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Guillaume Tell de Rossini, un Grand Opéra français à Munich

Publié le 04 juillet 2014 par Luc-Henri Roger @munichandco
Guillaume Tell de Rossini, un Grand Opéra français à Munich
On est à peine installés, le chef d'orchestre n'est pas encore arrivé, on consulte le programme ou on disserte agréablement avec son voisin quand on est tout à coup alarmés par des cris sur la scène.  On vient d'assister au meurtre d'un soldat sauvagement frappé d'une pierre par un homme qui s'ensanglante et s'enfuit. Dan Ettinger est arrivé au pupitre sans qu'on s'en soit rendu compte,  les premières notes s'élèvent, et tout aussitôt les premiers chants. Pas d'ouverture, l'opéra commence avec la scène du mariage collectif, les futurs époux s'avancent du fond vers l'avant-scène. L'ouverture viendra en début de seconde partie.
Guillaume Tell de Rossini, un Grand Opéra français à Munich
Le dernier opéra de Rossini est présenté dans une version raccourcie, trois heures un quart, entracte compris. Le metteur en scène Antú Romero Nunes, qui signe ici sa première mise en scène d'opéra, met d'emblée l'accent sur la drame, les réjouissances du mariage collectif ne peuvent faire oublier que le pays est sous la botte de l'occupant. Chez Rossini, l'apparition du meurtier Leuthold intervient après les scènes de liesse des noces. Ce n'est plus le cas ici. La menace pèse constamment comme le rappellent sans cesse les décors de Florian Lösche: du cintre descendent une cinquantaine de longs tubes gris foncé aux reflets métalliques, comme autant de canons de fusil énormes et toujours pointés sur le bon peuple suisse. Lorsqu'ils s'abaissent sur la scène, les tubes gigantesques prennent l'apparence d'imposantes colonnes. Un décor minimaliste au pari risqué mais parfaitement réussi. Les tubes coulissent du haut vers le bas, se meuvent parfois vers l'oblique ou la verticale, de canons de fusil deviennent colonnes, ils s'assemblent pour rappeler l'armature d'un chalet, ou, par de simples obliques, forment une batterie de canons. Quelques tubes verticaux déroulés au-dessus du peuple donnent l'impresssion de nuages d'orage menaçants. Ils architecturent le récit par leurs mouvements  rythmés et facilement décodables. Le procédé est simple et efficace Par le jeu de leurs déplacements, ils participent aussi de la musicalité qu'ils accompagnent. Ce décor présente cependant deux inconvénients majeurs, celui de la répétition du procédé d'abord, trois heures de mouvements tubulaires, cela fatigue et finit par lasser l'attention, celui de son accessibilité visuelle ensuite, le décor n'est pleinement visible que du parterre ou du balcon, plus on s'élève moins on en profite.
Antú Romero Nunes situe l'action dans une Suisse militairement occupée par l'Axe Rome-Berlin, comme le traduisent certains des  costumes très réussis d'Annabelle Witt. Rodolphe (Kevin Conners) est un petit Mussolini, Gessler (Günther Groissböck) un officier du Reich. Ce déplacement de perspective voudrait entraîner une universalisation du propos: l'histoire de Guillaume Tell n'est plus seulement celle de la marche vers la libération du peuple suisse, c'est aussi celle de toute révolte contre un oppresseur, cependant que cela crée également un hiatus, car comment alors expliquer la position et la puissance de Mathilde? Le même hiatus se rencontre avec l'introduction de l'arbalète. Alors que circulent fusils et pistolets automatiques et que Tell est armé d'un révolver, au moment de l'épreuve de la pomme placée sur la tête de son fils, on lui tend une arbalète. La transposition historique opérée par le metteur en scène est boîteuse, on comprend bien qu'il a voulu superposer les 14ème et 20ème siècles, mais alors que l'action présentée est davantage orientée vers l'époque contemporaine, les rares allusions au moyen âge paraissent incohérentes. Les références aux coutumes et aux particularités suisses sont plutôt rares, et lorsqu'elles sont présentes paraissent plutôt incongrues: ainsi de la danse des Tschäggättä, ces figures monstrueuses de carnaval, qui apparaît comme un détail qui vient un moment détourner l'attention de la tension dramatique. Autre faiblesse: la solution que trouve le metteur en scène pour résoudre le problème du  tir du carreau d'arbalète vers la pomme placée sur la tête de l'enfant consiste simplement à plonger la salle dans l'obscurité au moment du tir. Enfin, dans la deuxième partie, la progression dramatique vers l'exultation du choeur final n'est pas suffisamment amenée, et les cris de Liberté, liberté ne retentissent pas comme une apothéose.
Pourtant le propos de Nunes est très réussi dans le traitement de la psychologie des personnages: le peuple est plutôt soumis, satisfait dans ce qui rappelle le confort petit bourgeois des années soixante auquel vient se mêler un euroscepticisme plus contemporain, un peuple peu enclin à la révolte; Guillaume Tell n'est pas le héros populaire trempé dans l'acier de la légende mais un homme normal qui chicane sa femme, avec un goût vestimentaire contestable comme en témoigne son horrible pull-over, un homme bougon et manipulateur qui ne deviendra le champion de la libération qu'à son corps défendant; sa bourgeoise une femme à poigne endimanchée dans un tailleur trop serrant, ou enocre Arnold en amoureux naïf et maladroit. L'approche d'Antú Romero Nunes examine avec tendresse la petitesse de ces femmes et de ces hommes, dont il dresse un portrait réaliste d'une normalité somme toute très humaine et, partant, attachante.

Guillaume Tell de Rossini, un Grand Opéra français à Munich

Arnold Melchtal et Mathilde de Habsbourg

Quels que soient les qualités et les défauts de cette mise en scène dans l'ensemble plutôt réussie, et ceux des choix musicaux, c'est cependant à la magie du chant qu'il faut accorder le plus de lauriers. Si Dan Ettinger donne une interprétation plutôt musclée de la partition de Rossini avec parfois des accents militaires, c'est surtout le plateau qui enchante: les chanteurs et les choeurs. On est charmés dès le début de l'opéra par les choeurs des mariés et par la voix solaire avec un beau vibrato rossinien d'Enea Scala dans le rôle du pêcheur Ruodi. Michael Volle fait un retour en force et en splendeur sur la scène de l'Opéra bavarois en Guillaume Tell avec son beau baryton puissant et généreux, une finesse extrême dans l'expression de la complexité des émotions, un chant qui exprime bien toutes les nuances et les détours de l'évolution de son personnage. Evgeniya Sotnikova  double sa belle performance vocale d'un jeu d'actrice des plus réussis, elle incarne avec brio le Jemmy adolescent au point de nous faire oublier le travestissement. La Mathilde de la lithuanienne Marina Rebeka est une découverte des plus attachantes, avec un timbre lumineux, une grande perfection technique et un art consommé de la vocalise. L'Arnold de Bryan Hymel recueille à raison un succès égal à celui du rôle-titre. Hymel dispose de toutes les qualités vocales pour remplir  les exigences ultimes du répertoire du Grand Opéra français, c'est stupéfiant de beauté! Le ténor américain est capable d'atteindre avec aisance les notes les plus hautes, sonore, puissant, enjoué, un ténor avec des clartés chaleureuses et un métal lumineux, un pur régal! On rêverait de pouvoir l'entendre dans ses interprétations de Robert le Diable ou dans son Enée. Prochaines représentations: les 6, 9 et 13 juillet 2014, puis les 18,21 et 25 janvier 2015. Cliquer ici pour réserver.  Quelques places restantes.
Crédit photographique: Wilfried Hösl


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