Prenez un nouveau-né dans vos bras. Qu’il soit blanc, noir, rouge ou vert, rien n’y fait : on retrouve toujours deux jambes, deux bras, un ventre et une tête au-dessus. Les plus attentifs auront noté la présence ou l’absence d’une douille oblongue suspendue par les oreilles au bord de l’entrejambe, l’unique fonction de cet objet incongru étant de lever le doute engendré par des parents possédés par le démon du prénom androgyne.
D’ailleurs, tout commence par un prénom : Adam, Dieu ne s’est pas foulé. Il a ouvert le dictionnaire des prénoms, lettre A, Aa, pas terrible… Ab, Abel, pas mal, je garde l’idée… Abraham, génial, mais un peu long… Achille, un peu fragile… Adalric, qu’est-ce qu’on va lui mettre à la récré… Adam…. ADAM!! Voilà un prénom qui claque comme il faut, facile, simple et presque réversible; réversible! Ça aussi, c’est une bonne idée, le prénom réversible, je suis en feu moi aujourd’hui, je pète la forme, je bouillonne, un peu de terre et un peu d’eau et hop, voilà Adam.
Ensuite Dieu endort Adam et le projette contre un rocher. Adam explose. Dans la bouillie d’os éparpillés sur le sol, Son Altitude repère une côte encore intacte, il souffle dedans, la côte se transforme en femme et Dieu qui n’était pas gâteux se souvient de l’idée du prénom symétrique, il met un accent sur la première lettre pour aider les dyslexiques et voilà Ève, debout, une pierre à la main, voir le dernier chapitre de ma retranscription incomplète des premiers émois d’Adam.
Adam et Ève ont deux fils, Cain et Abel, c’est là que tout part en couille et définitivement. Revenons en arrière et corrigeons ce moment. Adam et Ève ont deux fils, Agriculturo et Bergero. Agriculturo est fort et grand. Ses mains appellent l’outil. Agriculturo sera agriculteur. Bergero, lui est taillé pour la route, shapé pour traverser les grands espaces de son pas altier, en plus, il possède un flair infaillible. Bergero sera berger. Vous voyez l’idée ? On peut l’étendre à tous les champs d’activités : Banquiero et Banqiuera, Computero et Computera et aussi le très beau Conducteurdecammiono qui gare son quarante tonnes devant la station-service où l’attend Pompistera pour faire le plein. Le monde sera enfin rangé. L’ordre règnera. Dès la maternelle, le pompiste n’apprendra que le pompisme, l’instituteur, l’institutrisme, le voyeur, le voyeurisme, l’agriculteur, l’agricultrisme et l’ordinateur, l’ordinatrisme.
Cain et Abel, et pourquoi pas Gérard et Gérard, tant qu’on y est ? Ça commence par les prénoms et ça se termine par un moi tout boursouflé qui voudrait interroger les Présocratiques pour connaitre le sens de l’existence, alors que l’existence ne connait qu’un seul sens, qui est unique et préprogrammé. Mais voilà, Cain est Cain et pas Agriculturo. On lui apprend la vie, l’histoire de France et le Grec ancien; juste pour voir, essayez d’épandre du Grec ancien sur un champ de pommes de terre, vous croyez que les doryphores vont être impressionnés ?
En vérité, je vous le dis, nous nous sommes égarés. Revenons à nos moutons. La technologie est là qui nous tend les bras. Il suffirait, lors d’une courte visite intra-utérine de démonter l’ADN du futur nourrisson pour savoir s’il s’appellera Ramoneuro ou Camerista. Ensuite, cours de maniement de l’échelle et de la brosse pour lui, ateliers d’empesage de cols pour elle. Pline le Jeune ? On s’en fout. Aux chiottes, l’impressionnisme. Pythagore ? On le noie dans sa baignoire en ayant soin de récupérer l’eau du bain pour arroser nos pommes de terre. Il suffit que Ramoneuro sache ramoner. Le reste est superfétatoire. L’année de ses 10 ans, il obtiendra son diplôme, la retraite viendra à 75 ans. La suie accumulée dans ses poumons le fera mourir d’un cancer deux années plus tard. Avant de rendre son dernier soupir, il remerciera la Société Générale de Ramonage, son balai, son échelle et sa brosse. Il demandera à être séché à l’air libre avant d’être incinéré pour ne pas encrasser la cheminée du four crématoire. Il n’y aura pas de musique à son enterrement. Juste des ramoneurs.
Pour une fois, tout le monde sera en noir.