Par Service communication Inra Poitou-CharentesLes abeilles contribuent à la pollinisation de 80 % des espèces de plantes à fleurs nécessaires pour nourrir les hommes mais elles connaissent un fort déclin. La protection du service de pollinisation est un enjeu sociétal majeur écologique et économique. Les systèmes de cultures doivent être réinventés avec des ruptures conséquentes concernant l'utilisation des pesticides, le choix des plantes cultivées et plus globalement, la gestion de l'espace rural.
Dix partenaires pour co-construire de nouveaux systèmes de cultures
Pendant trois ans, dix partenaires se sont associés autour du projet de recherche Polinov, afin de concevoir des systèmes agricoles de grandes cultures innovants et favorables aux abeilles. Le 29 novembre 2012 à Poitiers, l'Acta (réseau des instituts techniques) organisait un colloque de restitution du projet, en collaboration avec l'Istap-Institut de l'abeille et l'Inra, avec le soutien financier de la Région Poitou-Charentes et du Casdar géré par le Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Les actes sont en ligne sur le site de l'Acta.L'alimentation des abeilles et les paysages agricoles
Le suivi de 250 ruches dans la zone atelier Plaine & Val de Sèvre de 450 km² en Poitou-Charentes a montré qu'en plaine céréalière, la flore dont se nourrissent les abeilles de mars à septembre est très irrégulière dans le temps et peut contenir des traces de pesticides. Le paysage idéal pour les abeilles associe cultures (colza, tournesol, luzerne) appréciées des abeilles domestiques et haies, lisières ou bords de champs offrant une flore plus variée et régulière dans le temps.Proposer des solutions originales
Pour concevoir de nouveaux systèmes de culture, des techniques innovantes ont été appliquées à quatre systèmes actuels : céréalier irrigué, non irrigué ou en agriculture biologique, ou polyculture-élevage. Ces techniques innovantes allient réduction des insecticides, gestion adaptée de la surface, implantation de plantes produisant du pollen et/ou du nectar en culture principale (chanvre, luzerne), culture intermédiaire (sarrasin, phacélie/trèfle) ou dans des bandes fleuries placées à l'intérieur des parcelles.Les performances de six systèmes innovants ont été évaluées selon des critères de durabilité en intégrant le point de vue de l'agriculteur et de l'apiculteur. Les deux systèmes innovants conçus à partir du système céréalier irrigué sont parmi les plus performants pour la production de miel et la protection des abeilles domestiques. Mais la contrepartie est un surcoût économique et social pour l'agriculteur, qu'il n'est pas prêt à assumer en l'état selon l'enquête menée auprès de 103 agriculteurs.Les innovations proposées par Polinov seront mises à l'épreuve en exploitations agricoles, dans le cadre du projet Dephy-abeilles. Quoi qu'il en soit, l'optimisation du service de pollinisation sur un territoire impliquera l'accompagnement solide d'un collectif d'acteurs agricoles (agriculteurs, apiculteurs), voire non agricoles (collectivités, chasseurs, naturalistes…).- Pierrick Aupinel Unité expérimentale d'Entomologie
- Vincent Bretagnolle Unité sous contrat Agripop
Un monde sans abeilles ? N’y pensons pas ! Bien sûr, les produits de la ruche, miel,pollen, cire, nous manqueraient. Mais surtout, ces super-pollinisateurs sont indispensablesà l’agriculture. Si on parle de tonnage, 35% de ce que nous mangeonsdépend directement de leur travail silencieux. Si on parle de diversité, c’est 84% desespèces cultivées en Europe et plus de 80% des espèces sauvages qui ont besoin deleurs pattes et de leur toison pour s’échanger du pollen et se reproduire. Alors, seriezvousprêt à vous passer de la plupart des fruits et légumes ?Pourtant, on le sait, les abeilles connaissent des moments difficiles. Pesticides, pathogènes,prédateurs invasifs rendent leur survie difficile. Facteurs auxquels il faut ajouterl’agriculture intensive qui uniformise les paysages et prive les abeilles d’unealimentation constante, accessible et variée. La mortalité hivernale des ruches a dequoi inquiéter : entre 20 et 30% en France, autour de 40% pour la Belgique et la Suède.De quoi désespérer les apiculteurs. Nombreux sont ceux qui jettent l’éponge. Ceci estd’autant plus inquiétant que le monde agricole manque cruellement de pollinisateurs.L’Europe aurait besoin de 13,4 millions de colonies d’abeilles en plus pour ses cultures.Que faire ? Les chercheurs fournissent d’intenses efforts pour mieux comprendre lescauses du déclin des abeilles, et notamment pour trouver les synergies entre facteursenvironnementaux, produits phytosanitaires et maladies. Efforts payants nonseulement en termes scientifiques, mais aussi en termes politiques : ce sont bel etbien les résultats de leurs recherches, notamment celles menées dans les labos Inra,qui ont abouti au moratoire européen sur les insecticides néonicotinoïdes.Les efforts des chercheurs pour déterminer les causes du déclin ne peuvent se passerd’une meilleure connaissance de l’abeille mellifère : sa physiologie, son alimentation,ses extraordinaires formes de communication, la structure sociale des colonies,les pratiques apicoles et surtout, la relation des abeilles avec les divers environnementset écosystèmes qu’elles peuvent rencontrer.Ne perdons plus de temps, et voyons de quoi les scientifiques de l’Inra font leur miel !Abeilles : un déclin préoccupantL’image, qui nous vient de Chine, a de quoi choquer : des dizaines d’enfants, deboutsur les branches des pommiers, pollinisent une à une les fleurs au pinceau, du faitdu manque de pollen compatible et de l’absence d'insectes pollinisateurs. Voilà àquoi ressemblerait un monde sans pollinisateurs, sans abeilles.Si la Chine est un cas extrême, le déclin des abeilles est bel et bien un phénomène global,observé dans des pays extrêmement divers. Aux États-Unis, par exemple, la situation estdes plus dramatiques : les pertes se situent autour de 35%, avec des périodes catastrophe,comme l’hiver 2006-2007, où près de la moitié des colonies a disparu.En France, depuis au moins dix ans, autour de 25% des colonies ne passent pas l’hiver,alors que le taux normal devrait se situer au dessous de 10%.Difficile néanmoins de dresser un constat précis : d’une part, les apiculteurs ne déclarentpas toujours leurs pertes, et d’autre part, la réalité du terrain est trop complexe pourêtre appréhendée par des indicateurs simples d’emploi. Quelques données cependant,recueillies par l’Institut de l’abeille (ITSAP) : c’est l’Alsace qui serait la plus touchée,avec 35% de pertes hivernales annuelles sur la période 2008-2011, suivie par la régionMidi-Pyrénées, qui rapporte 28% de pertes. La région PACA et la Corse font baisserla moyenne nationale (25%), avec des pertes situées autour de 17%.Plusieurs causes pour un phénomène globalComment expliquer un phénomène qui affecte aussi bien la Chine que la France, les USA que la Belgique, l’Angleterreque l’Espagne ? Voilà tout un défi pour la science. D’ailleurs, plus aucun chercheur ne prétend expliquer par unecause unique les pertes qu’affrontent, année après année, les apiculteurs.On attribue actuellement le déclin des abeilles à trois causes principales en constante interaction. D’un côté lespesticides, dont on commence à mieux connaître les effets subtils sur la physiologie de l’abeille. De l’autre, lespathogènes et prédateurs qui exercent une pression de plus en plus forte sur des colonies affaiblies. Enfin, leschangements environnementaux et l’agriculture intensive qui, dans bien des endroits, privent les abeilles d’unealimentation constante et de qualité. Pourtant, impossible actuellement de hiérarchiser ces causes pour direlaquelle a le plus fort impact sur les colonies.D’autres causes ont aussi été évoquées : de mauvaises pratiques apicoles par exemple, ou encore, le changementclimatique. Concernant la première cause, les chercheurs n’y croient pas vraiment : les apiculteurs sont de mieuxen mieux formés, et, hormis des accidents ponctuels, impossible de les rendre responsables du déclin de leurcheptel. La deuxième n’a pas non plus le vent en poupe, puisque l’abeille européenne s’accommode aussi biendes climats méditerranéens que continentaux. À moins que le réchauffement ait un effet indirect : en favorisantla multiplication des insectes, il pousserait les agriculteurs à augmenter les doses de pesticides.Une armée d’ennemis
Les abeilles ne manquent pas d’ennemis acharnés. On recense actuellement une trentaine depathogènes, prédateurs et parasites qui s’attaquent aux ruches.Certains d’entre eux, sans doute les plus dangereux, proviennent d’autres pays, d’Asie notamment.Arrivés en Europe sans leur cortège de prédateurs et parasites, ils sont devenus invasifs et incontrôlables.Des prédateurs venus d’ailleursDard et venin sont sans doute une bonne défense pour les abeilles. Cesdernières n’en restent pas moins la proie de nombreux animaux. Il y a, biensûr, les consommateurs d’insectes habituels, araignées et mantes religieuses,mouches et guêpes prédatrices. Des oiseaux tels que le guêpier ou l’hirondelle,n’hésitent pas à attraper les butineuses au vol. Sans oublier les mammifères,ours ou blaireaux qui, attirés par le miel, peuvent venir piller les colonies,ou les rongeurs qui se sentent au chaud et en sécurité à l’abri d’une ruche.Ces prédateurs ne constituent pas un vrai danger pour les populationsd’abeilles : ensemble, ils se tiennent dans un équilibre écologique. Le vraidanger provient des invasions d’animaux venus d’écosystèmes lointains etqui trouvent en Europe un milieu riche en nourriture et pauvre en ennemisnaturels. Parmi ces espèces prédatrices, celle qui tient actuellement le hautdu pavé et menace la filière apicole, est bien sûr le frelon à pattes jaunes.Les pesticides scrutés par les chercheursUn tapis d’abeilles mortes devant une ruche, résultat d’une exposition aux insecticides :voilà une image qui a de quoi frapper les esprits. Ces intoxications massives, ne sont pourtantpas ce qui préoccupe le plus les chercheurs. Actuellement, dans les labos Inra, on tenteplutôt d’identifier les dommages sublétaux consécutifs à l’exposition à des doses faiblesde produits phytosanitaires. À faible dose, ces produits n’entraînent pas toujours la mortdirecte de l’insecte, mais ils peuvent compromettre la survie de la colonie. Si, comme lepensent la plupart des scientifiques, le déclin des abeilles est aussi lié à l’utilisation depesticides, c’est sans doute ces effets, si difficiles à mesurer, qui seraient en jeu.Super-pollinisateurs et écologie du butinageInstant magique : un grain de pollen germe et le tube pollinique qu’il émet, entredans le pistil d’une fleur pour la féconder. C’est l’évolution en marche, une promessed’innovations génétiques insoupçonnables. C’est aussi, plus prosaïquement, l’annonced’un fruit dans les quelques mois à venir. Or, ce grain de pollen, pour aller del’étamine (partie mâle de la fleur) dont il est issu, jusqu’au pistil (partie femelle), asans doute voyagé sur un insecte, probablement même sur la toison d’une abeille.84% des espèces cultivées en Europe dépendent de la pollinisation par les insectes.Une pollinisation adéquate permet d’augmenter les rendements et d’améliorer laqualité des récoltes. D’où l’importance économique de la pollinisation. Une étudemenée par l’Unité Abeilles et Environnement (Inra Paca) et publiée en 2009 a estiméla valeur du service « pollinisation » au niveau mondial à 153 milliards d’euros.Pour la France, il représenterait 2,8 milliards d’euros. Les abeilles ne savent pas cequ’elles valent !Les besoins en pollinisation sont loin d’être couverts. La France, qui dispose d’environ1,3 millions de ruches, devrait en avoir le triple pour garantir la pollinisation detoutes ses cultures. Voilà des chiffres qui, à l’heure du déclin des abeilles, devraientpousser à une action plus décidée pour leur protection.Quelles fleurs pour quelles abeilles
Y a-t-il dans la nature un exemple aussi éclatant de co-évolution entre espèces quecelui des abeilles et des fleurs ? Fleurs, qui ont besoin des abeilles pour transmettreleur pollen, et qui en échange, leur apportent leur source d’énergie (le nectar), etleur source de protéines et lipides (le pollen). Le programme Florapis, mené par l’Inra, cherche à documenterl’activité de butinage des abeilles domestiques vis-à-vis de la flore française. Ceci, grâce aux observations et auxphotographies partagées par les scientifiques, botanistes, apiculteurs et entomologistes. La base de donnéesainsi obtenue permet de connaître les préférences florales des abeilles. Plus de 600 espèces végétales dont plusde 50 espèces protégées ont été recensées à ce jour. Florapis va se poursuivre et s’étendre à toutes les espècesd’abeilles de France métropolitaine. www.florapis.org
L’abeille qui butine de fleur en fleur, visitant tour à tour prairies, jardins, forêts etchamps : voilà une belle image d’Épinal qui ne correspond plus tellement à la réalité.La plupart des abeilles doivent se satisfaire de milieux agressifs, arides en été,aux ressources alimentaires inconstantes, en proie aux pesticides. Remettre l’écologiede l’abeille au coeur du débat : voilà l’objectif des chercheurs de l’Inra qui tententde faire le lien entre la surmortalité des colonies et le milieu dans lequel elles vivent,notamment avec les systèmes d’agriculture intensive.L’agriculture engendre une forte modification de l’environnement des abeilles, tantdans l’espace que dans le temps. Dans l’espace, car un champ de blé qui n’est pas uneespèce visitée par les abeilles, ne permet donc pas le développement des colonies,contrairement à un champ de colza, qui lui, est visité par les pollinisateurs. Dans letemps aussi, car ce même champ de colza apparemment si profitable aux abeilles, aune période de floraison de moins d’un mois, à la suite de laquelle les abeilles peinentà trouver de quoi se mettre sous la dent. C’est l’impact de ces milieux déséquilibrésque cherchent à mieux caractériser les chercheurs afin de proposer des alternativesplus favorables aux pollinisateurs.
CSI Pollen : enquête sur le garde-manger des abeilles
Personne ne doute que la baisse de la biodiversité végétale est une des causes du déclin des abeilles.Cependant en mesurer l’ampleur à travers l’Europe, voilà qui relève du défi. C’est pourtant le butd’une grande collaboration entre chercheurs et apiculteurs de 15 pays appelée CSI-pollen (Citizen ScientistInvestigation-Pollen). Les apiculteurs volontaires, une soixantaine rien que pour la France, aurontpour mission d’observer la couleur des pelotes de pollen rapportées dans les ruches. Ces couleurs sontspécifiques de chaque type de fleur visitée : si les pelotes ont des couleurs variées, du rouge foncé au jauneclair, alors les abeilles ont accès à une grande variété de fleurs. En revanche, une couleur uniforme dénonceun régime qui l’est tout autant. Afin d’aller plus loin, quelques apiculteurs enverront des échantillonsde pollen pour que les chercheurs puissent évaluer cette diversité. Est-ce qu’une faible diversité des pollensrécoltés est corrélée à une mortalité accrue ou à des maladies particulières ?Voilà une piste que nos experts sont bien décidés à suivre jusqu’au bout.
Et si agriculture et apiculture trouvaient un terrain d’entente ? Peut-on imaginerune agriculture rentable, socialement acceptable pour les agriculteurs, et qui soit àla fois respectueuse des abeilles ? C’est à ces questions que l’Inra et ses partenairescherchent à répondre dans le cadre de plusieurs projets de recherche. Leurs noms :Polinov, Ecophyto-Dephy Abeilles et InterApi.
Une communication pleine de sens
Sons, odeurs, choréographies, contacts ou phéromones, les abeilles disposent denombreux moyens pour communiquer entre elles. Pas étonnant, pour une société aussicomplexe qui doit aussi bien penser à ses besoins immédiats qu’à ses besoins futurs.Chaque message entraîne un changement de comportement, voire un changementphysiologique qui peut être extrêmement profond. La communication des abeillespassionne les chercheurs, qui tentent de percer ses secrets jusque dans les gènes etleurs mécanismes de régulation.