Electus

Par Mauss

Quand on est un Groupe d'importance dans quelqu'activité que ce soit, on se doit d'avoir un "Porte-Drapeau", un Flagship comme disent nos amis américains.

Acquérir Krug quand on est Moët & Chandon, développer DS quand on est Citroën, tout le monde comprend la signification de la chose.

Ce "Porte-Drapeau" est en quelque sorte le porte-parole du Groupe auprès de médias de communication toujours soucieux de privilégier l'exceptionnel par rapport à l'ordinaire.

Dans le monde du vin, il en est ainsi également.

Le Groupe PROVINS, un acteur majeur du vignoble suisse, a donc décidé que les plus beaux terroirs du Valais, les cépages autochtones peu connus en dehors de Suisse, mais de très haut niveau, que tout cela méritait la création d'un grand vin de niveau international.

Il y a donc un peu plus de 4 ans, une petite équipe de 4 personnes s'est mise confidentielleement au travail pour créer un vin rouge dont l'ambition est de faire partie des grands crus rouges internationaux dont les références sont bien sûr les classés bordelais, mais aussi quelques grands noms de la Toscane et Maremma comme Solaia, Sassicaia et autres Grattamacco qui ont réussi, eux, à rejoindre rapidement (moins de deux décennies) le gotha des vins recherchés par les amateurs du monde entier.

Les contraintes étaient claires :

- naturellement une sélection rigoureuse des plus beaux terroirs à identifier parmi les centaines d'hectares appartenant au Groupe Provins en Valais,

- puis l'obligation que l'assemblage comprendrait à hauteur minimum de 50 % des cépages autochtones (Humagne rouge, Cornalin, Diolinoir), et que toutes les dépenses requises pour réaliser un grand vin seraient prises en compte, sans qu'une nervosité juvénile, tendance comptable implacable, vienne freiner l'atteinte de l'objectif recherché.

Symbolique valaisanne de l'étiquette : ou comment affirmer ses racines.

Comment faire connaître cette ambition ?

Provins n'a pas cherché la simplicité en acceptant de faire connaître ce cru par des dégustations à l'aveugle, selon les principes maintenant bien connus du GJE.

Il est vrai que pour un vin dont le prix affiché sera à 3 chiffres (en CHF ou €), on a intérêt à ne pas jouer les divas de comptoir et à rester modeste et orgueilleux à la fois, ce qui est loin d'être évident.

Le risque est là : oser se faire apprécier avec des noms aussi forts que Pape-Clément, Léoville-Poyferré, Vieux Télégraphe et Solaia, c'est prendre certains risques à tout le moins, et ce, dans le beau millésime 2010.

Le cadre de la dégustation est parfait : un ancien cuvier datant de Mathusalem (version valaisanne), refait dans les règles de l'art - pierre, bois, chaux, verre -  avec vue unique sur ce vignoble de coteaux outrageusement pentus.

QUELQUES PHOTOS AVANT COMMENTAIRES

Le chemin menant au cuvier, là, en haut à droite

La tour du cuvier : du solide

Vues d'en haut : des vignes improbables (© GJ) qui font de beaux mollets

8 pointures du vin et bibi comme amateur : des sérieux !

Même - et surtout - Madame François, épouse heureuse du tonnelier François (pantalon rouge)

 

Les Cinq tastés, tous en millésime 2010

Observation 1

Incontestablement, la dégustation de ces 5 crus à l'aveugle conforte une homogénéité qui peut paraître étonnante mais bien réelle. Personne n'a trouvé un cru incongrument placé ou n'appartenant pas au niveau qualitatif des autres.

A titre individuel, je mettais tous ces vins en bordelais, d'où mon étonnement de n'avoir pu identifier un Châteauneuf-du-Pape. 

Solaia mis en catégorie "solaire" avec richesse en alcool notifiée et le Vieux Télégraphe comme choix de vin à vieillir… alors qu'Electus choisi comme vin "plaisir" pour consommation proche (dans le temps). 

Petit bémol de ma part : les vins étaient probablement à 18° - 19° alors que je les eusse préférés à 16° - 17°. On sait que cela joue un rôle important. Bouteilles ouvertes 90 minutes avant dégustation, et décantation en carafe. On était averti que le dernier vin provenait d'un magnum.

Observation 2

Clairement, les initiateurs de ce nouveau vin ont privilégié la finesse et le fruité, certainement aidés dans cette tâche par les qualités intrinsèques du cépage Humagne. Le Cornalin, quant à lui, doit apporter sa structure, sa matière et sa force. On attend de voir dans des millésimes postérieurs ce qu'apporteront merlot, cabernets et syrah. Disons qu'une recherche de nervosité plus marquée sera sans doute appréciée des dégustateurs professionnels, surtout ceux qui notent les vins d'abord sur leurs capacités de vieillissement avec complexification des saveurs.

Observation 3

La moyenne des notes des 8 dégustateurs ne place pas ce vin en dernière position : ce qui n'est pas un mince succès, avouons le ! 

Maintenant, il va falloir donner du temps au temps et surtout continuer à présenter ce nouveau vin selon cette formule difficile, mais indiscutable de l'aveugle en comparaison de même millésime.

Il y a actuellement d'autres propriétés suisses travaillant des cuvées haut de gamme nouvelles, basées en mono-cépage ou en assemblage, et j'ai pu en déguster chez un autre producteur. Clairement, les cépages valaisans offrent une finesse remarquable, même le puissant cornalin qui peut avoir des souplesses de jeune fille.

On va conclure sagement en disant qu'après une dure journée à Bahia, la balance helvétique devra retrouver un bel équilibre si on met dans sa couple de droite ces beaux flacons pouvant largement se comparer à quelques noms puissants de leur voisin frusien.

Mais ce que je dis, hein ! :-)

Merci à Provins pour cette superbe organisation et surtout d'avoir pris ce risque réel de l'aveugle, tant il est vrai que les dégustateurs participant à de telles épreuves sont loin d'être des benisouiouis.

Dernier point : au déjeuner qui suivit cette session, découverte majestueuse du safran valaisan, moi qui croyais bêtement que ce n'était qu'en Espagne et au Maroc qu'on le trouvait ! On en apprend tous les jours !

Merci à José Vouillamoz, ardent défenseur de cette culture si difficile.