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EED Vienna 2014 - Amphioxus Satellite Meeting - Day 2

Publié le 23 juillet 2014 par Taupo


Amphioxus Satellite Meeting
Suite du compte-rendu du Amphioxus Satellite Meeting dans le cadre de l’Euro Evo Devo à Vienne. Alors que la journée précédente les présentations étaient assez axés sur les techniques et outils à la disposition de la communauté de chercheurs travaillant sur Amphioxus, les sujets abordés ce jour-là étaient beaucoup plus proches de travaux typiques en Evo Devo qui consistent essentiellement à explorer l’histoire évolutive des organismes multicellulaires en étudiant leur embryogenèse et les mécanismes de sous-jacents. Sauf que pour le coup, le premier intervenant de la journée n’explorait pas le développement des Amphioxus… mais la manière dont ils pourrissent.
En effet, le premier orateur n’était autre que Mark Purnell, célèbre pour avoir officialisé une discipline scientifique peu connue, même au sein des biologistes, la taphonomie (selon Wikipedia, source de tous les savoirs, cela vient du grec « taphos », enfouissement, et « nomos », loi et c’est la discipline de la paléontologie qui étudie tous les processus qui interviennent après la mort d’un organisme jusqu’à sa fossilisation). La grosse partie du travail présenté date de 2010 et avait déjà titillé la curiosité de mon camarade c@fetier Tom Roud qui a pondu un excellent billet de blog pour l’occasion.
Avant de vous expliquer ce que le pourrissement des animaux marins peut bien apporter à la science, il faut que je vous présente le contexte de son étude qui est d’ordre paléontologique. En effet, alors que les fossiles de vertébrés ou de mollusques peuvent, du fait de la minéralisation de leurs os, coquilles et autres, traverser les millions d’années sans trop s’altérer, la situation est particulièrement plus complexe pour les fossiles de la plupart des invertébrés sans structures minéralisées. Les tissus mous des organismes ont en effet tendance à ne laisser aucune trace après leur mort sauf dans d’exceptionnelles exceptions où l’on retrouve les empreintes et la silhouette de très vieux spécimens comme Pikaia  et Metaspriggina dans les schistes de Burgess, Mayomyzon dans les gisements de Mazon Creek, Yunnanozoans et Cathaymyrus à Chengjiang et enfin Euphanerops à Migyasha.

Pikaia


Metaspriggina

Mayomyzon

Yunnanozoans

Cathaymyrus

Euphanerops


Bon ben je sais pas pour vous, mais après m’être émerveillé de la préservation de ces spécimens, j’avais un peu du mal à les différencier les uns des autres. Et ce n’est pas nécessairement plus facile pour les experts qui s’écharpent autour des interprétations sur ces jeux d’ombres et de lumières vieux de plus de 450 millions d’années… Et pourtant, réussir à décrire ces spécimens est crucial pour établir l’histoire évolutive de la lignée des chordés à laquelle appartient les vertébrés mais aussi Amphioxus (et les ascidies). Retracer l’histoire évolutive des chordés, cela consiste à trouver dans quelle lignée et à quelle moment des innovations morphologiques ont été acquises. Et le problème, c’est que c’est justement ces innovations morphologiques qui servent bien souvent à définir les relations de parentés des chordés actuels avec ces spécimens fossiles. De manière assez provocatrice, Mark Purnell a remarqué que les experts trouvaient assez facilement dans leurs fossiles les structures morphologiques qui correspondaient à leurs théories concernant l’histoire évolutive des chordés… Pour illustrer son propos, il a dévoilé une photo d’un nuage sur lequel on pouvait en effet distinguer des branchies, des muscles, une queue, etc.
Ce biais, Mark Purnell et un confrère, Philip Donoghue, s’en étaient déjà plaints dans une tribune publiée dans BioEssays et proposaient un an plus tard une étude révélant que le processus de pourrissement des structures chez différents chordés les faisaient disparaitre dans un ordre non aléatoire. Oui oui, ils ont pris plein de spécimens de différents chordés, de la poiscaille, des amphioxus, des lamproies, des myxines, et autres trucs qui puent bien déjà de base… et ils les ont laissé pourrir plusieurs semaines en documentant rigoureusement l’aspect des spécimens au fur et à mesure de leur décomposition…

Décomposition d'Amphioxus (à gauche) et d'une larve de lamproie (à droite), Sansom et al., 2010

Je vous invite à découvrir au plus vite les animations en timelapse du résultat de mois de décomposition chez l’Amphioxus, la larve de lamproie, la lamproie adulte et une myxine… ainsi que la réaction de cette jeune femme qui va sentir un spécimen pourri depuis des mois.


Et donc en gros, plus on laisse pourrir un vertébré comme une lamproie, avec peu de structures dures, plus celle-ci va ressembler à ses cousins les Amphioxus, perdant successivement et dans un ordre stéréotypique toutes les innovations évolutives accumulées par sa lignée. Comme d’habitude, un beau schéma et une bonne vidéo valent mieux que de longs discours:


 

Etapes morphologiques de décomposition de l'amphioxus Branchiostoma à gauche et une larve de lamproie à droite, ainsi que les positions phylogénétiques de chaque étape si les spécimens décomposés étaient interprétés comme des fossiles (intacts). Sansom, et al. 2010

Etapes morphologiques de décomposition de l'amphioxus Branchiostoma à gauche et une larve de lamproie à droite, ainsi que les positions phylogénétiques de chaque étape si les spécimens décomposés étaient interprétés comme des fossiles (intacts).


Les rectangles sur les branches de la phylogénie sont des caractères morphologiques, leur couleur indiquant l'ordre de la perte (blanc, précoce; noir, tardif). Au fur et à mesure de la décomposition des organismes, leur position phylogénétique recule dans l'arbre (diverge plus précocement pour être précis). C'est bien la preuve qu'un biais taphonomique existe pour l'interprétation et l'identification de fossiles de chordés. En gros, rien ne nous confirme que Pikaia ou un autre bestiau ne possèdaient pas les innovations évolutives d'une lamproie qui aurait bien pourri...

Petit résumé en vidéo:

Traduction:
Ceci est une lamproie décédée, pourrissement progressivement durant 200 jours dans une boite remplie d’eau de mer. La lamproie est un cousin proche des vertébrés à mâchoires (les gnathostomes). Cela fait partie d’une expérience peu ragoutante en cours dans une équipe de recherche de l’université de Leicester, UK. Ils voulaient savoir comment les animaux pourrissent car les paléontologues s’appuient sur les dépouilles animales pour tirer des conclusions évolutives. L’équipe a trouvé que les tissus mous de ces lamproies disparaissent avant les structures plus cartilagineuses de leurs branchies, bouche et queue. Et pour pourrir la situation, ce sont les parties qui partent en premier qui sont les plus informatives pour étudier l’évolution des vertébrés. Cela signifie que les fossiles ne sont probablement pas représentatifs de ce à quoi ressemblait la créature vivante. Et il s’agit d’un problème pour placer les espèces dans les arbres évolutifs. L’équipe affirme que ce biais signifie qu’il faut reconsidérer de nombreuses conclusions à propos de l’évolution primitive des vertébrés.

Même si le sujet me passionne et que je ne me lasse pas du coup dans la fourmilière qu’a fourni Mark Purnell, il faut bien avouer que sa présentation manquait de nouvelles perspectives (on nous a servi du réchauffé comme on dit entre chercheurs). Nous avons eu tout de même droit à quelques perspectives et directions de recherches actuelles avec notamment de nombreux paramètres à tester comme la taille des spécimens, le substrat rocheux et les minéraux sur lesquels va s’effectuer la décomposition, mais aussi une grosse question: s’agit-il d’un phénomène généralisable à d’autres lignées animales? Pour tester cette dernière hypothèse, ils ont par exemple pourri une espèce d’annélide polychète marin (moi qui avait des remords à les découper…):

Décomposition d'annélide polychète

Malheureusement, il s’agit encore de travaux préliminaires et d’une ampleur assez vertigineuses: tant de paramètres à tester pour finalement jouer les rabats-joie aux congrès de paléontologie…

Il y a eu 7 autres présentations dans la journées, certaines intéressantes, d’autres beaucoup moins, mais c’est celle de Mark Purnell qui m’a plue le plus. J’essaierai éventuellement de parler des autres travaux des participants, surtout si je les croise lors du véritable colloque de l’EED qui commence tout de suite, à la suite de ce meeting satellite dont je retiendrai surtout ceci: pour un animal qui au final ne ressemble qu’à un filet d’anchois décapité, Amphioxus est un modèle porteur de nombreuses recherches fascinantes.
Amphioxus


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