vertige était pour moi une expérience nouvelle". Il se remémore tout-à-coup la faim à l'origine de l'attaque de la boulangerie, commise avec son complice il y a dix ans, et en raconte tous les détails à sa femme. Celle-ci le croit victime d'une malédiction et le pousse à attaquer une nouvelle boulangerie : "Tu dois accomplir maintenant la tâche que tu n'as pas terminé autrefois". Puisqu'il n'y a plus aucun commerce ouvert la nuit, ils finissent par braquer ensemble un McDonald's, armés et cagoulés. Ils engloutissent ensuite les hamburgers volés dans leur voiture jusqu'au lever du soleil : "La faim insatiable qui nous tourmentait pour l'éternité, semblait-il, s'était évanouie avec l'aube". Avant de s'endormir sur le siège automobile, l'homme poursuit son voyage en mer et constate la disparition du volcan qui menaçait le couple d'exploser (était-ce bien nécessaire d'attaquer la boulangerie ? la femme répond que c'était indispensable). Le bateau semble être le lit dans lequel le héros a l'habitude d'embarquer pour le rêve : "Les vaguelettes mollement agitées par le vent faisaient un doux clapotis contre le bord extérieur de l'embarcation, comme les manches d'un pyjama de soie. Je m'allongeai sur le fond du bateau, fermai les yeux et attendis que la marée montante m'emporte vers ma destination".
La nouvelle m'est d'abord apparue comme totalement absurde. Puis j'y ai décelé un questionnement sur la fragilité du couple, l'absence de communication, la dangereuse tendance à vouloir fusionner avec l'autre et l'acceptation de ce qui nous paraît pourtant inacceptable : "Je n'avais pas la moindre idée de la raison pour laquelle ma femme avait un pistolet en sa possession (...) mais elle ne me donna pas d'explication et, de mon côté, je ne lui posai pas de questions. Je me fis simplement cette réflexion que la vie conjugale était un phénomène bien étrange". Murakami nous met en garde : il ne faut pas renoncer à connaître celui ou celle que l'on prétend aimer. Il arrive parfois que, face aux désillusions de l'intimité partagée, nous préférions nous retrancher dans le silence. Un seul bruit résonne alors dans notre tête: l'entêtant fantasme de modeler l'autre selon nos attentes.
Les Attaques de la boulangerie est un récit en 3D (trois dimensions: réaliste, fantastique, onirique) dans lequel l'étrange fait peu à peu irruption dans la vie banale. Le livre vous laisse avec l'impression d'avoir été cueilli au réveil d'un songe, à l'instant même où, l'esprit encore embrumé, vous ne savez plus très bien comment démêler le vrai du faux. Et si les évènements de la nuit n'étaient pas uniquement le fruit de votre imagination mais s'étaient bel et bien déroulés ? Et si vous n'aviez pas plutôt rêvé votre journée ?
Autoportrait de Kat Menschik en compagnie d'Haruki Murakam
Les couleurs (vert et or) sont présentes dans tous les illustrations des nouvelles
* Pour en savoir plus sur Kat Menschik, ci-dessous une biographie sur le site du Goethe-Institut:
http://www.goethe.de/kue/lit/prj/com/cav/kat/frindex.htm