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Les toits les murs les pierres les poutres les portes et les fenêtres

Par Ibars

Rocamadour, Saint-Cirq Lapopie, Albi, Cahors

Mon père était maçon.

J’ai longtemps eu la maçonnerie en horreur. Longtemps.

Il fallait faire le manœuvre les jeudis, jours sans école et pendant les vacances : gâchées de béton ou de mortier, à la pelle ou à la bétonneuse, pierres à extraire, à casser, à trier, à empiler, sacs de ciment et de plâtre à décharger  — respectivement cinquante et quarante kilos — et aussi quérons (ou parpaings) qui font de vos mains de vraies râpes à fromage, briques, hourdis, poutres de bois ou de ciment, poutres à ferrailler des jours et des jours durant, planches des coffrages à clouer, à déclouer, échafaudages à monter, à démonter, brouettes à charger et à pousser sur des madriers tanguant au-dessus des tranchées, seaux à remplir, à hisser par la poulie, sable ou gravier à tamiser, marteau-piqueur à dompter, courbatures assurées, poussière respirée, plâtre avalé les jours de tramontane, ongles écrasés, dos abîmé, mains meurtries par les échardes des manches de pioche, bise glaciale ou torpeur du mois d’août…

Je n’ai pas regardé mon père choisir méticuleusement ses pierres pour dresser les murs ou habiller les belles cheminées d’intérieur, je ne l’ai pas regardé hacher son mortier dans la gamate pour bien le mélanger, en charger une taloche assez grande, sa « palette de peintre » tenue de la main gauche, puis avec la main droite en prendre avec sa truelle pour le jeter d’un geste rapide, sec et précis sur la surface à crépir et pour finir le lisser avec une taloche plus petite, trempée souvent dans l’eau. Je ne l’ai pas regardé prendre son fil à plomb ou son niveau pour vérifier ou rectifier la pose d’un quéron sur une couche de mortier, pas regardé ajuster une pierre en clé de voûte, pas regardé couper soigneusement des carreaux ou des dalles, pas regardé jouer de la tyrolienne pour décorer une façade, pas regardé accrocher en chantant une branche feuillue sur un toit achevé, rituel immuable, avant de trinquer avec ses ouvriers, vite, vite, le travail n’attend pas…

Je n’ai pas regardé, pas vraiment, mais j’ai vu, j’ai souvent vu de ma place de manœuvre sans jamais faire par moi-même. Mon père n’avait pas le temps de transmettre son métier, pris sur plusieurs chantiers à la fois, ou peut-être, inconsciemment, n’en avait-il pas envie, rêvant pour nous à d’autres horizons comme il en avait rêvé pour lui avant que la guerre ne le prive d’école. Peut-être alors, je ne saurai jamais car ce métier l’a vite usé, cantonnait-il ses fils à des rôles de manœuvres pour qu’ils s’éloignent du bâtiment…

Aujourd’hui, quand je flâne dans de vieux villages — comme là, entre Albi, Saint-Cirq Lapopie ou Rocamadour — je regarde avec une certaine nostalgie les traces des bâtisseurs fantômes, les tuiles rousses, canal ou plates qui dévalent les toits pentus, plus ou moins alignées, je regarde les cheminées acrobatiquement posées et coiffées de chapeaux fantaisistes, je regarde les murs crépis, décrépis, décrépits, les briques roses, fauves, restaurées ou fanées, les pierres apparentes, les portes et les fenêtres et les volets de bois et tout ce qui s’use, se dégrade, se ruine, se ronge, s’abîme ou se restaure et puis se magnifie sous les griffes du temps, du soleil, du  froid et de la pluie.

Alors je pense au garçon que j’étais, je fais passer au père ou à un ouvrier le mortier qu’il demande, des tuiles, des pierres, des briques, des chevrons, des outils pour que sortent de terre et éclosent ces murs, ces charpentes, ces toits, ces demeures qui vont un temps défier le temps et joliment s’inscrire dans un cadre comme celui que mon regard embrasse aujourd’hui et qui me transporte malgré moi dans ce temps révolu où je n’ai pas voulu regarder mon père.

Rocamadour, Saint-Cirq Lapopie, Albi, Cahors

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