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Mannequins “hors normes”: ces agences changent-ils la donne ?

Publié le 21 juillet 2014 par Bleatmagazine
David au casting We Are Unlik You à Paris

David au casting We Are Unlik You à Paris

Grazia, Glamour, Mademoizelle…au premier trimestre 2014, les magazines féminins ont tous abordé le sujet. Demain, “tous mannequins”. La raison ? L’apparition d’une agence un peu particulière : Anti-Agency. Créée il y a un an à peine par Lucy Greene et Pandora Lennard, la maison compte déjà une centaine de modèles. Dans la presse, on apprend que ces deux londoniennes de 24 ans “passent leur temps à éculer galeries d’art et concerts indé à la recherche de ces nouvelles têtes”. On nous vend la révolution du mannequinat à échelle planétaire.

Parce que tout ceci ressemblait à un effet d’annonce, on a cherché à en savoir plus. Deux, trois clics, deux, trois emails, on découvre qu’Anti-Agency n’a rien inventé. Une petite poignée d’agences reconnues officient déjà dans le milieu et le concept de mannequins hors-norme existe Outre-Manche depuis 1969. Les pionniers du genre : Ugly Models. L’agence propose plus de 1 000 recrues aux “gueules” très loin des canons de beauté actuels. L’âge oscille entre 6 et 100 ans et les tailles vont du 34 au 58. Certains ont signé des contrats pour Calvin Klein, Elle ou Vogue et ont joué dans de gros blockbusters comme Pirate des Caraïbes ou Harry Potter.

Ugly Models

Ugly Models

Dans l’Hexagone, la référence c’est Wanted. Amis Grolandais, votre président y est inscrit ! Moins extravagant qu’Ugly Models, Wanted remplit tout de même les attentes. Albinos, octogénaires archi-ridées, androgynes, body-builders et même personnes en chaises roulantes…ils posent pour les bijoux Félicie, défilent pour Jean-Paul Gaultier ou apparaissent dans un clip vidéo du new-yorkais Zebra Katz.

Mais c’est véritablement l’agence Berlinoise We Are Unlike You qui a retenu notre attention.

D’une part parce que l’un des fondateurs, Maurice Redmond, a eu la délicatesse de nous répondre dans la journée (les autres sont d’une lenteur olympique). Et d’autre part parce qu’elle est étroitement liée à la scène burlesque Berlinoise. On a trouvé ça cool.

A l’ère du storytelling, WAUY souhaite avant tout inspirer les marques, les créatifs, les agences de booking et tout le petit monde gravitant autour. Ses modèles sont des performers burlesques, des drag queens, des comédiens, des personnalités au look unique. Lors des shootings, pas de maquilleuse, ni d’habilleuse. Paul Green, un des boss, les photographie tels qu’ils sont. C’est d’eux que part l’histoire, pas le contraire. Mais sont-ils pros pour autant ? A ce sujet, Maurice Redmond est clair : “Il ne suffit pas d’avoir un tatouage sur le visage, nous proposons des gens qui savent faire le boulot et qui ont une véritable éthique professionnelle”.

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Paul Greene et Katrien de We Are Unlik You

En casting à Paris, WAUY nous a invité. Première observation, le processus de “recrutement” est simple et sans prise de tête. Si certains ont été présélectionnés en envoyant une photo, d’autres ont été directement contactés par l’agence. Dans cet appartement du 11ème arrondissement loué pour l’occasion, une vingtaine d’originaux ont répondu présent. Ici, pas de gigantesque studio. L’équipe n’est composée que de Paul et son assistante Katrien. Ambiance décontractée, musique en fond sonore… les futures recrues se parent de leurs plus beaux atours dans la chambre voisine. Mara De Nudée, performeuse burlesque de 28 ans, donne tout devant l’objectif. Vient le tour de la jolie Froufrou d’Absinthe, elle aussi danseuse burlesque et attachée de presse dans la vie.

Le bal continue tout le reste de l’après-midi. Antoine, le physique costaud et les cheveux jusqu’aux fesses, Nikita, la danseuse bombesque ou l’artiste Soa De Muse, tous magnifiés sous l’objectif de Paul qui commence à trouver la journée longue. Il ne perd pas le sourire pour autant. Il avoue en revanche que les parisiens sont un peu moins “extravertis” que ses compatriotes.

Dans le hall, David attend. L’air un peu craintif et pas très à l’aise, il observe, les mains enfouies dans les poches. Avec son look de petit poney rose et trashy, il interpelle. David a fait le voyage depuis Cholet en Maine et Loire pour le casting. “J’avais peur d’être en retard et de me faire engueuler” avoue-t-il. Sur son look, ses piercings et son énorme pendentif en forme d’araignée, David évoque le « courage d’être soi-même » et « l’envie de faire perdurer des coutumes oubliées de tribus amazoniennes ». « La norme est trop souvent la culture occidentale » regrette-t-il. Il a 22 ans et se passionne pour les modifications corporelles dont il parle – très bien – sur son blog “Poubelle Bleue”. http://poubellebleue.wordpress.com/

Le courage d’être soi-même… Si le phrasé semble caricatural, il n’en reste pas moins vrai. Ces candidats ont tous un point commun : celui d’aller au devant du regard des autres, d’aller à contre-courant. Mais ces agences un peu spéciales annoncent-elles un changement des critères esthétiques ?

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« Avant, le mannequin portait le vêtement et permettait avant tout aux riches clientes d’admirer les créations Haute Couture » explique le sociologue Frédéric Godart, auteur de “Unveiling Fashion: Business, Culture, and Identity in the Most Glamorous Industry”. « Depuis, le monde du mannequinat a clairement évolué. Les défilés sont désormais de véritables shows et certains créateurs, à l’image de Jean-Paul Gaultier, par exemple, se distinguent par la recherche de l’originalité. » On pense à la chanteuse Beth Ditto, à l’androgyne Andrej Peijic ou plus récemment avec Nabilla, la starlette provoc’ de la télé-réalité, qui ont foulé son catwalk. Et en dehors des défilés, la concurrence est rude. Pour piquer l’intérêt du consommateur déjà ultra sollicité, les enseignes doivent se démarquer. Et un des moyens d’y arriver, c’est de faire appel à des physiques différents.

Le phénomène du mannequin “hors-norme” n’est pas nouveau. « Il tend même à s’amplifier à mesure que le besoin de distinction s’accroît avec la concurrence de plus en plus poussée et globale, explique Frédéric Godart. C’est un besoin de distinction qui pousse cette tendance qui est plus qu’une toquade. »

Le physique hors-norme serait en passe de devenir la norme ? « Lorsque que l’on regarde les photos des modèles de ces agences, on remarque que même les mannequins hors-normes sont très normés dans leurs représentations, comme si l’industrie de la mode cherchait à dompter le hors-norme, comme pour l’aseptiser » nuance le Frédéric Godart.

Texte et photos : Alice Gambetta


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