Magazine Histoire

Pourquoi la Grèce classique n’est pas la matrice de notre civilisation

Par Monarchomaque

Périclès

Je tiens à remettre quelques pendules à l’heure quant aux racines réelles de la civilisation occidentale. Je ne souscris pas de l’école de pensée voulant que la Grèce antique, esclavagiste, païenne & pédéraste, soit la matrice principale de l’Occident. On crois naïvement que les Grecs de l’époque classique ont inventés la raison, la philosophie et la démocratie. Les ingrédients-clés de la construction de la civilisation occidentale sont plutôt, selon mon bagage d’historien : 1. La transition d’une cosmologie immanente à une cosmologie transcendante ; 2. L’encellulement médiéval (et la révolution agricole qu’il a engendré) ; 3. L’éthique protestante du travail ; 4. Le contractualisme calvinien.

1. La transition d’une cosmologie immanente à une cosmologie transcendante

Cette transition s’opère officiellement avec la conversion de l’Europe au christianisme après l’an 300, mais déploie ses effets seulement au Moyen Âge catholique, qui est cependant resté semi-immanent. À propos de cette transition, l’histoien Jérôme Baschet a écrit :

Le christianisme amplifie la possibilité d’une objectivation du réel et d’une connaissance rationnelle de celui-ci. À terme, la dynamique de la transcendance produit une rupture entre l’être et le devoir-être, qui rend capable de s’opposer au monde, pour l’affronter et le transformer. [...] La double mise à distance de la nature et de la surnature, aussi bien de l’homme que de la surnature, est généralement tenue pour l’une des conditions de l’essor occidental, sous les espèces de la connaissance rationnelle du monde et de son appropriation à des fins de transformation. Une telle attitude est certes étrangères aux sociétés polythéistes ou animistes qui, si elles se livrent pratiquement à une transformation de la nature, voir une amélioration des techniques de maîtrise de celle-ci, s’abstiennent généralement de les penser comme telles. [...] La perception d’une nature en voie de désacralisation et mise par Dieu à la disposition de l’homme peut favoriser la recherche d’une amélioration des capacités productives et prédisposer à un rapport à la nature revendiquant sa maîtrise et sa transformation.

Source : Jérôme Baschet, La civilisation féodale. De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, 3e édition, Paris, Flammarion, 2006, p. 767 et 785-786 sur 865.

Mais il faut tempérer ces propos en disant que le christianisme reconnaît que Dieu est à la fois transcendant et immanent.

2. L’encellulement médiéval

Ce phénomène communautaire à échelle continentale marque le Moyen Âge central (vers 900-1200). Il enclenche une révolution agricole, la réapparition des villes, l’invention de l’université, puis la mise en place de l’économie de marché. L’encellulementest un concept historiographique formulé par Robert Fossier dans l’ouvrage Enfance de l’Europe (PUF, 1982). Résumé-synthèse via le magazine L’Histoire :

Comment expliquer l’essor démographique et économique qui, de 950 à 1200, transforme les structures de l’Europe ? Et comment rendre compte de sa logique spatiale ? Le vieux centre carolingien, situé entre Loire et Rhin, ne connaît l’expansion agricole que bien après les périphéries méditerranéennes. Pourtant, dès la seconde moitié du XIIe siècle, il est en tête du dynamisme européen, caractérisé par la crue des hommes et la conquête des sols. Pour rendre compte de ce paradoxe, Fossier a synthétisé un impressionnant matériau : l’ensemble de l’historiographie médiévale produite entre les années 1950 et 1970. [...]

« [L]‘encellulement ». L’historien forge ce néologisme en généralisant l’incastellamento étudié par Pierre Toubert dans les campagnes du Latium : il ne s’agit pas seulement du regroupement des hommes et de la recomposition des propriétés foncières autour des châteaux, mais de l’encadrement des populations par la seigneurie dans le cadre paroissial [...]. De là, la naissance du village, que Fossier, s’appuyant sur l’archéologie médiévale, décrit comme le résultat d’une révolution : « durant plus d’un demi-siècle, de 990 à 1060, il s’agit d’une révolution sociale. J’emploie ce mot à dessein.

3. L’éthique protestante du travail

Elle légitimise, systématise, et généralise l’économie de marché rationalisé qui est apparue auparavant. Voyez mon exposé ici : Extraits choisis de « La pensée économique et sociale de Calvin » de Biéler.

4. Le contractualisme calvinien

Dérivé de la théologie biblique de l’Alliance, le contractualisme a connu une préfiguration imparfaite dans les serments féodaux. Le contractualisme calvinien fut appliqué à presque toutes les sphères de l’existence humaine et a profondément façonné nos institutions et nos systèmes de pensée. Son influence perdure aujourd’hui, quoique de façon déformée. J’ai déjà présenté les répercussions de ce contractualisme sur la théorie du mariage et la théorie du contrat social. Pour un exposé plus exhaustif et magistral, consultez cette œuvre d’un professeur de Harvard Harold Berman : Droit et Révolution. L’impact des Réformes protestantes sur la tradition juridique occidentale [Jus Politicum].


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