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Yémen : le cynisme du président Saleh dévoilé par Wikileaks

Publié le 29 novembre 2010 par Rivagessyrtes

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Concernant le monde arabe, un des télégrammes diplomatiques diffusés par Wikileaks n’a pas suscité un intérêt marqué de la part de la presse, surtout focalisée sur l’Iran. Il concerne le Yémen et relate le compte-rendu d’un entretien, le 2 janvier 2010, entre le président yéménite Ali Abdallah Saleh et le général David Petraeus, à l’époque commandant en chef du Central Command (CENTCOM).

Ce télégramme éclaire d’un jour nouveau les circonstances de frappes aériennes conduites sur le territoire yéménite, les 17 et 24 décembre 2009, contre des réduits tenus par des combattants d’Al Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA).

Selon la version officielle, en décembre 2009, les forces spéciales yéménites, aidées par la fourniture de renseignements recueillis par les Américains, ont conduit des raids leur permettant d’éliminer une douzaine de terroristes membres d’AQPA. A la suite de rapports d’ONG, le gouvernement yéménite avait dû réviser ce bilan et reconnaître qu’une quarantaine de civils avait été tuée tandis qu’une partie des terroristes spécifiquement visés par les frappes avait sans doute survécu.

La réalité qui transparaît du télégramme est différente :

- les frappes aériennes ont été conduites par des appareils de l’US Air Force armés de missiles de croisière et non par les forces aériennes yéménites.

Dans le courant de l’entretien, le président Saleh se plaint de l’imprécision des frappes dont il ne connaît d’ailleurs étonnamment pas le bilan exact, ce qui permet au général Petraeus d’affirmer que seuls trois civils ont été tués. Passé un bref moment d’apitoiement sur les victimes civiles, le président déclare qu’il continuera à prétendre que « les bombes sont les nôtres et pas les vôtres » tandis que le vice-premier ministre chargé des affaires de défense et de sécurité, Rachad al Alimi, reconnaît avoir menti devant le Parlement en affirmant que « les bombes étaient de fabrication américaine mais tirées par des appareils de l’armée yéménite. »

« Saleh praised the December 17 and 24 strikes against AQAP but said that "mistakes were made" in the killing of civilians in Abyan. The General responded that the only civilians killed were the wife and two children of an AQAP operative at the site, prompting Saleh to plunge into a lengthy and confusing aside with Deputy Prime Minister Alimi and Minister of Defense Ali regarding the number of terrorists versus civilians killed in the strike. (Comment: Saleh's conversation on the civilian casualties suggests he has not been well briefed by his advisors on the strike in Abyan, a site that the ROYG has been unable to access to determine with any certainty the level of collateral damage. End Comment.)

Saleh lamented the use of cruise missiles that are "not very accurate" and welcomed the use of aircraft-deployed precision-guided bombs instead. "We'll continue saying the bombs are ours, not yours," Saleh said, prompting Deputy Prime Minister Alimi to joke that he had just "lied" by telling Parliament that the bombs in Arhab, Abyan, and Shebwa were American-made but deployed by the ROYG.”

La paternité américaine de ces frappes avait même été dissimulée par les responsables américains devant le Sénat. Ainsi, le 20 janvier 2010, Jeffrey Feltman, secrétaire d’Etat adjoint chargé du Moyen-Orient, déclarait-il devant la commission des affaires étrangères (voir ici) :

“In the past month, Yemen has conducted multiple operations designed to disrupt AQAP’s operational planning and deprive its leadership of safe haven within Yemen’s national territory. Yemen has significantly increased the pressure on Al-Qaeda, and has carried out airstrikes and ground operations against senior Al-Qaeda targets, most recently on Friday of last week. The United States commends Yemen on these successful operations and is committed to continuing support for an effective counter-terrorism effort that will include both security and economic-development initiatives.”

Omettant ainsi de préciser que l’armée américaine était responsable des frappes.

En mai 2010, un rapport d’Amnesty International, photographies de débris de missiles américains à l’appui, a permis de rétablir la vérité en affirmant que les frappes avaient été conduites par l’armée américaine et avaient provoqué la mort de douzaine de civils. Ni les autorités yéménites, ni les autorités américaines n’ont jamais confirmé l’information. 

Le télégramme est également intéressant sur la stratégie américaine de lutte contre le terrorisme au Yémen.

Saleh accepte l’offre américaine de fourniture de renseignements pour lutter contre AQPA mais refuse l’éventualité, évoquée par Petraeus, que des soldats américaines participent sur le terrain aux opérations de lutte contre AQPA et exige qu’ils demeurent confinés dans les états-majors.

L’administration de Washington a toujours officiellement exclu l’envoi de combattants sur le terrain au Yémen mais reconnu l’existence d’une étroite coopération en matière de formation et d’échanges de renseignement. Néanmoins, depuis la signature par le général Petraeus, en septembre 2009, d’un ordre exécutif autorisant les opérations clandestines de lutte contre le terrorisme (Joint Unconventional Warfare Task Force Executive Order/ révélé par le NYT en mai 2010), l’option d’un tel déploiement n’a rien d’étonnant.

Concernant la lutte aérienne contre Al Qaïda, ce télégramme révèle que l’utilisation des frappes de missiles est abandonnée au profit de l’utilisation de bombardiers armés de bombes guidées de précision (« bombes intelligentes ») qui feront des cercles autour de l’espace aérien yéménite et engageront des cibles sur la base de renseignements fiables.

“Saleh rejected the General's proposal to have USG personnel armed with direct-feed intelligence present inside the area of CT operations, but agreed to a have U.S. fixed-wing bombers circle outside Yemeni territory ready to engage AQAP targets should actionable intelligence become available”.

Depuis, la guerre aérienne à distance a bien été engagée mais ses résultats n’ont pas toujours été prometteurs. Ainsi, en mai 2010, une attaque de drones à Marib contre un chef d’AQPA s’est soldée par la mort d’un responsable tribal chargé de la médiation avec les terroristes ; le terroriste étant indemne. 

Le général Petraeus annonce que l’assistance américaine dans le domaine de la sécurité sera portée de 67 millions de dollars en 2009 à 150 millions en 2010, en adéquation avec les chiffres diffusés plus tard par le Pentagone.

Saleh demande la fourniture de 12 hélicoptères d’attaque destinés à la lutte antiterroriste et suggère aux Américains de s’adresser aux Saoudiens et aux Emiratis pour les obtenir. Petraeus le rassure et admet en avoir parlé à Riyadh. Pour dissiper tout interrogation légitime sur l’utilisation de ces hélicoptères à des fins de politique interne, Saleh promet de ne pas les utiliser à Sa’ada, c'est-à-dire contre la rébellion nordiste (les Houthistes). Les Américains prévoient d’affecter 45 millions de dollars à la formation d’une unité aérienne des forces spéciales chargée de la lutte contre AQPA ; ce qui permettra à l’armée de l’air régulière de se concentrer sur les rebelles nordistes.

Saleh demande également l’équipement et l’entraînement de 9000 soldats dans trois nouvelles brigades de la Garde Républicaine, la garde prétorienne du régime.

In fine, Saleh trie le bon grain de l’ivraie parmi les partenaires du Yémen, sans grande surprise : les alliés (et bailleurs de fonds) occidentaux, émiriens, saoudiens ; les ennemis iraniens (suspectés d’aider la rébellion nordiste), qataris (pourtant parmi les principaux bailleurs de fonds mais également artisans de médiations avec les rebelles nordistes), et plus traditionnels, les Libyens et les Erythréens. Alors que le président Saleh rentre d’une visite récente à Asmara, son homologue Issayas Afeworki sera sans doute ravi d’apprendre dans quel camp il est catalogué.

Sommet Yémen-Erythrée du 28 octobre 2010 : “After that, the two presidents spoke to media at a press conference, in which President Saleh expressed his happiness for visiting Eritrea, noting to the topics he discussed with his Eritrean counterpart in the summit.

” Views were identical , as we agreed on coordination and information exchange for cooperation in the southern Red Sea and the fight against piracy and terrorism and everything related to the national security of both countries”, Saleh said.”


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