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Bagan: la mer de pagodes au lever de soleil

Publié le 28 juillet 2014 par Aurélien
Cet article est l'entrée 4 / 6 du carnet BirmanieBagan ou la folie du Roi convertiBagan est de ces lieux qui ne s’appartiennent plus. Comme Pétra, comme le Mont Athos, rien ne m’avait préparé à cet éblouissement.J’avais lu ces récits à la frontière de l’histoire et de la légende, frontière mouvante… En 1057, ce moine que le roi des Môn Manuha envoie convertir son voisin, Anawratha; et le succès terrible de cette conversion, puisqu’Anawratha exige une copie du canon bouddhiste Theravada, et, au refus de Manuha, l’attaque, le réduit en esclavage et emporte avec lui toutes les reliques et tous les moines et artisans de la capitale Môn: 30 000 personnes sont déportées jusqu’au village de Bagan, blotti dans un méandre de l’Irrawaddy. Dans les quatre siècles qui suivent, les rois birmans font couler l’or et les pierres précieuses sur Bagan et emploient leur fabuleuse richesse à édifier des milliers de pagodes pour s’acheter une meilleure vie future.L’histoire hésite quant aux raisons qui ont conduit le site à l’abandon; peut-être l’invasion de Kubilay Khan, petit fils de Gengis et conquérant de Pékin, qu’attirent irrésistiblement les trésors du roi birman. Du XIVe au XXe siècle, les milliers de pagodes sont laissées à la nature. La brique prend les rides du temps; la poussière voile les fresques; la mousson érode les sculptures. A l’entour, les champs de blés fleurissent dans la plaine à l’abandon; les troupeaux de brebis confondent l’ombrage des arbres avec celui des temples…Sur cet arrière-fonds de légendes et d’histoire, je revois également une de ces images-emblèmes du tourisme en Birmanie (avec le pont U-Thein et les pêcheurs du lac Inle, comme j’en parlerai plus tard): un soleil orangé qui émerge d’un forêt de stupas nappés dans la brume du matin. Quelques montgolfières saupoudrent le ciel silencieux.Toutes ces images en tête, dès que je débarque du ferry la poussière me coupe le souffle, les coolies m’agressent, la circulation tambourine dans mon crâne. Je me lave de toute cette saleté, je m’effondre dans des draps frais, et aussitôt, sous le souffle frais du ventilateur, je sombre dans le sommeil.A vélo entre les templesCinq heures – comme la veille et le lendemain – mon réveil sonne. Je sors dans la rue assoupie et je loue un vélo. Cacophonie solitaire dans la gargote voisine – en mode opéra chinois. Je prends la direction opposée et je m’enfonce dans la nuit.Pendant la demi-heure de trajet qui m’amène à “Old Bagan”, je découvre parfois, en bord de route, une masse sombre dont le contour se découpe sur le ciel constellé: géants tutélaires, assoupis, millénaires. Certains se trahissent par un stupa qui surnage à peine d’une mer d’arbres; d’autres, vaisseaux échoués à la voile surhumaine, se toisent avec une noble sérénité.Je bifurque dans des chemins de terre qui ne cessent d’obliquer, chemins de sable plutôt, dans lesquels mes roues s’enlisent à tout instant. M’étant perdu dix fois, je parque mon vélo devant un temple, je me déchausse et je monte les degrés.Un escalier raide, aux marches froides et inégales, presque dissimulé dans l’une des parois, me mène à la terrasse qui fait le tour des flèches du temple. Chacune d’entre elles porte une parure d’or et de joyaux et se termine par une ombrelle d’or qui oscille au vent léger.La forêt de deux mille pagodes et celle, jumelle, des arbres centenaires sont noyées d’une brume basse, comme englués dans une toile d’araignée légère comme l’air. Un concert d’oiseaux vole d’une pagode à l’autre. A l’Est, un rougeoiement se diffuse, avec une lenteur et une précaution suprêmes.Comment donner la mesure des instants qui suivirent? De cet embrasement du ciel sans nuages, des milliers de clochetons émergeant de la brume, des mouvements fantomatiques des nappes au ras du sol, des figures muettes – moines, brebis – qui se cachent et apparaissent? Pas une âme en vue, sinon, pas un touriste, pas un vendeur, comme si l’air trop pur se refusait à les produire. Seul assis sur un mur, je me perds dans le ballet des fils de brume, équilibristes entre ciel et terre, nuées de sorcières ou de fantômes au pied des stupas millénaires.Quand le ciel ne peut pas rougir plus, le disque sanguin du soleil paraît devant son peuple de pagodes figées, respectueuses, prosternées, interdites dans leur lacis de soie.Seulement bien plus tard, quand les façades d’ombre et de lumière se découpent nettement, que l’air se réchauffe, que le soleil éblouit enfin, seulement alors les pagodes se libèrent de l’entrelacs de brume, et leur brique rouge rayonne comme un four, et leur royauté par délégation se révèle.Alors le règne des brumes a pris fin, et lui succède celui des briques brûlantes, des sanctuaires frais, de la poussière et des hommes.Et le coucher de soleil...Deuxième heure de paix: celle précédent le coucher de soleil – rayons très inclinés, blés flamboyants, troupeaux de moutons. Les jolies filles de Bagan Moutons des prés Bouddha tranquille Gamin d’un village voisin Conseils pratiquesHébergement: Logez soit à Nyaung-Oo (un peu Far West, mais pratique, avec l’embarcadère du ferry, la gare de bus et quelques restaus), soit à Old Bagan si vous avez les moyens. Réservez… J’étais à l’Eden Hotel II (on n’en dit rien…).Restaurants: Essayez l’Aroma II (très bon indien) et le Black Bamboo (occidentalo-birman) à Nyaung-Oo, the Moon à Old Bagan et le Santhidar si vous voulez rencontrer des Français munis du guide du Routard.A voir: Deux jours suffisent pour sentir le lieu: il y a quelques temples incontournables (Ananda le plus gros, Thatbyinnyu le plus massif, Shwesandaw la plus Maya…), dont certains avec des fresques admirables  (et des Bouddhas bien plus compatibles avec nos goûts…). Pour le lever du soleil, essayez Shwegugyi ou Shwesandaw dans Old Bagan (j’ai préféré Shweguyi car j’étais seul); pour le coucher de soleil il y a plus de monde; vous pouvez aller à Shwesandaw mais c’est très peuplé, ou bien Pyathada Paya, plus spacieuse et à l’architecture carrée originale (dans la partie Est-Sud-Est de Bagan). Le lever de soleil est chaudement recommandé, car tous les temples sont nappés dans la brume; ça vaut bien le lever douloureux!Déplacements: je suis arrivé par le ferry de Mandalay en fin d’après-midi et reparti vers Kalaw (près du lac Inle) par bus (très tôt le matin, vers 6h).Vous pouvez accéder aux articles contigus de ce carnet:<< Siestes birmanes: faites la sieste, pas la guerre"><< Siestes birmanes: faites la sieste, pas la guerre>">Le pont U-Thein: un kilomètre de teck >>

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