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3 questions à … Michaël Tartar

Publié le 17 juillet 2014 par Davidfayon

Interview de Michaël Tartar, co-auteur avec David Fayon de Transformation digitale : 5 leviers pour l'entreprise

1. Vous avez élaboré, dans le livre Transformation digitale : 5 leviers pour l’entreprise et conjointement avec David Fayon le 1er modèle de maturité digitale (ou numérique) de tout type d’organisation. Quels sont ses principes et ses originalités ?

Le principe fondateur du modèle est de permettre à une entreprise de savoir où elle en est dans sa digitalisation. On peut aussi parler de transformation digitale ou numérique. Peu importe les termes, une chose est sûre : le sujet embrasse de nombreuses dimensions. Trop même. Il est du coup très difficile pour un cadre dirigeant d’avoir une vue d’ensemble, sans se perdre dans les détails.

Le modèle de maturité digitale que nous proposons est aussi simple qu’un baromètre, tout en offrant une mesure en profondeur de toutes les dimensions du digital en entreprise. Le cadre dirigeant qui passera son entreprise au crible de notre modèle disposera ainsi très rapidement d’un état des lieux sur toutes les dimensions. Une photo à l’instant t qu’il pourra utiliser comme point de repère. Un moyen très utile pour mesurer les progrès de son entreprise lancée dans sa transformation digitale.

Je note trois principales originalités à ce modèle. La première est de mettre en cohérence dans un seul outil, ce qui relève du conceptuel et de l’opérationnel, ce qui relève de la technologie et des hommes, ce qui relève de l’intrinsèque à l’entreprise mais aussi de l’extrinsèque, ce qui relève de ses produits et services ou encore de sa culture managériale. La deuxième originalité tient à sa conception résolument moderne. Nous avons conçu ce modèle comme une plateforme, une structure d’accueil de sous-modèles plus spécialisés. Nous proposons une structure en 5 leviers parfaitement étanches. Les cadres dirigeants qui l’utiliseront pourront ainsi se concentrer sur un des leviers, sans oublier les autres, tout aussi importants dans la capacité d’une entreprise à opérer avec le digital. Les 5 leviers sont décomposés en 22 critères, eux-mêmes décomposés en 70 sous-critères mesurés avec 117 indicateurs valorisés de 0 à 5. Cette structure en poupées russes a déjà fait ses preuves. Elle est familière des DSI habitués à CobiT et ITIL. Nous l’avons étendue sur des domaines tels que l’organisation ou les produits et services de l’entreprise. Enfin la troisième originalité fait le lien avec la question suivante. Le modèle est conçu pour être enrichi par la communauté des praticiens du digital et de la transformation digitale. Un directeur général, un directeur marketing, un consultant d’un cabinet de conseil, un responsable de ressources humaines ou encore un juriste (que les métiers que je n’ai pas cités m’excusent !), ont tous un rôle à jouer dans la transformation digitale. Savoir mesurer les progrès réalisés dans chaque domaine d’expertise est essentiel. Permettre à chacun d’apporter sa contribution à cette mesure nous a paru indispensable.

2. Pourquoi n’existe-t-il pas encore d’outil disponible y compris aux Etats-Unis pour mesurer la maturité numérique d’une entreprise ? Pourquoi avez-vous choisi d’établir un modèle ouvert basé sur les retours d’expérience de la multitude ?

Les Américains sont comme nous sur le digital : ils avancent en marchant ! Certes nous devons reconnaître qu’ils ont aujourd’hui une avance qui me semble plus tenir à la taille de leur marché intérieur qu’à leur réelle capacité d’innovation et d’adoption des technologies et usages du digital. Gilles Babinet, notre Digital Champion national qui nous a fait l’honneur de la préface du livre le rappelle assez souvent tout en tirant le signal d’alarme sur la nécessité pour les Européens de se mobiliser. Mais nous n’avons pas à rougir de ce que les Français et plus largement les Européens, ont déjà mis en place à grande échelle sur le digital. Les réseaux télécoms, les services en ligne (privés comme publics), l’adoption du e-commerce et des médias sociaux, pour ne citer que ceux-là, sont de bons exemples. Nous n’avons donc rien à attendre des Etats-Unis pour mesurer la maturité digitale d’une entreprise. En revanche, il est à noter que certains cabinets d’analystes (Altimeter, Forrester, Gartner par exemple) et certains grands cabinets de conseil (McKinsey, Cap Gemini, Deloitte par exemple) très implantés aux Etats-Unis, ont proposé des modèles de maturité digitale traitant d’une partie du sujet. Ces modèles sont de très bonnes bases sur lesquelles nous nous sommes appuyés pour construire le modèle que nous proposons. Ils ont juste l’inconvénient d’être fermés et propriétaires. Ce sont d’excellents outils de communication pour ces cabinets, mais ils ne peuvent pas être utilisés par les opérationnels en entreprise.

Les modèles partiels et spécialisés, par exemple pour évaluer la maturité de l’entreprise à opérer au travers des médias sociaux (et pas seulement pour animer une page Facebook), sont donc de bons points de départ. Comme ils n’ont pas été conçus pour fonctionner ensemble, il nous a paru nécessaire de définir cette structure que je décrivais en réponse à votre première question. En quelque sorte, nous avons extrait la substantifique moelle chère à Rabelais de ces modèles, et nous l’avons ordonnée. Nous avons ainsi le meilleur de chacun, tout en évitant les recouvrements. Mais cela ne suffisait pas encore pour couvrir le sujet dans son ensemble et avec la profondeur nécessaire pour éviter la vue d’avion intéressante, mais toujours insuffisante pour être opérationnelle.

Nous avons aussi utilisé une autre source : notre expérience. David a apporté sa connaissance fine des méthodologies de gestion des systèmes d’information, et son expérience marketing et web. De mon côté, j’ai eu la chance de mener plusieurs missions de transformation digitale depuis plus de 20 ans dans des secteurs variés de l’économie. Lors de ces missions, j’ai été amené à développer un cadre permettant d’apprécier les capacités d’une entreprise à opérer sur le digital. Un cadre qui a servi de base à plusieurs audits que j’ai conduits et ont permis à mes clients de prendre conscience de leurs et faiblesses sur le digital. Ces expériences, d’autres en ont chaque jour. Nous connaissons une multitude de praticiens de la transformation digitale, nous interagissons avec eux au travers des médias sociaux. Leurs expériences sont toutes aussi intéressantes que les nôtres. Nous avons ainsi souhaité les associer à l’élaboration du modèle que nous proposons. Comment ? Déjà en leur proposant de nous aider à définir les indicateurs dont nous avons l’intuition, sans pour autant avoir réussi à préciser ce qui caractérise chaque niveau de maturité (évalués de de 1 à 5 dans notre modèle). Par exemple, des fiscalistes pourront ainsi apporter leur contribution en indiquant comment eux apprécient la capacité d’une entreprise à tirer des optimisations fiscales offertes par le digital.

Au final, et c’est peut-être le principal argument qui milite en faveur d’un modèle de maturité digital ouvert, il faut admettre que, même pour ceux qui y travaillent au jour le jour, le digital évolue beaucoup trop vite dans trop de dimensions, pour que deux têtes (aussi bien faite soient-elles) puissent appréhender l’ensemble du sujet en profondeur. Un modèle propriétaire, figé dans sa structure, court le risque de l’obsolescence rapide. Nous encourageons donc vivement tous ceux qui le souhaitent à apporter leur contribution, engager ainsi le dialogue avec leurs pairs, confronter leur point de vue sur la meilleure manière d’évaluer la maturité digitale dans tel ou tel domaine. C’est la meilleure manière pour chacun de s’enrichir des connaissances des autres, et de consolider ses propres connaissances. Un beau projet humaniste !

3. Appliquez-vous les critères et indicateurs décrits dans votre modèle ? Enfin, comment qualifieriez-vous le poste de directeur des activités digitales aujourd’hui ?

Comme évoqué plus haut, j’ai déjà appliqué certains des critères du modèle dans le cadre des missions de conseil que j’ai menées. J’ai par exemple souvenir de discussions animées chez un de mes clients à qui je demandais de me montrer la stratégie digitale de son entreprise. Evidemment il n’y avait aucun document décrivant comment l’entreprise comptait s’y prendre pour conquérir les internautes, vendre, supporter ses clients, avec quels moyens financiers, quelle organisation, quelle roadmap de projets, etc. Nous nous sommes appuyés sur cette expérience pour proposer dans notre modèle l’indicateur « Plan stratégique numérique » (les lecteurs le retrouveront dans le livre sous le code O1.3.1) dans le levier Organisation qui permet ainsi de mesurer la maturité de l’entreprise sur cet aspect. Vous me direz que ce n’est qu’un document. Certes, mais sans ce document, l’entreprise navigue à vue sur le digital, les collaborateurs n’ont aucun cap à suivre, les investissements sont réalisés au gré des rencontres des décideurs avec tel ou tel influenceur.

Quant au directeur des activités digitales, je suis partagé. Sur le plan conceptuel, son rôle est essentiel pour incarner le digital dans l’entreprise. Sa mission est triple : il doit définir la vision de l’entreprise dans un monde digital, il doit conduire les opérations courantes en ligne, et il doit mener les chantiers de transformation digitale. C’est un rôle complexe qui fait peur. Vous évoquiez les Etats-Unis dans votre question précédente. Je dois reconnaître le pragmatisme des Américains qui ont le courage managérial de nommer des Chief Digital Officer. Ce rôle forcément temporaire peut mener à d’autres postes de direction. Pour cela l’entreprise doit avoir confiance dans le profil qu’elle recrute, et lui faire une place au comité de direction. On tombe alors dans les difficultés du jeu politique et de partage de responsabilité avec les directeurs en place (marketing, commercial, communication, système d’information principalement). Difficile à gérer en tenant compte des égos. A terme, le directeur des activités digitales est voué à disparaître, on n’en trouve d’ailleurs pas chez les pure players. Le problème dans la phrase précédente étant : « A terme ». Car avant d’arriver au terme (c’est-à-dire lorsque l’entreprise sera digitalisée), il faut bien qu’une personne au plus haut niveau de l’organisation incarne le digital et fasse bouger les lignes indépendamment des silos organisationnels et surtout en cohérence. Pour cela, le modèle de maturité digitale est un allier puissant, quel que soit le titre de celui qui a la responsabilité de mener les activités digitales de l’entreprise.

16 juillet 2014

Michaël Tartar est co-auteur de Transformation digitale. Il mène la transformation digitale de grandes marques mondiales depuis plus de 20 ans. Conférencier et co-auteur de plusieurs ouvrages et livres blancs, il partage sa passion du digital sur www.michaeltartar.com.


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