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Wikileaks : much ado about nothing

Publié le 30 novembre 2010 par Rivagessyrtes

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« Il y a plus affaire à interpréter les interprétations, qu'à interpréter les choses : et plus de livres sur les livres, que sur autre subject : Nous ne faisons que nous entregloser. Tout fourmille de commentaires : d'autheurs, il en est grand cherté

 Michel de Montaigne, Les Essais, Ch XIII.

Les premières révélations de Wikileaks telles qu’elles furent interprétées, sans doute hâtivement, par la presse ne laissent pas d’impressionner par leur manque de recul et d’analyse.

Il devrait pourtant être aisément compréhensible qu’il est impossible de se forger une opinion sur l’appréciation de la menace iranienne par les dirigeants arabes, des mesures qu’ils préconisent et de leur détermination à risquer une vaste déflagration, à la seule lecture de quelques télégrammes diplomatiques (à ce jour, seuls 281 sur 251 287 documents ont été publiés…). Néanmoins, chacun des quotidiens destinataires en avance de ces télégrammes s’est fendu d’analyses à vocation définitive dotées de plus ou moins de profondeur : Le Monde, The Guardian, The New York Times

L’exercice est périlleux :

- le nombre insuffisant de télégrammes divulgués ne permet pas de se forger une opinion sur la perception qu’ont, sur le long terme, les dirigeants arabes (le roi Abdallah d’Arabie saoudite, l’émir Hamad al Thani du Qatar, le roi Hamad al Khalifa du Bahreïn, le président Hosni Mouarak…) de la réalité de la menace iranienne telles qu’ils la ressentent en dehors du moment précis où ils rencontrent un ambassadeur ou un haut responsable américain. Leur évaluation de la menace peut en effet évoluer en fonction des déclarations diffusées par les autorités de la République islamique ou de leurs contacts bilatéraux avec leurs homologues iraniens.

- il ne suffit pas d’analyser les prises de position d’un seul dirigeant pour estimer avoir synthétisé celles d’un appareil d’Etat. A cet égard, la diffusion par Wikileaks de nouveaux télégrammes vient largement amodier leur première interprétation belliciste et jusqu’au- boutiste à l’égard de l’Iran puisqu’il s’avère qu’en fonction de ses interlocuteurs, le chef de la mission diplomatique américaine se voit servir un discours tout à fait différent : le ministre koweïti de l’Intérieur est alarmiste (Kuwait 142), sept jours plus tard le représentant du ministère des affaires étrangères présente un point de vue tout différent, beaucoup plus apaisé (Kuwait 161).

- il est important de resituer dans leur contexte les entretiens qui font l’objet de ces télégrammes diplomatiques :

1/ il est bien évident qu’un dirigeant arabe, dont la garantie de sécurité repose in fine entre les mains de l’armée américaine, ne peut pas sous-estimer devant l’ambassadeur américain la réalité d’une éventuelle menace iranienne. Au contraire, il a intérêt à la grossir, à préconiser des mesures extrêmes en se faisant l’avocat de frappes préventives plutôt que de nier une menace qui le laisserait démuni si elle venait finalement à se concrétiser.

2/ la prise en compte du contexte s’impose également du côté américain en ce qui concerne la rédaction et le rédacteur du télégramme. Même si le télégramme est validé par l’ambassadeur, nul ne sait qui l’a rédigé : diplomate junior, senior, conseiller politique… D’où le risque d’être face à un compte-rendu en partie subjectif d’où ressort ce qui a marqué le rédacteur et surtout ce qui pourra abonder dans le sens de la diplomatie américaine (l’Iran est une menace) et qui pourra être utilisé à dessein pour entraîner d’autres pays (les Saoudiens pensent comme nous : l’Iran est une menace).

3/ le discours tenu par un responsable auprès de l’ambassadeur américain est, sauf affinités particulières, un discours souvent convenu. En contrepoint des entretiens de l’ambassadeur américain, il serait ainsi nécessaire de disposer des transmissions du chef d’antenne de la CIA, de l’attaché militaire…pour se faire une idée de la perception américaine de tel dirigeant, ou de tel pays sur un problème donné.

Néanmoins, la diffusion de ces télégrammes possède quelques vertus :

- elle souligne le hiatus qui peut exister entre les déclarations publiques des dirigeants arabes et leur opinion exprimée en privé. Même si cette caractéristique ne leur est évidemment pas propre, elle est d’importance dans un espace géographique où le poids du secret pèse sur tout ce qui entoure les intérêts premiers de la nation et où la censure s’exerce pleinement. L’opinion publique arabe, si elle est autant ingénue qu’on peut le penser, est ainsi alertée de cette hypocrisie.

- elle met en évidence l’existence d’un processus d’auto-persuasion : les dirigeants arabes n’auraient jamais été autant conscients de l’existence d’une menace nucléaire iranienne si les Occidentaux ne les en avaient pas persuadés ; quitte à devenir plus royalistes que le Roi en appelant de leurs vœux des frappes sur les installations nucléaires iraniennes. Il est dès lors incongru de s’en étonner dans la presse occidentale, sauf à ignorer les orientations des chancelleries occidentales, et surtout de prêter tant d’attention à l'opinion de dirigeants arabes exprimée devant un ambassadeur américain quand communément on dénonce leur inanité sur d’autres dossiers (processus de paix).

 


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