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Irak : quel rôle futur pour Allawi ?

Publié le 06 décembre 2010 par Rivagessyrtes

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La conclusion, le 10 novembre, d’un accord de partage du pouvoir entre les quatre grands blocs politiques :

- la coalition de l’Etat de droit (89 députés chiites) dirigée par le premier ministre Nouri al Maliki ;

- l’Alliance nationale irakienne (70 députés), alliée à Nouri al Maliki, qui rassemble notamment la mouvance sadriste ; Fadhilah (dissidence sadriste à Bassora) ; le Conseil suprême islamique en Irak ; l’ancien premier ministre Ibrahim Jaafari et Ahmed Chalabi ;

- le Bloc national Al Iraqiyya (91 députés essentiellement sunnites), dirigé par l’ancien premier ministre chiite laïque Ayad Allawi ;

- la coalition kurde forte de 43 députés.

…a permis

i / l’élection du président de la République, le 11 novembre, en la personne du Kurde Jalal Talabani ;

ii/ la désignation, le 25 novembre, du premier ministre chargé de former le gouvernement, Nouri al Maliki (reconduit) ;

iii/ le lancement des négociations sur la formation du prochain gouvernement dont la composition devrait être connue le 15 décembre.

1/ La reconduction de Jalal Talabani à la Présidence

De nombreux commentateurs n’ont pas saisi que l’élection de Talabani à la Présidence marque un tournant décisif dans le fonctionnement des institutions politiques irakiennes. En effet, l’élection du 11 novembre clôt la période des cinq années de dispositions constitutionnelles transitoires (Constitution de 2005) et marque le passage d’une Présidence collégiale dotée de pouvoirs importants vers une Présidence aux prérogatives très limitées. Le pouvoir exécutif repose désormais entre les mains du premier ministre.

Dans l’ancien système, Talabani, le Kurde, était gardé à droite et à gauche par un arabe sunnite (Tareq al Hashemi) et par un arabe chiite (Adel Abdel-Mahdi al Muntafiqi), au titre du partage ethnico-confessionnel des pouvoirs. Le triumvirat disposait d’une prérogative constitutionnelle déterminante : le droit de veto sur les projets législatifs.

Dans le nouveau système, Talabani perd son droit de veto et dispose de pouvoirs surtout honorifiques. Malgré cette baisse en gamme de la Présidence, des candidats se positionnent pour occuper les fonctions de vice-présidents, probablement deux ou trois, qui seront prochainement pourvus. Même si la fonction est diminuée, elle ne manque pas d’attrait : forte rémunération (a priori 600 000 dollars/an) ; elle laisse beaucoup de temps libre pour préparer les prochaines échéances électorales et soigner son électorat ; elle n’emporte pas la moindre responsabilité politique et surtout les postes de vice-présidents permettront de recycler quelques responsables politiques qui n’entreront pas au gouvernement.

Sont considérés comme vice-présidentiables, sous toutes réserves : le sunnite Tareq al Hashemi, membre de la coalition Al Iraqiyya (qui serait reconduit) ; en compétition avec le sunnite Saleh al Mutlaq, également membre de la coalition Al Iraqiyya.

2/ La formation du gouvernement

Nouri al Maliki a été chargé le 25 novembre de former le prochain gouvernement. Il dispose de 30 jours pour réaliser une mission difficile : concilier toutes les ambitions individuelles des responsables politiques, les aspirations collectives des blocs parlementaires en garantissant la viabilité de l’accord de partage du pouvoir signé le 10 novembre. En réalité, Maliki a entamé les premières consultations dés sa reconduction anticonstitutionnelle, le 11 novembre, à la demande du président réélu Talabani.

La procédure de répartition des postes étant inextricable, les grands blocs parlementaires ont défini un système d’attribution de points en fonction du nombre d’élus au Parlement et attribué un nombre de points à chaque fonction particulière. Il semble que le système n’ait pas pour l’heure recueilli l’unanimité, néanmoins son économie pourrait être la suivante :

- chaque bloc dispose d’un nombre de points égal à son nombre d’élus divisé par 2.44 (Al Iraqiyya aurait ainsi 37 points…) (MEMRI);

- dès lors qu’un poste de responsabilités est attribué à l’un des blocs, le quota de points diminue : le président de la République, le Premier ministre et le président du Parlement coûtent 10 points chacun ; les ministères régaliens comptent pour 4 points…

Le gouvernement devrait ainsi compter 38 ou 39 ministres, contre 37 dans l’actuel, un premier ministre et trois vice-premiers ministres, contre deux actuellement. De nombreux ministres devraient se trouver dépourvus de tout portefeuille ; ils sont trois dans l’actuel gouvernement à n’exercer aucune responsabilité identifiable.

L’identité d’un vice-premier ministre est d‘ores et déjà connue : Hussein al Shahrestani, actuel ministre chiite du pétrole et de l’électricité, qui deviendrait vice-premier ministre chargé des affaires énergétiques et de l’électricité (Reuters). Le Kurde Rozi Nuri Shawes devrait être reconduit dans ses fonctions de vice-premier ministre (AK News). Le troisième siège reviendrait à Rafi al Issawi, sunnite membre d’Al Iraqiyya, déjà vice-premier ministre du gouvernement Maliki.

Al Iraqiyya obtiendrait le ministère des finances et laisserait les Affaires étrangères aux Kurdes, c’est le cas actuellement en la personne d’Hoshyar Zebari (AK News). Le bloc d’Allawi qui exigeait 11 portefeuilles en aurait déjà 5 d’assurés : environnement, municipalités, agriculture, finances et immigration. (AK News). Le ministère de la défense pourrait également échoir à Al Iraqiyya (Iraqi Dinar).

L’Alliance nationale iraquienne, coalition de partis chiites alliée de Nouri al Maliki, obtiendrait le ministère du pétrole ainsi que des ministères dits de service : électricité et santé (MEMRI). L’incidence majeure de ces comptes d’apothicaires dans la répartition des postes ministériels se matérialisera surtout dans l’attribution de portefeuilles aux sadristes, composante essentielle de l’Alliance nationale. Leur précédent passage à la tête de ministères de service avait en effet été catastrophique, marquée par la prévarication et l’incompétence. Plus grave, les sadristes lorgnent sur le ministère de l’intérieur (IraqPundit) et il ne fait aucun doute qu’ils en feront, de nouveau, un instrument de vengeance à leur service, dédié au règlement de querelles partisanes et confessionnelles. (LA Times)

3/ Le futur positionnement d’Ayad Allawi dans les institutions

Contrairement à certaines rumeurs, Allawi n’a pas l’intention de se retirer de la vie politique pour écrire ses mémoires (voir ici). Convaincu d’avoir été iniquement privé du poste de premier ministre qui lui revenait, il s’attache à prendre la tête du futur Conseil national des politiques stratégiques et à lui garantir de véritables pouvoirs décisionnels (Ash Sharq al Awsat, 01/12/10) et pas seulement consultatifs.

Dans l’immédiat, les contours de ce futur conseil, tels qu’ils semblent se dessiner, ne devraient pas lui donner satisfaction : un organisme dépourvu d’un véritable pouvoir décisionnel, contraint de se prononcer sur des politiques certes stratégiques (défense, sécurité, économie, énergie…) à la majorité des 8/10èmes de ses membres. Sauf à penser qu’Allawi ne sera entouré que de ses partisans, il a de grandes chances de prendre la tête d’une coquille vide chargée d’entériner les décisions prises par Nouri al Maliki.

Il est probablement trop tard pour qu’Allawi ait le temps et les moyens de réparer ce qui fut sa plus grosse erreur politique : concéder le poste de premier ministre à Maliki en obtenant la certitude de prendre la tête du Conseil des politiques stratégiques, sans avoir la moindre garantie juridique sur les pouvoirs effectifs de cette future institution. Certes, Al Iraqiyya sera associée au processus de décisions au sein du gouvernement et du Parlement, mais dans une proportion ramassée que ne laissait pas augurer sa victoire aux élections législatives.

Voir : Foreign Affairs, Baghdad’s Phantom Power-Sharing Plan,03/12/2010,

http://www.foreignaffairs.com/ARTICLES/67019/reidar-visser/baghdads-phantom-power-sharing-plan?page=show


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