Aurélie Filippetti, dont les collègues au gouvernement craignent le caractère ombrageux, est tombée sur un os en Avignon. Après avoir expédié en six minutes une conférence de presse, elle s'est précipitée au "village du off" en espérant sans doute que sa soudaine apparition ne permettrait pas à ses détracteurs de réagir. Las ! Ils ont accouru, l'ont rabrouée, sifflée, huée, à tel point qu'elle dut se carapater. Enfin quoi, c'est un spectacle ou ça n'en est pas un ! Après ce jet d'huile sur le feu, les appels au durcissement du mouvement se sont multipliés.
Cette affaire d'intermittence est un parfait résumé des problèmes de la France. Dans un système qui pouvait avoir sa légitimité, car les artistes passent souvent de longues semaines à répéter leurs rôles sans être payés et que leurs cotisations à l'assurance-chômage sont donc difficiles à calculer selon les règles ordinaires, s'est engouffrée une pléthore de profiteurs. Techniciens au rôle douteux, secrétaires et même ... nounous : les parasites sont nombreux, fréquemment au bénéfice de producteurs travaillant pour les chaînes de télévision. Nombre d'acteurs honnêtes peinent à réunir leurs heures pour être éligibles mais les petits malins y parviennent sans problème avec la complicité de leurs employeurs qui peuvent ainsi moins les payer. On connaît le résultat de ces turpitudes maintes fois dénoncées par la Cour des comptes : une inflation délirante du nombre de bénéficiaires, 9 060 allocataires en 1984 et 106 000 en 2013. A titre de comparaison, le nombre de chômeurs en France au sens du Bureau international du travail était de 1,87 million au premier trimestre 1984 et de 2,8 millions au premier trimestre 2014. Si le chômage général avait suivi la hausse de celui qui frappe les intermittents indemnisés, il y aurait aujourd'hui 21, 87 millions de chômeurs dans notre beau pays ! Ce seul chiffre disqualifie ce régime et montre qu'il faut en sortir.
Son lourd déficit participe à celui de l’Assurance-chômage pour un tiers alors que les demandeurs d’emplois intermittents ne représentent que 3% de l’ensemble ; 1,3 milliards d’allocations ont été versées pour 225 millions de cotisations perçus l'an dernier et 10% d’allocataires reçoivent plus de 39 000 euros par an.
Mais le gouvernement est-il vraiment ferme sur le sujet ? Bien sûr que non ! Là comme ailleurs, il enfume les Français et, tout en affectant des airs déterminés, il a cédé aux intermittents en annonçant que l'Etat allait prendre à sa charge, c'est à dire celle des contribuables, le différé de 4 à 21 jours du versement des allocations.
Pourtant, les intermittents les plus excités ne s'en satisfont pas et menacent de saboter tous les festivals en cours si des négociations générales ne sont pas ouvertes au plus vite. Quant à ceux qui veulent travailler, vous en rencontrerez en ce moment au festival de Montreux, en Suisse, où les techniciens français semblent devenus majoritaires.
En réalité, le régime de l'intermittence est la partie émergée de l'iceberg qui menace de faire couler le secteur de la culture en France. Il focalise les craintes de professions durement touchées par la crise car, plus que la question de l'indemnisation des périodes de chômage, se pose le problème de la faillite financière et de la prolétarisation. Déjà structurellement fragiles, un très grand nombre de théâtres, de troupes, de comédiens, de cirques, d'orchestres, sont aujourd'hui au bord de la rupture faute d'une clientèle suffisante et suffisamment solvable. La baisse des transferts de l'Etat aux collectivités locales va de plus amputer la capacité de ces dernières à distribuer les subventions, devenues au fil des ans essentielles à la majorité des institutions grandes et moyennes et même à de plus modestes.
Il suffit d'écouter la litanie des aides accordées chaque année par la mairie de Paris, bientôt sur la paille grâce à l'action éblouissante de Delanoë et d'Hidalgo, pour comprendre que, sans ces transferts, beaucoup devront mettre la clé sous la porte.
Aussi, et c'est tout le problème, il est à parier que rien n'y fera : quelles que soient les concessions du "pouvoir", le malaise existentiel de ces rebelles ne se dissipera pas.
Les intermittents sont le ferment de troubles qui iront croissants. Ils sont, sauf leur respect, ces sortes de gueux qui faisaient les jacqueries d'autrefois mais sous une forme contemporaine. Lumpenproletariat bobo, ils vont donner du fil à retordre à l'ordre établi et leur spectacle ne fait que commencer. Dans la rébellion généralisée qui s'annonce et que j'analyse dans mon dernier livre : "Français, prêts pour votre prochaine révolution ?", ils auront un des plus beaux rôles ...