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Le nouveau capitalisme criminel (JF Gayraud)

Publié le 11 juin 2014 par Despasperdus

Le nouveau capitalisme criminel éclaire les zones d'ombre du monde de la finance. Selon Jean-François Gayraud, haut fonctionnaire de la police, les dernières crises du capitalisme révèlent combien le crime organisé est un acteur essentiel de la finance, profitant à fond de la dérégulation et de l'opacité des marchés, imposant ses mauvaises pratiques et corrompant les "bons" acteurs du monde économique et monde politique.

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En introduction, l'auteur reprend la distinction, établie par l'historien Fernand Braudel, entre économie de marché et capitalisme. L'une est transparente et simple, faite d'échanges et concurrentielle. L'autre est sophistiqué, fait d'échanges inégaux et de domination, de monopoles et d'accumulation de capitaux où la concurrence existe peu. Avec le capitalisme émerge une classe privilégiée très restreinte et très puissante aux pratiques opaques et peu contrôlées. Il estime d'ailleurs que le libéralisme repose sur un postulat erroné :

« La main "invisible" d'Adam Smith est au mieux "noire" - couleur de la peau des esclaves - et au pire "rouge" du sang des victimes d'un commerce d'êtres humains particulièrement meurtrier. Il y a ainsi un écart considérable entre ce que le philosophe sait de la réalité et ce qu'il en décrit. Car, dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Adam Smith explique le développement formidable des colonies uniquement par "une bonne terre abondante et la liberté de faire" et reste totalement silencieux sur le soubassement esclavagiste de cette économie; même s'il explique par ailleurs que les trois sources générales de la prospérité sont la terre, le capital et le travail. Apparemment, les esclaves ne sont pas perçus comme des travailleurs mais comme un capital, propriété des colons. L'histoire proposée par Adam Smith n'est donc pas celle, très sombre, d'un système économique, fondé sur l'esclavage, mais une autre plus optimiste et rassurante, dans laquelle le jeu du commerce, du marché et la libre entreprise créent de manière infaillible de la prospérité. »

Le laisser faire du libéralisme, autrement dit la dérégulation des marchés prêchée par l'idéologie néolibérale est criminogène. Elle n'est pas criminelle par nature, mais elle favorise les comportements criminels de la classe capitaliste. Lors de la crise des subprimes, l'importance du crime a été marginalisée. Des coupables ou supposés coupables, Madoff aux États-Unis et Kerviel en France, ont été jetés en pâture au public pour calmer les esprits.

Le capitalisme mondialisé dominé par la finance est ressorti de cette crise encore plus puissant. La dérégulation n'a pas été remise en cause. Le crime a systématiquement été présenté de manière anecdotique alors que les crises financières ont - d'après l'auteur - pour origine des actes frauduleux. En d'autres termes, l'analyse économique et politique des crises ignore ou minimise l'alliance des délinquants en cols blanc et du crime organisé.

« ces deux univers criminels apparemment si dissemblables savent s'associer, coopérer et trouver des terrains d'entente mutuels. Ces porosités entre cols blancs criminalisés et professionnels traditionnels du crime s'expliquent par une simple convergence d'intérêts. cependant, ces porosités et ces convergences conduisent aussi à une hybridation croissante : d'un côté des criminels en col blancs adoptent certaines caractéristiques du crime organisé des gangsters (habitudes, associations, clandestinité); d'une autre côté, la couche supérieure du banditisme a appris à s'intégrer aux élites sociales légales suite au blanchiment de ses gigantesques profits criminels.»

L'auteur qualifie le capitalisme financiarisé, mondialisé et dérégulé de capitalisme de la fraude et l'illustre avec des exemples récents, dont certains très proches de nous.

Ainsi, la première partie de l'ouvrage analyse la "récession yakuza" qui a mis à terre un Japon, alors en pleine croissance économique dans les années 80, les "pyramides albanaises" ou le mirage capitaliste de l'après Hodja, le Mexique et "l'effet cocaïne" après la création de l'ALENA, l'Espagne et son béton bien dopé qui faisait rêver les libéraux de tous poils, ainsi que la Colombie et les pyramides de la coca.

Toutes ces crises ont des caractéristiques à la fois locales, parfois culturelles, et surtout universelles : dérégulation des marchés - forte croissance boursière ou immobilière - produits financiers ou immobiliers alléchants - engouement populaire - corruption des élites économiques et politiques - complicité des établissements bancaires avec le crime organisé - apparition d'une bourgeoisie criminelle - perte de confiance - explosion de la bulle financière ou immobilière- ruine des petits épargnants - crise économique, sociale et politique :

« La croissance annuelle moyenne ne dépasse pas 1,6 % contre 3 % dans les années 1980, et le chômage passe de 2 % à 5,5 %. Et le système financier japonais se retrouve sous la tutelle de l'Etat, en faillite virtuelle, nationalisé de fait par les plans de sauvetage d'argent public. Comprenons bien le sens de ces plans successifs, coûteux et peu efficaces. Selon un processus connu, il s'est produit une socialisation des pertes et une privatisation des profits. Avec la forte colorisation gangster de cette crise, les Japonais ont nationalisé les dettes du crime organisé par le biais de l'impôt. (...) On parvient ainsi à une situation paradoxale où l'assainissement des mauvaises créances, reportées sur l'ensemble des contribuables rétribue indirectement le capital criminel et constitue une prime aux malversations. »

Jean-François Gayraud décrit également l'activité des banques Wachovia, HSBC et BCCCI qui, avides de profits, ont porté le blanchiment de l'argent de la drogue à un stade quasiment industriel. D'ailleurs, ce fut pendant une dizaine d'années la principale activité de la BCCCI qui se présentait comme la banque du Tiers-Monde ! Comme dans les exemples cités plus hauts, hormis la BCCCI et encore !, ces institutions bancaires criminelles et leurs dirigeants s'en sont sortis quasiment indemnes, devant seulement s'acquitter d'amendes ridicules. Là encore, capitalistes et criminels, mais est-ce nécessaire d'opérer cette distinction ? - se sont enrichis tandis que les petits épargnants ont perdu leurs maigres économies.

L'auteur souligne que cette quasi impunité constitue un encouragement au crime financier. La démission ou la complicité des autorités publiques favorise le blanchiment de l'argent sale et les intérêts du crime organisé. La dérégulation financière et l'absence ou la défaillance des autorités de contrôle permettent au crime de se développer, de trouver facilement des débouchés aux détenteurs de biens mal acquis, d'acquérir une respectabilité sociale... De surcroît, les comportements des criminels et l'émergence d'une bourgeoisie criminelle font tâche d'huile sur le monde de la finance... Il estime même que le capitalisme financier a besoin des liquidités d'origine criminelle, et que certaines institutions financières ont été sauvées de la faillite grâce à la manne de l'argent sale lors de la crise des subprimes.

Cette première partie est passionnante mais, au regard des faits énoncés dans la seconde que je ne commente pas ici, elle décrit la préhistoire du capitalisme financier dérégulé et criminel. En l'occurrence, Jean-François Gayraud démontre qu'aujourd'hui la finance est passée à un autre stade. Grâce à une folle course aux armements qui laisse impuissantes les autorités de contrôle, quand celles-ci existent, la finance s'emballe, démultipliant tous les risques de fraude, de comportements criminels et de crise financière, avec le trading de haute fréquence...

Inutile d'ajouter que Le nouveau capitalisme criminel est un livre passionnant. [1]

Note

[1] L'auteur a été invité dans l'émission Le Bien commun, toujours disponible


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