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Réforme pénale : stop aux délires

Publié le 16 juin 2014 par Letombe
Réforme pénale : stop aux délires

« En bref, l’Assemblée nationale a voté tout à l’heure la suppression des peines plancher, mesure symbole du quinquennat de Nicolas Sarkozy». Voici ce que les téléspectateurs du JT de France 2 ont pu entendre en tout et pour tout sur la réforme pénale jeudi dernier. Avouons que c’est plus que bref, entre 2,20 mn sur un jeune homme soupçonné d’agressions sexuelles mais protégé par l’immunité diplomatique de son père et 1,10 mn sur la destruction d’une parcelle de maïs OGM.

Je n’ai pas, bien sûr, l’audience du JT de France 2 mais il ne me parait pas superflu de consacrer un billet à la réforme pénale pour rappeler en quoi elle consiste réellement. Cela me parait d’autant moins superflu quand le ton adopté par la droite m’indigne. Il serait temps que dans la République on n’utilise pas l’insécurité pour manipuler le débat politique mais bien pour la faire reculer. Voilà un sujet qui mérite consensus et non amalgames et paranoïa comme nous avons pu l’entendre lors des débats sur cette réforme. Je regrette au demeurant que pour sa première question d’actualité posée aujourd’hui, Laurence Arribagé, la nouvelle députée de Haute-Garonne, ait choisi sur ce terrain-là d’adopter ce ton polémique et des arguments démagogiques.

Ce texte, nous dit l’opposition, vise à ouvrir en grand les portes des prisons.
Il a suscité l’intervention musclée de Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée confondant délit et crime : « Je vais vous donner un exemple précis : vous avez un pédophile récidiviste condamné à 5 ans de prison, le juge peut obliger à une contrainte pénale à la place de la peine de prison. ».
M. Estrosi n’est pas en reste : «Une loi de liberté pour les délinquants tout simplement, une incitation à la délinquance ».
Encore ? Pour M.Fenech, la contrainte pénale est une mesure de « câlinothérapie pour les candidats au djihad ».
Bigre, l’accusation est sévère, la majorité aurait en projet de libérer des pédophiles récidivistes et des terroristes djihadistes. Soyons sérieux et essayons d’y voir clair.

Non, ce projet de loi n’est pas laxiste. Il entend réformer en profondeur la logique pénale de notre pays afin qu’elle soit plus efficace et plus cohérente pour éviter la récidive. Les chiffres de la décennie passée montrent à eux-seuls l’échec de la politique pénale de droite qui ne se concentre que sur la sévérité de la peine : de 49 900 détenus pour 49 043 places de prisons en 2001 nous sommes passés à 68 569 détenus pour 57 320 places en 2013, tandis que sur la même période le nombre de jugement en correctionnel est passé de 450 000 à 600 000 par an. Incarcérer encore et toujours plus n’a fait reculer ni la délinquance, ni la récidive.
Une réforme pénale s’imposait. Elle a pour objet la prévention de la récidive, l’individualisation des peines et elle renforce par ailleurs l’aide aux victimes.

Pour y parvenir, elle crée tout d’abord une nouvelle peine, sans en supprimer aucune : la contrainte pénale, applicable à tous les délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à 5 ans, jusqu’en 2017, avant d’être étendue aux autres délits après un bilan de l’application de cette loi prévu aux termes d’un délai de deux années. Exécutée en milieu ouvert, la contrainte pénale s’adresse à tous les délinquants ayant commis des délits – et non des crimes, soulignons-le. Elle impose des obligations et interdictions en relation directe avec l’infraction commise. Tout manquement à ces obligations peut entraîner la transformation de la contrainte pénale en peine de prison. Elle concernera environ 25.000 condamnations par an, à comparer aux 120.000 peines de prison ferme en totalité, ou en partie, prononcées chaque année. Autre garantie, c’est le juge, et lui seul, qui décidera quand une contrainte pénale est plus efficace qu’un sursis avec mise à l’épreuve ou la mise en détention pour sanctionner un délit, il n’y aura donc aucune automaticité. Il s’agit dès lors de rendre la sanction efficiente plus rapidement – et donc de la rendre efficace et plus dissuasive – tandis qu’aujourd’hui l’engorgement du système empêche l’application des sanctions et nourrit donc le sentiment d’impunité ou d’invulnérabilité chez nombre de délinquants. Nous sommes donc loin du « signal désastreux qui est envoyé aux délinquants » dont parle Marion Maréchal-Le Pen.

Ensuite, et comme l’ont justement souligné les médias, les peines planchers seront supprimées comme le mécanisme de révocation automatique des sursis. Non pas par souci de détricoter avec malice «l’héritage » de Nicolas Sarkozy, mais parce que les peines automatiques ont démontré leur inefficacité, car le juge doit pouvoir proportionner la peine qu’il prononce à la gravité du délit et l’adapter à la personnalité de son auteur. Les peines planchers sont inutiles et coûteuses. L’instauration d’un minimum d’emprisonnement ferme en cas de récidive n’a fait qu’augmenter le nombre d’incarcérations et surpeuplé les prisons sans améliorer la lutte contre la récidive puisque le taux de condamnations en état de récidive a continué de progresser après l’instauration des peines plancher. De plus, les juges ne se sont pas saisis de cet outil puisque sur 3 millions de décisions correctionnelles en 5 ans, seulement 42 000 peines planchers ont été prononcées. Elles pèsent donc peu dans l’arsenal répressif et nuisent au principe d’individualisation des peines.
Même souci d’efficacité quant à la suppression de la révocation automatique du sursis simple : aujourd’hui lorsqu’un condamné réitère un délit dans les 5 ans qui suivent sa condamnation assortie d’un sursis simple, son sursis est automatiquement révoqué, sans que le juge ni l’intéressé ne le sachent forcément. Afin de permettre au juge de pouvoir prononcer les peines les mieux adaptées, il aura désormais la faculté de révoquer ou non une peine avec sursis simple.

Le phénomène de récidive ne se comprend pas que dans le cadre de la détention mais également dans le temps de la sortie de prison, c’est pourquoi un nouveau dispositif de libération sous contrainte sera mis en place, pour un retour progressif et encadré à la liberté. Il n’y aura pas de libération automatique mais une attention portée au triptyque « préparer, accompagner, contrôler ». Préparer la sortie en organisant notamment l’ouverture de l’ensemble des droits sociaux des personnes de manière à ce que ceux-ci soient effectifs au moment de la libération (pas pendant la détention). Il est en effet évident que la plongée dans la pauvreté des sortants de prison, surtout si leur entourage familial fait défaut, renforce les risques de récidive. Accompagner la sortie de prison pour éviter que, comme à l’heure actuelle, 80% des sortants ne bénéficient d’aucun suivi. Contrôler enfin, notamment via l’inscription automatique des obligations et interdictions au Fichier des Personnes Recherchées. De cette manière lors de contrôles ou d’interpellations, les forces de l’ordre pourront tout de suite savoir si une personne enfreint certaines interdictions ou obligations.

Enfin cette réforme ne laisse pas en reste le droit des victimes, que la droite invoquait pour justifier sa politique du tout carcéral et qui a été en réalité le grand oublié du quinquennat Sarkozy. Les crédits affectés au financement des associations d’aide aux victimes ont baissé les trois dernières années du précédent quinquennat. La réforme unifie les droits des victimes pour leur donner plus de force et d’effectivité. Un amendement voté en commission instaure une majoration de 10 % sur toutes les amendes pénales, pour les délits. Ces fonds seront reversés aux associations d’aide aux victimes. Un autre amendement améliore la mise en œuvre de l’indemnisation des victimes.

Parce qu’une réforme ne peut réussir si on n‘y met pas les moyens qu’elle requiert, le recrutement dans les SPIP – les services pénitentiaires d’insertion et de probation – avec l’objectif de limiter au maximum 40 dossiers par agent chargé du suivi des personnes concernées – et le recrutement de magistrats chargés de l’application et de l’exécution des peines et de personnels de l’administration pénitentiaire vont être revus à la hausse. Enfin, le financement de la construction de 6 500 places de prison sur 3 ans a été prévu par le gouvernement car l’actuel niveau de surpopulation carcérale est indigne de notre démocratie.

Alors on en conviendra, nous sommes dans les faits loin des effets délirants prédits par les collègues de UMP. Non, MM. Jacob, Estrosi et Fenech, ce texte n’est pas laxiste. Au contraire les sanctions prévues dans le cadre de la contrainte pénale seront prises rapidement et surtout se verront appliquées rapidement tandis qu’aujourd’hui un délinquant peut espérer passer entre les mailles du filet.

Alors entendre fuser dans l’hémicycle des phrases du type « la vérité de votre projet de loi, c’est le djihadisme » me révulse tant l’opportunisme politique est grossier et dangereux.
Je tiens d’ailleurs à saluer le sénateur UMP Jean-René Lecerf qui a déclaré « Présenter cette loi comme laxiste, c’est de la folie furieuse. (…) Il est tellement facile de dire « laxisme » en espérant toucher des électeurs égarés vers les extrêmes Il n’a par ailleurs pas tort lorsqu’il dénonce dans ces mêmes colonnes de Libé le « procès en sorcellerie » fait à Christiane Taubira. Il est clair que lorsque l’UMP trouve un filon, elle le creuse jusqu’à s’en brûler les doigts.

Alors oui, nous avons abrogé les peines plancher. Non pas parce que c’était une mesure symbolique du quinquennat Sarkozy mais parce que c’était une mesure symptomatique d’une politique pénale de droite à côté de la plaque. Cela méritait bien un billet.

Christophe BORGEL

Député de Haute-Garonne

Christophe Borgel | Site de Christophe Borgel, Député de la 9ème circonscription de Haute-Garonne

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