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La gouvernance de l’Eglise catholique remise en question au Cameroun

Publié le 13 juin 2014 par Unmondelibre
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L’obligation des fidèles à rembourser une dette inexpliquée à l’Archidiocèse de Yaoundé à hauteur de 6 milliards de FCFA secoue encore le milieu catholique au Cameroun et pose la question de la gouvernance de l’Eglise. Deux questions se posent sans réponses : (1) A quoi ont servi les fonds empruntés ? (2) Quelles dispositions l’Église prend-elle pour améliorer sa gouvernance à l’avenir ? Les supputations vont dans tous les sens sur l’origine de la dette. On parle de la bourgeoisie cléricale, de détournement de fonds par les membres du clergé ou encore de gestion patrimoniale de l’archevêque. En rappel, le 29 juillet 2013, le Pape François avait accepter la démission de l’archevêque de Yaoundé, Monseigneur Simon Victor Tonye Bakot, pour des raisons non-communiquées aux fidèles.

En effet, la question de la crédibilité de l’Église en tant qu’institution morale est posée à travers cette affaire qui s’ajoute aux multiples scandales au sein de l’Église catholique à travers le monde. Cela conduit inévitablement à la nécessité de renforcer de manière décentralisée la gouvernance de l’Église catholique : Pourquoi et comment ?

Tout d’abord, en vue de préserver l’image de marge des membres du clergé en tant que pasteurs exemplaires, il conviendrait de les spécialiser dans les enseignements de l’Église et de laisser aux laïcs les questions de gestion. Si les membres du clergé s’occupent des deux fonctions, il serait toujours difficile aux fidèles de distinguer le temps de César de celui de Dieu. Le fait d’entretenir cette confusion est un bruit dans la transmission des enseignements de l’Église. Aussi, les laïcs en charge de la décision financière pourraient être soumis aux juridictions compétentes sans avoir à écorcher l’image de l’Église.

Ensuite, il faudrait adapter les structures pastorales aux besoins et volontés des fidèles et des prêtres au niveau local. En l’état, la communication de l’Église est descendante, unilatérale et prescriptive. Tout vient d’en haut et le droit de choisir du fidèle n’est pas prévu ; il appartient à l’Église sans le droit d’influencer l’Église ; il est inadéquatement voué à la soumission dans un contexte africain d’émancipation et d’aspiration aux libertés. D’autre part, les prêtres sont pris au piège de la tentation de détournements ou de corruption dans une société africaine qui les considère comme des élites. Au-delà de leur « grâce sacerdotale », il faudrait améliorer leur traitement salarial pour qu’ils s’occupent mieux d’eux-mêmes et de leurs familles étendues par devoir moral sans être tentés de puiser dans les caisses de l’Eglise.

Aussi, il faudrait arrimer les dispositions juridiques ecclésiales aux principes de gestion et de comptabilité modernes pouvant permettre d’assurer la transparence au sein de l’Église. Pour l’instant, la formation pastorale n’intègre pas les méthodes de gestion pourtant, le clergé est appelé à gérer des structures complexes qui nécessitent des expertises de pointe en matière de comptabilité et de gestion des ressources humaines. D’ailleurs, dans son exhortation apostolique Africae Munus (AM, 104) publiée en 2009, Benoît XVI recommandait aux évêques de faire de leurs diocèses « des modèles quant au comportement des personnes, à la transparence et à la bonne gestion financière » sans craindre « d'avoir recours à l'expertise des audits comptables [indépendants] pour donner l'exemple aussi bien aux fidèles qu'à la société ».

Enfin, il faudrait arrimer l’institution religieuse aux exigences de notre société démocratique en matière de séparation des pouvoirs, de participation et de représentation. Pour l’instant, le régime clérical est de type monarchique et au niveau diocésain, l’évêque est le seul dépositaire des pouvoirs dans une Eglise la critique est taboue. Cela fait dire à Ludovic Lado et Paul Samangassou (revue jésuite Etvdes d’avril 2014) que les pouvoirs du clergé consacrés par le Droit Canon ont vocation à évoluer dans une Église majoritairement laïque. En effet, en vue de créer la sérénité entre l’Eglise et les fidèles ou d’assurer que l’Eglise est effectivement au service des fidèles, il faudrait plus de participation et de représentation des laïcs pour contrecarrer un cléricalisme trop présent et accusé en Afrique d’être colonial et/ou capitaliste.

La répartition des pouvoirs au sein d’un diocèse suppose l’effectivité de la collégialité promue par le concile Vatican II et mise à rude épreuve en Afrique par le tribalisme ambiant au sein du clergé. Il faudrait aussi assurer la responsabilité collective dans la gestion à travers la mise en œuvre d’une démarche plus participative. Pour l’instant, le mode de contrôle est horizontal entre les prêtres du même niveau de responsabilité. On devrait ajouter un mode de contrôle vertical qui attribue un droit de regard aux laïcs à tous les niveaux. Toujours en matière de contrôle vertical, Ludovic Lado propose aussi le vote des évêques par les curés à l’image du vote du pape par les cardinaux. On pourrait même élargir ce vote aux laïcs pour renforcer le principe de participation cher à la gouvernance. Le rôle des autorités romaines ou provinciales serait alors de veiller à la régularité des procédures. La pleine démocratie au sein de l’Eglise serait renforcée par un système de mandats pour les évêques. Cela connote non seulement l’obligation de bien faire et de s’autocritiquer, mais aussi celle de rendre compte aux contribuables de l’Eglise que sont les fidèles.

Dans tous les cas, l’Eglise devrait se réformer elle-même avant d’y être contrainte par les aspirations des fidèles à la démocratie.

Par Louis-Marie KAKDEU, PhD & MPA, analyste pour Libre Afrique - Le 13 juin 2014


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