Magazine Bourse

Mes 4 règles pour investir .. par Alvaro Guzmán de Lázaro, gérant chez Bestinver

Publié le 05 juillet 2014 par Boursomax
Ne jamais investir sur quelque chose dont vous n’avez pas davantage que la connaissance moyenne Mes 4 règles pour investir .. par Alvaro Guzmán de Lázaro, gérant chez Bestinver

Je n’ai pas acheté ma première action à l’âge de 12 ans, comme Bill Miller ou Warren Buffett, je ne viens pas non plus d’une famille qui a un lien avec les marchés financiers. Mon seul héritage génétique boursier fut le fait que mon père acheta quelques actions un mois avant la grande récession de 1973, pour les revendre à perte 12 ans après, juste avant le grand rallye des marchés en 1990...dans les 2 cas, les conseils venaient d’un grand gourou de la finance....

J’ai débuté ma carrière sur les marchés financiers en 1997 dans une société de gestion allemande, fondée par un ancien employé de Fidelity qui avait travaillé durant 10 ans dans l’équipe de Peter Lynch. Après quelques mois, et suite aux lectures des travaux de ceux qui font autorités en la matière (Benjamin Graham, Phil Fisher, Warren Buffett, Lynch lui-même etc...), j’ai commencé l’analyse des sociétés. Nous étions autorisés à rechercher des sociétés de tout secteur, de tout pays, et personne n’avait de cahier des charges sur comment procéder (1). Seule une chose nous était demandée : pouvoir présenter notre recommandation en 60 secondes.

Cet exercice de temps m’est resté comme automatique encore à présent : ne jamais investir sur quelque chose dont vous n’avez pas davantage que la connaissance moyenne. (2)

 

 


1. Ma première règle demeure “ connait ce que tu achètes”, mais que cela signifie-t-il ?

La plus part d’entre nous interprétera qu’il faut comprendre l’activité de la société dans laquelle nous investissons. Mais une société est une activité plus une kyrielle d’autres choses : son actif, son personnel, son histoire, et ses concurrents !

Personne ne peut investir avec succès sans connaitre cet ensemble, mais ceux qui n’ont pas étudié en profondeur manqueront certainement de courage pour garder cet investissement si un jour ils voient le titre s’effondrer de 25% en une seule séance(3).

Pour être plus spécifique, avant d’investir il me semble qu’il faut connaitre :

- L’histoire de la société (le fondateur et les différentes étapes depuis la création)

- L’histoire du secteur / des concurrents (qui a survécu aux crises et pourquoi, quelles sont les différentes stratégies que les différents acteurs du secteur ont utilisées etc.)

- Les comptes annuels des 8 – 10 dernières années au minimum (4)

- Le système d’incitation pour les dirigeants

- Qui sont les actionnaires, leur responsabilité et leur rôle (officiels et officieux)

- La version d’un employé ou d’un ancien employé

- L’attitude du régulateur si l’activité est régulée

- Les commentaires des concurrents sur la société et ses dirigeants.

- L’activité récente de fusion et acquisition de la société et des concurrents (qui a acheté quoi, combien, quand et pourquoi).

Bien sûr, il ne nous est pas toujours possible de parler avec un ancien employé et par moment il n’y a même pas de comptes annuels comparables disponibles sur un si long passé...mais dans ce cas nous sommes conscients des contraintes si nous investissons ou non. Et si nous investissons nous devons répercuter la moindre disponibilité d’information par une moindre pondération dans le portefeuille.

 

 


2. La deuxième règle : Acheter bon marché.

La première des choses qui m’a frappé après à peine une année d’analyse de sociétés cotées était l’idée d’acheter « 10 centimes pour 6 centimes ». Selon la précision affirmative de Warren Buffett : «  celui qui ne comprend pas cela en 5 minutes ne le comprendra jamais ». Pour la recherche de création de valeur par l’investissement value «  c’est la seule méthode valide, je ne peux pas penser à une autre forme d’investissement plus lucrative et qui permet de dormir sur ses 2 oreilles. Quant à l’éternel débat sur ce qui est bon marché et peu cher, chacun doit se conformer à son approche d’évaluation, mais je pense que la meilleure des « prescriptions » est celle-ci : vous êtes sur le point d’acheter peu cher quand vous souhaitez que le titre que vous achetez le lundi valle moins cher le mardi pour en acheter encore plus.

Si ce n’est pas ce que vous désirez, il est préférable de ne pas l’acheter. Je pense sincèrement qu’en suivant les 2 règles ci-dessus, il est aisé d’obtenir des performances raisonnablement intéressantes.

A mon avis, il n’est guère nécessaire d’en dire plus sur la gestion d’actif. A savoir achetez-vous quelque chose que vous connaissez parfaitement? et l’avez-vous acquis à un prix raisonnable?

Cela étant de nombreuses personnes tenteront toujours de tergiverser encore et encore...

 

 


3. Value ou croissance? Small Caps ou Blue Chips? Pourquoi pas deux autres moyens de faire fructifier le patrimoine : gain facile ou gain difficile ?

Il est communément admis qu’il faut segmenter la gestion, son approche ou sa performance. Les professionnels et la presse suggèreront «de compartimenter» chaque gérant dans un style et tenteront de les comparer entre eux : «vous comparerez des poires avec des poires» c’est par ceci que la justification se fait. Je n’adhère pas à l’opposition entre la gestion “value” ou “croissance”, ou un style qui se concentre sur les petites ou les grandes capitalisations. Je pense à un investissement qui consiste à connaitre ce que vous achetez, et à l'acheter en dessous de sa valeur.

A minima (regardant mon expérience passée et ne tentant absolument pas d’inventer une « nouvelle classification »), j’arrive à la conclusion que la performance obtenue a été soit "facile", soit "difficile" et il me semble qu’une telle distinction est importante.

 

3.1 “Gain facile”

Sur ce point, Je souhaite avancer un exemple basé sur des chiffres absolus et non en relatifs. S’il y a 100 sociétés cotées dans le monde, tous les experts (Analystes, courtiers, managers, journalistes) en suivront (c’est à dire écrirons, ou analyserons) environ 40. Cela veut dire que 60 sociétés seront totalement inconnues de la plus part des experts (6). En général, ce sont de petites sociétés, qui sont parfois locales, parfois sans communication ou peu liquides sur le marché boursier etc. Donc, le vrai intérêt (sur ces dites sociétés) repose sur le fait que quel que soit les évènements, virtuellement personne (pour la plus part des grands courtiers, sociétés de gestion, ou analystes) ne les connait.

 

Bien que ces dernières requièrent un plus grand effort de recherche, il est possible d’y trouver clairement leader sur un marché de niche et qui traitent à un cours anormalement bas.

Je classe ces investissement dans la catégorie « gain facile » parce que la vraie raison pour laquelle ces valeurs sont sous évaluées repose, tout simplement, sur leur faible visibilité. Il est clair que si personne ne réalise que ces sociétés existent, leur destinée sera de rester toujours sous-évaluées, et à la fin, le résultat ne sera pas un bon investissement. Mais cela N’ARRIVE PAS, ou du moins sur la douzaine d’investissements que j’ai faits sur ce critère : A chaque fois que le calcul de valeur est bon, soit le cours de bourse monte, soit la société se fait racheter. Je souligne que je classe ceci dans la catégorie « gain facile » parce que très franchement cela ne mérite pas de médaille d’avoir vu son investissement doubler sur une société dominante, sur une niche et qui se valorise par un PE de 6 contre une valeur (PE) de 12 (ce fut le cas d’Esprinet entre août 2004 et mai 2005).

Le seul mérite est d’AVOIR DECOUVERT la société et mon impression est que tous mes collègues dans l’industrie auraient pu en faire de même.

Pourquoi cette distinction est si importante car obtenir ce « gain facile » devient plus difficile lorsque les actifs sous gestion augmentent (7). Lorsque les actifs montent il devient nécessaire de trouver de plus en plus de sociétés offrant un potentiel de « gain facile » qui auront le même impact sur les performances. C’est le cas de notre fonds international (qui a un univers offrant 20.000 sociétés cotées aussi bien sur les US que sur la Grande Bretagne). Le problème n’est pas qu’il n’y a pas assez d’alternatives mais la capacité du bureau de recherche (nous avons une capacité limité de nombres d’heures par jour et par personne). La démarche logique serait dès lors, une fois atteint la limite, d’embaucher plus de gérants ayant le même profil d’investisseur.

 

3.2 “Gain difficile ”

Ceci couvre les investissements dans des actions de sociétés CONNUES par tous, mais généralement qui n’ont plus la faveur du marché et, à notre avis, sous évaluées pour des raisons qui ne vont pas se répéter : Les analystes n’attendent pas de hausse des profits à court terme (et dans ce cas il suffit juste d’être plus patient qu’eux) ou des sociétés qui font face à des problèmes transitoires qui peuvent être résolus sur le moyen/long terme, ou simplement des valeurs dont les dirigeants ne sont «appréciés», des raisons qui ne nous semblent pas importantes. 

Dans tel cas, la décision d’investir demande une OPINION sur le fait que nous sommes à l’INVERSE de la majorité(comme considérer que les profits qui ne montent pas sur un ou deux ans n’est pas primordiale, ou qu’il y a une forte probabilité que les problèmes temporaires puissent être résolus, ou simplement avoir une opinion positive sur l’honnêteté de l’équipe de management qui s’affranchit parfois des caprices des recommandations des analystes). 

Le point essentiel sur ces investissements est le retour maximum de cette « recherche » en investissant massivement. Le risque repose sur le fait de tomber sur ce que l’on appelle une « value trap » (8). Dans tel cas, l’investisseur doit se montrer deux fois plus prudent et être extrêmement clair sur les motivations pour lesquelles le « marché » défend une position que le titre n’est pas sous-évalué. Il y a un devoir de répondre autant que possible à ces points (une fois de plus en prenant en compte les concurrents, les employés, le régulateur, les fournisseurs, les clients, etc...(9)) avant d’investir et donc d’investir ce qui est supposé peu cher mais qui en fait peut être cher voire surévalué !

3.3 Certains investissements dit “ gain difficile” ne le sont en fait pas.

Considérant qu’il peut être difficile de faire de la performance en investissant sur des sociétés connues mais délaissées par tout le monde, (ex être contrariant), je souhaite souligner 3 cas ou finalement le « gain difficile » ne l’était pas tant que cela dans la mesure ou un ensemble de précautions ont été prises.

Les actions cycliques qui sont en baisse.

Les cycliques sont des sociétés qui systématiquement se balancent entre 2 périodes de profits abondants d’une part et de faible profit voire de perte d’autre part(10). Si ces actions sont achetées lorsque les résultats sont en dessous de la moyenne, une performance positive peut être obtenue quasiment à chaque fois. Seule certitude à avoir, que ces sociétés sélectionnées sont efficaces et ont un bilan suffisamment fort pour survivre à une « période atone » (par exemple, acheter Acerinox ou des producteurs de pétrole fin 1998).

Bien qu’il soit juste de rappeler que je les ai presque toujours achetées «  trop tôt »(11), ce sont des investissements qui en général fonctionnent bien et qui n’impliquent pas un très gros risque comme certains semblent vouloir nous le faire croire.

Histoire en restructuration.

Ce sont des sociétés qui sont en pertes ou qui ne sont pas aussi rentables “qu’elles devraient l’être”.

L’investissement dans ce cas, est souvent risqué mais il nous faut nous limiter à quelques dossiers afin de ne pas être en risque. On retrouve cette situation lorsque « une société avec plusieurs activités, et dont l’une est fortement en perte bien que les autres ne le sont pas. Dans les comptes consolidés seule apparait la perte et la valorisation des bonnes activités est occultée ».

La situation la plus commune est celle où l’activité sur le pays d’origine est positive mais que ces sociétés ont échoué dans leur phase d’exportation de modèle (exemple Adolfo Domínguez en 1999). Si l’équipe de management ne persiste pas à investir sur ces pôles à faible retour sur investissement, ces activités finissent par être fermées ou vendues et ainsi le cours de bourse monte pour refléter la valeur de l’activité qui est positive.

Quand une « bonne » société (forte position sur le marché et une équipe de management disciplinée et honnête) passe par une période de « zéro - croissance », le marché a tendance à les sanctionner trop fortement.

Si les actions viennent à chuter de telle sorte que les ratios soient attractifs (comme avec Procter&Gamble en 1999), elles font en général un bon investissement sur un horizon de 4 à 6 ans. La seule « vertu » de ces investissements est LA PATIENCE.

 

 


4. Conclusion: Démystifier la gestion?

Sans vouloir DEMYSTIFIER la gestion en tant qu’INDUSTRIE, je pense que l’on en fait « trop de cas » : chaque jour des milliers d’analystes font des prévisions macroéconomiques basées sur de nombreuses variables, qui sont ensuite relayées à des milliers de gérants, qui sont ensuite classées et analysées par des centaines d’agence et autres publications, et tout ceci au milieu de millions de données qui arrivent sur les écrans toutes les minutes...

Je connais des personnes avec une expérience de 25 ans derrière eux qui ne retiennent qu’une ou deux informations dans la journée. J’en connais d’autres avec seulement 2 ans d’expérience qui se concentrent dans la recherche de sociétés et qui achètent celles qu’ils considèrent peu chères et ils ont presqu’à chaque fois raison.

Je ne cherche pas à arriver à une conclusion ce faisant. Cela étant, puisque je comprends que cela fut le cas il y a 9 ans, ce que j’en retire c’est que la discipline de la recherche repose sur deux piliers extrêmement clairs (« 1/ achète ce que tu comprends 2/ achète quand la société est sous-évaluée) qui impliquent que de très bonnes performances peuvent être réalisées avec un risque modéré.

 

NOTES:

(1) Bien que deux règles nous avaient été données : La première était “ ne pas perdre de l’argent”, la deuxième, “n’oublie jamais la première règle”. J’ai appris plus tard que ces règles émanaient de Warren Buffett.

(2) Comme de nombreuses assertions dans cet article, cette dernière vient de Warren Buffett et son partenaire Charlie Munger, conseil qui préconise “que chacun devrait se limiter à son propre cercle de compétences".

(3) ...et dit de manière positive « tous ceux qui ont étudié cela auront, grâce à cette forme de connaissance, les meilleurs outils à leur disposition pour juger si la chute du cours est justifiée et/ou si il y a une opportunité de se renforcer. »

(4) Ce point est très important, car il est bien souvent difficile de pouvoir vérifier que tous les points désirés. Cependant, si l’on se réfère aux comptes sur les 8-10 ans, c’est relativement facile de voir si les résultats sont « réels » ou pas. Cela requiert une compétence avancée de comptabilité (il faut être capable de réconcilier le compte de résultats du bilan et du tableau de flux de trésorerie. Considérant ceux qui se lancent quand même dans l’investissement sans avoir cette expertise, Warren Buffet dit « qu’ils ont les mêmes chances qu’un unijambiste dans un concours de coup de pied aux fesses ».

(5) il y a effectivement des cas ou apparemment on obtient de très bons retour de performance en appliquant une analyse macro-économique, ou bien analyse graphique, ou bien encore analyse quantitative. Mais sur ce point il n’y a pas de groupe UNIFORME qui ont obtenu des performances par l’utilisation de ces techniques 1/ similaires et 2/ affirmées ex ante. Les “superinvesteurs de Graham et Dodsville” (qui incluent Ben Graham, Warren Buffett, Bill Ruane, Walter Schloss et d’autres qui sont un peu moins connus) représentent un groupe qui obtient des grandes performances régulièrement sur le temps en appliquant les mêmes principes. Pour l’anecdote, un client de Bestinver, qui n’était pas familier avec le marché financier, bien que diplômé et fort intelligent aux vues des questions qu’il posait, m’a dit après une conversation d’une heure : “ Vous investissez en analysant la valeur des sociétés... mais cela ne pourrait pas être fait autrement ? Je n’ai pas su lui donner une autre réponse.

(6) Parce qu’il n’y a pas de mention sur ces dernières dans la presse, parce qu’elles ne sont pas “couvertes” par les analystes, parce que ces sociétés ne publient pas leur compte dans une autre langue que celle de son origine, parce qu’elles n’ont pas de réunion avec les analystes.

(7) D’une manière générale, “le gain facile” peut être trouvé dans les petites valeurs parce que les plus grandes sont plus connues. Soyons attentif à la barre de franchissement des “grandes sociétés” : nous avons trouvé des sociétés “gain facile” avec des capitalisations boursières supérieures à 2 milliards.

(8) Cas pour lequel la sous valorisation apparente est purement une illusion comme, à titre d’exemple, des profits (ou des prévisions de croissance) qui ne reviendront jamais.

(9) Le processus de “vérification” qui implique de discuter avec le plus d’actionnaire possible (clients, fournisseurs, employés, concurrents) lies avec la société et dont l’investisseur légendaire Phil Fisher nomme comme le “Scuttlebutting”.

(10) Ceci arrive avec les producteurs de commodités (acier, pétrole, et toute autre matière première en général), qui font de très bons résultats lorsque les prix de ce qu’ils produisent sont élevés à contrario peuvent être en perte lorsque les prix sont bas. Egalement, cela peut être également le cas de société comme les constructeurs automobiles ou ceux qui dépendent de l’investissement publicitaire (presse).

(11) acheter « trop tôt lorsque la partie négative du cycle d’une société en particulier (qu’il s’agisse d’un producteur d’acier ou de pétrole) dure plus longtemps qu’attendue. Dans de tel cas, les actions peuvent continuer de chuter (s’effondrer parfois) bien que vous ayez pu les acheter déjà « peu cher »

 

Alvaro Guzmán de Lázaro, gérant chez Bestinver

> retrouver les fonds Bestinver sur www.OPCVM360.com


Inscrivez vous à la newsletter : www.boursomax.com

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Boursomax 218 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines