Une note du think tank Terranova invite à la coopération franco-allemande afin d'entraîner la mutation du paysage énergétique européen et de galvaniser la création d'emplois, l'innovation et la décentralisation énergétique.
© Gyula GyukliQuartier Vauban à Fribourg (Allemagne)
La transition énergétique en Allemagne affronte une zone de turbulences, mais l'Energiewende reste plébiscité par les Allemands, malgré ses paradoxes. C'est ce qui ressort d'une note d'analyse du think tank Terranova, publiée le 4 juillet.
La clé de répartition de ses coûts favorise la grande industrie et pénalise PME et ménages, notamment les plus pauvres. Sortir simultanément du nucléaire et du charbon reste une gageure, à l'heure où ce dernier est bradé sur le marché mondial à 5€ la tonne. Quant à certains acteurs industriels, notamment dans le photovoltaïque et la co-génération, ils affrontent respectivement la concurrence chinoise et la hausse du prix du gaz. Le développement du réseau reste à adapter aux nouvelles exigences du système électrique, sur fond de tensions inter-régionales : ainsi les Bavarois s'opposent au passage de lignes à très haute tension, lignes indispensables à la cohésion électrique du pays. Et pourtant, la transition énergétique allemande n'a pas fait l'objet d'un rejet massif par la population, malgré la hausse accélérée des prix de l'électricité.
Le think tank socialiste souligne que les politiques offensives de soutien aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique ont a fortiori permis le développement de filières créatrices d'emplois et exportatrices : l'ensemble des énergies renouvelables mobilisaient près de 380.000 emplois en 2012, dont 220.000 uniquement dans l'éolien et le photovoltaïque, bien supérieur à l'emploi dans le reste de la production d'énergie fossile avant la fermeture des centrales. On comptait aussi 460.000 emplois dans l'efficacité énergétique en 2012, contre seulement 320.000 en 2010.
Si le bilan économique des politiques de soutien aux énergies renouvelables continue à faire débat, celui des politiques de rénovation énergétique apparaît clairement positif. Une évaluation réalisée par la KfW, banque nationale de financement de la transition énergétique, montre que le 1,4 milliard d'euros (Md€) mobilisé sur le budget fédéral en 2010 a permis de générer entre 6 et 11 Mds€ de bénéfices nets sur les budgets publics et induit près de 200.000 emplois (directs et indirects). "Ces résultats encourageants devraient en théorie amener le gouvernement allemand à renforcer la politique d'efficacité en lui attribuant des moyens plus conséquents. Cela est nécessaire pour atteindre l'objectif d'un doublement du rythme de rénovations mais est aussi pertinent pour soutenir l'activité économique", commente Terranova.
Des passerelles à établir
Selon la note de Terranova, "des politiques publiques communes doivent être engagées, chaque pays pouvant s'inspirer des meilleures pratiques de l'autre. La France peut ainsi prendre exemple sur le modèle de rénovation énergétique promue par la KfW et par les collectivités territoriales allemandes ainsi que sur les dispositifs participatifs de financement des énergies renouvelables. Enfin la France et l'Allemagne doivent mener dès maintenant une action pour fixer un prix plancher sur le marché des quotas carbones".
L'acceptabilité sociale des mesures politiques prises en Allemagne permet de comprendre la soutenabilité de l'Energiewende sur le long terme. Les sondages réalisés montrent une opinion contrastée des Allemands : 89% des sondés considèrent l'Energiewende importante mais seuls 42% la considèrent bien menée. Concernant la dynamique des énergies renouvelables, les réponses sont encore plus étonnantes : 51% considèrent que le développement des énergies renouvelables est trop lent et 30% pensent qu'il se fait à un bon rythme. 59% des sondés par ailleurs considèrent que la transition est bonne pour l'industrie contre seulement 15% qui pensent au contraire qu'elle est mauvaise (sondage BDEW réalisé en mars 2013).
Pourquoi la transition énergétique allemande n'a-t-elle pas fait l'objet d'un rejet massif par la population malgré la hausse accélérée des prix de l'électricité ? Les politiques menées ont permis d'impliquer plus largement la population par des actions individuelles. Ainsi 47% de la puissance installée d'énergie renouvelable a été réalisée directement par les personnes privées (36%) et les agriculteurs (11%). Un nombre croissant de projets est aujourd'hui porté par des coopératives issues d'initiatives locales et citoyennes. On recensait ainsi 754 coopératives de l'énergie à la fin de l'année 2012, sans compter d'autres structures sous des formes juridiques variées (SARL, association…) pour lesquelles aucun registre centralisé n'existe jusqu'à présent. L'existence de placements financiers "verts" dans les banques contribue à cette sensibilisation.
Dispositifs participatifs
L'émergence de ces projets citoyens a aussi été soutenue par l'organisation décentralisée de la distribution d'énergie avec environ 800 régies municipales (Stadtwerke). Avec les collectivités locales, elles ont pu devenir sociétaires de coopératives apportant un gage de confiance et de pérennité, mais également la compétence technique requise pour les projets. Les collectivités locales ont aussi facilité le montage financier (notamment par une garantie publique) ou mis à disposition des toits ou des terrains. Que seulement 6% du développement éolien et photovoltaïque soient le fait des grands énergéticiens participe sans doute également de la faveur que suscitent les ENR décentralisées. Un autre signe de ce souhait de tenir à distance les "majors" doit aussi être lu dans le récent referendum par lequel les Hambourgeois ont voté pour la reprise sous contrôle public des activités de réseaux auparavant détenues par Vattenfall (électricité, gaz, chaleur), rapporte Terranova.
L'implication des Länder dans le débat, en tant qu'investisseurs publics mais aussi en tant que porteurs politiques de la transition énergétique, a aussi constitué un atout majeur pour favoriser l'engagement citoyen autour de l'Energiewende. Les régions allemandes ont facilité la prise en compte des enjeux économiques et sociaux liés à la reconversion énergétique, tout en restant sensibles aux groupes d'intérêt défendant les ressources fossiles historiques dans les bassins charbonniers. La transition allemande est lancée et pourrait alimenter un scénario prospectif franco-allemand, ainsi que des programmes d'innovation communs autour de la question du stockage de l'énergie et de la définition d'une politique industrielle commune.
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