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Coffret "Au fil de l'Encre" 4/6, aux éditions Encre Fraîche

Publié le 12 juin 2014 par Francisrichard @francisrichard

Pour la quatrième semaine, je poursuis la présentation du contenu du Coffret Au fil de l'Encre que les éditions Encre Fraîche ont publié pour célébrer le dixième anniversaire de leur existence et qui est sorti à l'occasion du dernier Salon du Livre de Genève.

Le mot coffret m'avait d'emblée fasciné. Je savais que ce petit coffre noir ne pouvait renfermer que des écrits de valeur.  Et j'ai été déçu... en bien.

Je m'étais donné pour règle épicurienne de savourer ce coffret pendant six semaines et de rendre compte des nouvelles qu'il contient pendant le même laps de temps, pour ne pas en perdre toute l'essence chemin faisant. Ce n'est pas un devoir que d'observer cette règle. C'est un plaisir, que je prolonge...

Voici donc, pour cette quatrième fois, le compte-rendu de quatre nouvelles, dans l'ordre où elles se présentent dans le coffret.

Lucie, l'héroïne de Silvia Härri, a décidé de se rendre en pèlerinage sur le lieu de leurs dernières vacances avec Jonas, une île, qui sera désormais L'île de Jonas.

Philippe, son mari, a refusé de l'accompagner. Il n'a pas compris qu'elle veuille ainsi retourner le couteau dans la plaie.

Lucie, en fait, ne veut pas que certaines bribes de son passé deviennent cotonneuses, qu'elles s'effilochent, qu'elles disparaissent dans l'obscurité. Pour ne pas les perdre, il faut qu'elle y retourne, sans délai:

Un jour, elle ne saura plus si ses yeux verts tiraient sur le gris ou sur la noisette, si son parfum préféré était chocolat ou citron, le nom de sa meilleure amie Magali ou Anna, s'il supportait plutôt Messi que Neymar.

Philippe veut oublier que Jonas est mort, au moins un peu:

Il faut passer à autre chose, on ne peut pas vivre perpétuellement dans le passé. Il faut s'autoriser à vivre, même si c'est difficile.

Lucie part donc seule pour cette île dont les noms de lieux, Markopoulo, Kastro, Dhrogarati, que Philippe, Jonas et elle, ont visité ensemble, indiquent qu'elle est grecque. Elle remet ses pas dans les leurs de cet été-là, y compris dans cette église où le pope brandit un encensoir. Mais elle la quitte, en rogne:

Elle ne brûlera pas de cierge à un dieu aveugle et sourd. Elle ne rendra pas hommage à celui qui laisse vivre les mères plus longtemps que leurs enfants en inversant l'ordre qu'il a lui-même établi dans sa si grande sagesse, pas plus qu'elle ne rendra grâce à celui qui creuse une fosse entre maris et femmes, sans rien faire pour les rapprocher.

Au terme de ce pèlerinage, elle prend une décision irréversible, qui s'impose à elle, comme une évidence.

Ueli n'est ni un héros, ni un martyr. Il a vécu A l'abri des bruits et des hommes. Et Arthur Brügger se souvient de lui. Peut-être est-ce parce qu'autrement personne d'autre ne se souviendra de lui, comme on ne se souviendra pas de la majorité d'entre nous qui menons une vie insignifiante, sans la moindre chance de laisser aucune trace.

Pourtant Ueli, tout insignifiant qu'il est, n'est pas comme les autres:

Il est né gueule-de-loup, la lèvre inférieure fendue jusqu'aux narines.

Sa mère avait voulu le faire disparaître à sa naissance. Comme, pour se faire pardonner ce premier mouvement d'humeur, elle le couvera, tant et si bien qu'il deviendra trop gros pour courir comme les autres gamins. Alors, il regardera tout avec une patience et une fascination fabuleuses:

Il avait ce regard simple sur les choses, et cet émerveillement rare pour tout ce qui existe. Mieux: il s'émerveillait du simple fait que la chose existe.

De là à dire qu'il est simple d'esprit, il n'y a qu'un pas que d'aucuns franchissent.

En fait, il prend son temps pour comprendre les choses, mais il les comprend. Ce qui lui permet de faire un apprentissage d'électricien et de passer brillamment les examens, mais ce qui ne peut faire l'affaire d'un employeur soucieux de rentabilité. Il vivra donc de subsides versés par les assurances sociales...

Il vivra toute sa vie à la ferme familiale et survivra à tout le monde, à son grand-père qui avait abattu devant lui son cheval, vieux et fatigué; à son père, mort dans un accident; à ses deux frères, l'un mort de maladie et l'autre de suicide; à sa mère, avec laquelle il aura vécu une sorte de concubinage étrange pendant plus de quarante ans, sans connaître d'autres femmes.

Chaque être humain, aussi insignifiant soit-il, n'est-il pas unique et ne devrait-on donc pas se souvenir de son court passage sur terre?

Entre gens de bonne volonté il y a toujours moyen de s'entendre. N'est-ce pas?

Pour l'Europe, sur un esquif surchargé, Fouad a quitté son pays natal africain, où la monoculture du coton a conduit à la famine. Il est porté par les espoirs qu'ont placé en lui sa parentèle.

Ueli a accepté un poste de maton. Il doit exécuter un prisonnier. Heureusement qu'il tire avec précision. Le prisonnier s'écroule définitivement.

Silvio est directeur de prison. On l'appelle d'urgence pour un soulèvement de matons au moment où il va s'accorder un moment de détente avec une pute dans les dix-huit ans, un espace entre les dents, signe de chance paraît-il et de longs cheveux noirs qui lui caressent la raie des fesses.

Madame la Conseillère fédérale triomphe. Le référendum a échoué. La loi sur l'asile sera appliquée, avec tout le ménagement et la prudence nécessaires...:

Une solution plus consensuelle aurait naturellement été encore plus payante en termes de popularité. Mais qu'y peut-elle s'ils choisissent tous de s'exiler? A trop ménager le mouton et la scarole, elle aurait fini par passer pour une molle.

Jean-Hubert est philosophe et vit de ses placements bancaires. Son conseiller va le faire profiter de la baisse du coton...

A la terrasse d'un restaurant, Silvio attend impatiemment sa fille de vingt ans, Mirabelle, qu'il ne voit qu'à rythme mensuel.

Au fil de son récit, Sabine Dormond présente d'abord tous ces gens de bonne volonté, puis dévoile peu à peu ce qui les relie les uns aux autres...

Ludovic vient de tuer son père, raconte Gwendoline Allamand. Il gît sur le carrelage de la salle de bains. Sa mère pousse un cri qui fait accourir son petit frère Alex depuis le jardin, où il retournait la terre du potager, comme le lui avait demandé leur père.

Que s'est-il passé?

Il s'est passé ce qui se passe d'habitude, sauf que d'habitude Ludovic ne tue pas:

Papa était fâché contre maman, alors papa a tapé maman.

Alors il s'est interposé, en se mettant entre lui et elle:

La routine en somme, vraiment comme d'habitude, je ne comprends même pas comment ça a pu dégénérer à ce point.

Ça a dégénéré parce que pour la première fois il a eu le dessus et qu'il n'a pas hésité. Sa colère, accumulée pendant des années, s'est épanchée sur le corps de son père. Il s'est retrouvé assis sur son torse et a heurté sa tête le plus fort possible contre le sol.

Cela devait arriver. C'était à Ludovic de régler le problème, de protéger sa mère et son petit frère.

Cela tombe mal. Ludovic venait de décrocher un rôle au théâtre, dans une pièce de Racine. Il avait passé Le seuil de la maison plein d'espoir ces dernières semaines:

Je savais que j'allais quitter cette maison, que j'allais retrouver une troupe, que j'allais m'enfuir à travers cette pièce, parce que j'avais été choisi.

Mais, maintenant? A moins que...

Francis Richard

Episodes précédents:

Coffret "Au-fil de l'encre" 3/6 aux éditions Encre fraiche

Coffret "Au fil de l'encre" 2/6 aux éditions Encre fraîche

Coffret "Au fil de l'encre" 1/6 aux éditions Encre fraîche


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