Magazine Humeur

Ecologie, socialisme, christianisme de la libération

Par Alaindependant

Michaël Löwy est directeur de recherche émérite au CNRS à Paris. Il est l’auteur d’une œuvre très vaste centrée sur les classique du marxisme, le romantisme révolutionnaire, la sociologie de la religion et l’anticapitalisme écologiste. Il est notamment l’auteur des livres « La guerre des dieux. Religion et politique en Amérique latine » (Éditions du Félin, 1998), « Marxisme et théologie de la libération » et « Sociologies et religion » (Presses universitaires de France, 2005). L’un de ses derniers ouvrages paru s’intitule « Ecosocialisme » (Mille et une nuits, 2011). Entretien réalisé par Rafael Diaz Salazar pour la revue mexicaine « Papeles de relaciones ecosociales y cambio global », n°125, 2014.

Michaël, tu es un théoricien marxiste et un militant qui, depuis ta jeunesse, est lié au courant politique trotskyste et, ces dernières années, à l’écosocialisme anticapitaliste. Pourquoi as-tu travaillé avec une telle intensité à l’analyse de la religion et, plus particulièrement, à l’étude du « christianisme de la libération » ?

Michaël Löwy : Ma culture est juive, mais je ne suis pas croyant et n’ai jamais eu d’éducation religieuse. C’est à travers la voie de la philosophie politique et des luttes de libération que je me suis rendu compte de l’importance des formes religieuse émancipatrices. J’ai commencé à m’intéresser à la religion pour deux faits qui m’ont beaucoup marqués à la fin des années 1970 : la lecture des thèses « Sur le concept de l’histoire » de Walter Benjamin, qui se proposent d’associer la théologie et le matérialisme historique ; et par le grand événement historique de la révolution sandiniste au Nicaragua, dans laquelle le « christianisme de la libération » a joué un rôle essentiel, y compris dans la direction du FSLN (Front sandiniste de libération nationale, NdT).

J’ai commencé à interpréter Walter Benjamin à la lumière des révolutions latino-américaines, et vice-versa. Je me suis rendu compte à partir de ce moment que dans d’autres pays d’Amérique latine, Brésil en tête, les chrétiens révolutionnaires étaient au cœur de tous les mouvements d’émancipation sociale. J’ai été frappé, d’un point de vue éthique et politique, par le sacrifice de leur vie de tant de chrétiens de la libération, en particulier au Salvador, de Monseigneur Romero jusqu’à Ignacio Ellacuria et les professeurs jésuites de l’UCA (assassinés en 1989 par l’armée salvadorienne, NdT). Il m’a semblé important d’essayer de comprendre ces mouvements à partir d’une perspective marxiste. Pour cette recherche, Ernst Bloch et Lucien Goldmann m’ont été plus utiles que Léon Trotsky (ceci dit avec tout mon respect envers cette figure révolutionnaire historique).

Je souhaitais également me rapprocher des théologiens et des combattants du christianisme de libération de par l’admiration que j’éprouvais pour leur intégrité morale et leur engagement conséquent avec la cause de l’auto-émancipation des pauvres. J’ai tissé des liens d’amitiés qui durent toujours aujourd’hui avec des personnes comme Leonardo Boff, Frei Betto, François Houtart et d’autres encore.

Dans l’un de tes textes tu affirmes que l’écosocialisme doit « chercher son inspiration dans la diversité des cultures révolutionnaires ». Considères-tu que les théologies de libération constituent des « cultures révolutionnaires » ? Penses-tu qu’elles sont des sources d’inspiration pour l’écosocialisme et doivent être intégrées à ses fondements à égalité avec d’autres courants non religieux ? Et pourquoi ?

Les fondements de l’écosocialisme sont « profanes » et n’ont pas d’identité religieuse. Mais de nombreuses cultures révolutionnaires peuvent mener à l’écosocialisme : le marxisme, l’anarchisme, l’écologie critique, l’indigénisme et, bien entendu, le christianisme de la libération.

Par conséquent, on trouve dans la vaste gamme de sensibilités politiques et culturelles de l’écosocialisme ces divers courants, entre lesquels se trouvent, comme je viens de le dire, le christianisme de libération.

Quelle relation établis-tu entre l’écosocialisme et le christianisme de libération ? Quels sont les apports de ce type de religion à la pensée et aux luttes écosocialistes ?

La question de l’environnement occupe une place sans cesse plus importante dans la réflexion des théologiens de la libération, en particulier au Brésil. Leur apport est de relier l’écologie, et pour certains d’entre eux, l’écosocialisme, avec la tradition chrétienne, avec le franciscanisme, avec la Bible.

D’autre part, de nombreuses pastorales populaires, qui sont une composante importante du christianisme de la libération, sont à l’avant-garde des luttes socio-écologiques, par exemple le CIMI (Conseil Indigéniste Missionnaire de l’Eglise) au Brésil, qui lutte avec les indigènes en défense de leurs forêts, en particulier dans l’Amazonie qui subit la voracité destructrice de l’agro-business ou des entreprises minières.

Tu diriges une thèse de doctorat sur la pensée écologiste de Leonardo Boff. Quels éléments de l’éco-théologie de la libération devraient-ils être assumés par d’autres courants écosocialistes qui n’ont pas de matrice religieuse ?

Le brillant auteur de la thèse, Luis Martinez Andrade, pourrait mieux répondre que moi à cette question. Je crois que Leonardo Boff a expliqué, de manière très frappante, la convergence de la cause des pauvres et de la cause de la Terre contre leur ennemi commun : le système capitaliste, exploiteur et destructeur. On ne peut pas défendre les pauvres sans lutter pour la Terre-Mère, et vice-versa. L’engagement de Leonardo Boff avec les pauvres et avec la Terre a sans doute une matrice religieuse, mais tout écosocialiste peut accepter ses arguments et ses thèses, qu’il soit croyant ou non.

Dans ton livre « La guerre des dieux », tu réexamine la question wébérienne des rapports entre l’éthique d’une religion et l’esprit d’un mode de production. Tu analyses l’« anticapitalisme catholique », ses sources et ses modalités historiques et actuelles. Tu te réfères concrètement à la « tradition religieuse anticapitaliste de gauche ». Où se trouve actuellement selon toi l’anticapitalisme d’inspiration chrétienne et dans les autres religions ? Quel est son potentiel pour les résistances anticapitalistes et pour la transition écosocialiste ?

Il existe un anticapitalisme de gauche dans toutes les confessions chrétiennes, mais elle a une forme plus développée dans le catholicisme. Je crois que Max Weber avait raison en soulignant une certaine hostilité permanente de l’éthique catholique vis-à-vis de l’esprit du capitalisme. C’est une antipathie profonde qui a plutôt pris pendant très longtemps une tournure conservatrice et même réactionnaire. Néanmoins, au XXe siècle, à partir de Charles Péguy, apparaît un catholicisme socialiste. Quelque chose de similaire a existé également dans le judaïsme, mais bien plus en tant qu’expression d’intellectuels que comme un mouvement social. Il existe sans doute aussi des formes d’anticapitalisme de gauche dans d’autres religions, mais je n’ai pas la compétence pour en parler.

En France, et dans une moindre mesure dans d’autres pays d’Europe, il a existé dans les années 1950 et jusqu’à la fin des années 1970 un important courant catholique anticapitaliste, mais il a perdu beaucoup de son influence au cours des dernières décennies. En Amérique latine, c’est le contraire. Avec le christianisme de la libération il maintient jusqu’à aujourd’hui, en dépit de la répression du Vatican, une présence active de l’anticapitalisme catholique de gauche. Avec le nouveau pape François, un jésuite latino-américain, il est possible que se créent des conditions plus favorables pour le développement du christianisme de la libération.

Il existe une connexion importante entre ce qu’on appelle « l’écologie des pauvres », les communautés chrétiennes populaires et les groupes de base de diverses religions. Comment vois-tu ce phénomène et quelle est sa valeur ? Il y a-t-il certaines personnes et mouvements dans ce domaine que tu considères comme particulièrement significatives pour l’écolosocialisme ?

Les communautés chrétiennes de base sont l’une des principales composantes de « l’écologie des pauvres » en Amérique latine. Je n’ai pas suffisamment de connaissances que pour parler d’autres parties du monde. Chico Mendès, le dirigeant brésilien des grandes luttes paysannes et indigènes en défense de l’Amazonie, assassiné en 1988, était un socialiste d’origine chrétienne et un militant des communautés chrétiennes de base.

Aujourd’hui il se développe dans toute l’Amérique latine des luttes éco-sociales paysannes, souvent indigènes, contre les projets destructeurs des multinationales du pétrole ou des latifundistes de l’agro-business. Elles ont un caractère implicitement anticapitaliste et ont pour cela une grande importance d’un point de vue écosocialiste. Le mode de vie des cultures indigènes, le « buen vivir » (le Bien Vivre) et leur façon de se relier avec la Terre-Mère sont une référence importante pour l’écosocialisme. Comme le disait le péruvien Hugo Blanco, l’un des plus important dirigeant indigène d’Amérique latine lors d’une rencontre écosocialiste internationale à Belem do Para (Brésil) en 2009 ; « nous, les indigènes, nous pratiquons déjà l’écosocialisme depuis des siècles ».

Diverses églises chrétiennes mènent depuis un certain temps d’importantes initiatives pour la reconnaissance et la restitution de la dette écologique. Quelle importance accordes-tu à cette thématique dans la stratégie de l’écosocialisme ?

La dette écologique fait référence à la dette des pays riches et industrialisés du Nord vis-à-vis des pays du Sud pour le pillage qui a eu lieu pendant des siècles de leurs ressources naturelles naturelles, pour la destruction de leurs forêts, la pollution de leurs cours d’eau, l’appauvrissement de leurs sols, la réduction de la biodiversité.

Du point de vue écosocialiste, il est important que la thématique de la dette écologique ne soit pas posée par ces églises chrétiennes comme une question philanthropique ou de charité, mais bien comme une question de justice sociale. C’est l’un des arguments de l’importante campagne contre le remboursement de la dette – contractée avec la Banque Mondiale ou avec les banques du Nord – par les pays du Sud. L’obligation exigée aux multinationales du pétrole qu’elles indemnisent les populations indigènes et paysannes pour les terribles ravages causés dans l’environnement après de nombreuses années d’exploitation est un autre exemple positif, à condition de ne pas tomber dans le piège qui revient à mettre un prix sur la nature.

Dans l’un de tes textes sur le grand marxiste péruvien José Carlos Mariátegui, tu évoque la question de la « mystique révolutionnaire ». Ils existent dans les religions diverses mystiques et spiritualités de la libération qui ont une connexion étroite avec l’action des sujets qui mènent les luttes écologistes. Il y a au Forum Social Mondial un axe sur les éthiques et les spiritualités. Que ce soit en tant que personnes athées ou religieuses, considères-tu que l’écosocialisme doit aborder la thématique de la spiritualité et de la mystique ? Et si oui, de quel type et pourquoi ?

Dans un article fascinant de 1925, « L’Homme et le Mythe », Mariátegui écrivait ceci : « L’intelligence bourgeoise se complaît à une critique rationaliste de la méthode, de la théorie, de la technique des révolutionnaires. Quelle incompréhension ! La force des révolutionnaires ne réside pas dans leur science ; elle réside dans leur foi, leur passion, leur volonté. C’est une force religieuse, mystique, spirituelle. C’est la force du Mythe. L’émotion révolutionnaire, comme je l’ai écrit dans mon article sur Gandhi, est une émotion religieuse ».

La mystique n’est pas ici un rapport au divin mais bien la « foi, la passion, la volonté », l’engagement jusqu’au sacrifice de la vie. Le Mouvement des paysans sans terre (MST) brésilien a une conception similaire de la « mystique ».

La spiritualité se réfère plutôt à un large ensemble de valeurs éthico-religieuses. L’écosocialisme en tant que tel n’a pas à se poser la question de la mystique ou de la spiritualité, mais chacun de ses militant peut assumer ou non ces dimensions dans son combat pour un nouveau monde possible. J’ai présenté avec Frei Betto un document intitulé « Ecosocialisme et Spiritualité » au Forum Social Mondial de Belem (2009). Ses réflexions sur la spiritualité étaient un apport de mon ami Frei Betto.

Dans le texte que tu as cité antérieurement est évoqué un écrit de Mariátegui sur Gandhi, l’une des grandes personnalités religieuses du XXe siècle. La perspective analytique de Mariátegui constitue une « compréhension » de la personnalité religieuse et de l’action politique de Gandhi qui diffère substantiellement des autres approches marxistes, comme, par exemple, celle de Gramsci. Quelles composantes gandhiennes devrait avoir l’écosocialisme ?

Dans l’article de Mariátegui sur Gandhi, écrit en 1924, on trouve cette réflexion : « Le socialisme et le syndicalisme, en dépit de leur conception matérialiste de l’histoire, sont moins matérialistes qu’ils ne le paraissent. Ils s’appuient sur l’intérêt de la majorité, mais tendant à anoblir et à promouvoir la vie. Les Occidentaux sont mystiques et religieux à leur façon. L’émotion révolutionnaire n’est-elle pas une émotion religieuse ? Il se passe qu’en Occident, la religiosité s’est déplacée du ciel vers la terre. Ses motivations sont humaines, elles sont sociales et non divines. Elles appartiennent à la vie terrestre et non à la vie céleste ».

Il s’agit par conséquent d’une mystique et d’une religiosité « profane », terrestre. Sa signification est celle que j’ai tenté de définir antérieurement.

La figure de Gandhi a plusieurs facettes qui intéressent l’écosocialisme : la « mystique », la spiritualité, la non violence, la critique de la civilisation industrielle, l’organisation collective des opprimés en lutte contre le colonialisme. Il ne s’agit pas d’être « gandhiens » de manière dogmatique mais de récupérer dans son message les aspects qui correspondent aux nécessités de la lutte écosocialiste au XXIe siècle.

Dans ton texte « Marxisme et religion : la figure du Christ », tu analyses l’importance qu’a eu Jésus Christ chez certains penseurs et courants du marxisme classique. Considères-tu que sa vie et son message peuvent également avoir aujourd’hui leur importance pour l’écosocialisme ?

Les prophètes bibliques, le Christ et Saint-François, sont porteurs d’un message utopique – dans le sens noble du terme -, éthique, humaniste, anti-autoritaire, de rébellion contre l’injustice, d’amour des êtres humains et de la nature qui nous intéresse en tant qu’écosocialistes, que nous soyons croyants ou non.

Dans tes livres, tu abordes la crise de la civilisation et tu affirmes la nécessité de construire une nouvelle civilisation. Penses-tu qu’il faut unir « transformer le monde » et « changer la vie » ? Tu évoques également l’antagonisme entre « l’économie morale de la plèbe » et « l’économie capitaliste de marché ». Ces questions abordent des thématiques très profondes qui ont à voir avec une nouvelle éthique et une nouvelle anthropologie anticapitalistes. Je considère que pour la constitution du sujet écosocialiste la culture de la « simplicité volontaire » est fondamentale. En tant que personne qui a consacré une grande partie de ton énergie à la sociologie des religions, quelles dimensions des cultures religieuses de libération peuvent nourrir une culture écosocialiste ?

Bien plus que la « simplicité volontaire », ce qui m’intéresse dans les cultures religieuses de libération c’est la critique intransigeante, « prophétique », de l’idolâtrie de la marchandise, de la fausse religion du consumérisme, de l’adoration du Veau d’Or et de l’argent en tant que dieu Mammon.

Avec une autre terminologie, mais dans un sens équivalent, les écosocialistes marxistes rejettent le modèle de la consommation irrationnelle et le caractère insoutenable du capitalisme, du culte du marché, de la consommation ostentatoire, de l’obsolescence programmée, de la domination de « l’avoir » - l’accumulation de biens – sur « l’être », c’est à dire sur l’autoréalisation humaine.

Les cultures et religions indigènes ont une grande influence sur les nouveaux paradigmes politiques d’une nouvelle gauche révolutionnaire en Amérique latine, particulièrement en Bolivie et en Equateur. Quelle signification donnes-tu à cette réactivation culturelle et politique de cultures religieuses ancestrales ?

Nous avons beaucoup de choses à apprendre de ces cultures et religions indigènes. Elles sont en totale contradiction avec l’esprit du capitalisme. Elles représentent des traditions collectivistes, ce que soulignait déjà en parlant du « communisme inca ». Elles promouvaient des formes de vie simples, sans obsession consumériste (le « kawsay sumak », ou « buen vivir »), et une relation profondément respectueuse avec la Terre-Mère. Ces cultures inspirent les luttes indigènes contre les entreprises multinationales et les mégaprojets qui détruisent l’environnement. En dépassant le contexte local, elles ont impulsé le mot-d’ordre de lutte contre le capitalisme et la défense de la Pachamama à la Conférence des Peuples sur le Changement Climatique célébrée à Cochabamba en 2010. L’écosocialisme en Amérique latine s’inspire de ces cultures, dans lesquelles il reconnaît les sources d’un socialisme écologique indo-américain.

Tu as étudié en profondeur le judaïsme libertaire dans ton livre « Rédemption et utopie ». Il y a-t-il des éléments importants pour l’écosocialisme dans certains courants de la religion juive émancipatrice et prophétique ?

Ce qui m’intéresse chez les penseurs juifs libertaires – Martin Buber, Gustav Landauer, Erich Fromm, Ernst Bloch, parmi d’autres – c’est leur critique aiguë, d’inspiration romantique, de la civilisation industrielle, de la tyrannie du capital et de l’Etat, de la destruction de la nature par les « forces productives » capitalistes.

Walter Benjamin est l’un des grands auteurs que tu as étudié. Il y a dans son œuvre une approche particulière et originale de la question religieuse dans ses avertissements sur la désorientation de la civilisation capitaliste et les réactions face à elle. Que devons-nous intégrer à la culture écosocialiste de son approche ?

Avec sa critique de l’idéologie du progrès linéaire, Walter Benjamin est une sorte de précurseur de l’écosocialisme. Si Benjamin rejette les doctrines du progrès, il n’en cesse pas moins d’affirmer la nécessité d’une alternative radicale au désastre imminent : l’utopie révolutionnaire. Les utopies, les rêves d’un avenir différent, naissent – écrit-il dans « Paris, capitale du XIXe siècle » (1935) – intimement associée à des éléments venant de l’histoire archaïque (« Urgeschischte ») ; c’est à dire d’une société primitive sans classe.

Dans son essai sur Bachofen de 1935, Walter Benjamin développe de manière plus concrète cette référence à la préhistoire. Si l’œuvre de Bachofen sur le matriarcat a autant intéressé Friederich Engels que le penseur anarchiste Elisée Reclus, c’est pour son « évocation d’une société communiste à l’aube de l’histoire », une société sans classe, démocratique et égalitaire, impliquant une véritable « subversion du principe d’autorité ».

Les sociétés archaïques sont également celles au sein desquelles existe une plus grande harmonie entre les humains et la nature. Dans son livre sur « Les passages parisiens », Walter Benjamin remet en question la « domination » (« Beherrschung ») de la nature et son « exploitation » (« Ausbeutung  ») par les êtres humains. Comme Bachofen l’avait démontré, Walter Benjamin attire lui aussi l’attention sur la « conception meurtrière (’mörderisch’) de l’exploitation de la nature ». La conception capitaliste/moderne dominante à partir du XIXe siècle n’avait pas existé dans les sociétés matriarcales, parce que la nature était perçue comme une mère généreuse (« schenkenden Mutter »). Ces réflexions ont une grande similitude avec les résolutions de la Conférence des Peuples célébrées à Cochabamba en 2010.

Pour Walter Benjamin, il ne s’agit pas – ni pour Engels également, ou pour le socialiste libertaire Elisée Reclus – de revenir à un passé préhistorique mais bien de poser la perspective d’une nouvelle harmonie entre la société et l’environnement naturel.

Plusieurs dizaines d’années avant l’apparition de la théologie de la libération, Walter Benjamin avait déjà proposé une alliance entre la théologie et le matérialisme historique. Nous trouvons dans ses thèses « Sur la conception de l’histoire » de 1940 une « correspondance » - dans le sens que donne Baudelaire à ce terme dans son poème « Les correspondances » - entre théologie et politique, entre le paradis perdu dont nous éloigne la tempête appelée « progrès » et la société sans classe en harmonie avec la nature, située à l’aube de l’histoire. Il établit une « correspondance » entre l’ère messianique du futur et la nouvelle société sans classe, ainsi qu’une nouvelle harmonie du socialisme avec la généreuse Terre-Mère.

Source : http://www.fuhem.es/revistapapeles/
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera


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