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La rémunération du livret A au plus bas depuis... 1818 !

Publié le 31 juillet 2014 par Blanchemanche
31 JUILLET 2014 |  PAR LAURENT MAUDUITLa rémunération du livret A au plus bas depuis... 1818 !
La rémunération du livret A va tomber à seulement 1 % à compter du 1er août. Depuis 1818, date de la création du premier livret d'épargne, jamais un gouvernement n'avait osé fixer un taux aussi faible. Les dirigeants socialistes s'échinent à devancer les désirs des banques.
Placement préféré des Français et notamment des plus modestes, le livret A est un symbole, à lui seul, des reniements de François Hollande et des mauvaises manières dont il a fait preuve à leur égard. D’abord, la promesse qu’il avait faite durant sa campagne présidentielle d’un doublement du plafond des dépôts autorisés n’a été que partiellement honorée. Ensuite, et contre toute attente, l’argent ainsi collecté a été partiellement détourné au profit des grandes banques privées. Enfin et surtout, le livret A, qui est supposé garantir la rémunération de l’épargne populaire, s’apprête à prendre un nouveau coup : le 1er août prochain, son taux de rémunération va tomber à seulement 1 %, ce qui n’était jamais advenu depuis la création du premier livret qui est son ancêtre, le 22 mai 1818, voici bientôt deux siècles.
Le livret A est en effet au cœur de l’histoire économique française. Comme la Caisse des dépôts en fait le récit sur son site internet, l’établissement a vu le jour en 1816 pour protéger le pays de la dilapidation des deniers publics à laquelle avait donné lieu l’Empire, et il a été placé pour cette raison sous la protection du Parlement. Et c’est deux ans plus tard, en 1818, qu’un premier livret est créé. « Pour faciliter le financement de l’État et l’accès des petits épargnants à la "rente", sont créées à partir de 1818 les Caisses d’épargne et de prévoyance qui seront amenées à s’implanter sur tout le territoire français et à former ainsi un puissant réseau de collecte », peut-on lire sur le site de la CDC. Puis la loi du 31 mars 1837 prévoira « la centralisation des fonds des Caisses d’épargne à la Caisse des dépôts qui les emploiera à l’achat de rentes perpétuelles et de bons royaux à terme fixe ou qui les placera sur un compte à vue du Trésor. L’objectif est de mettre en place un véritable écran entre les épargnants et le Trésor ».

Source: Wikipedia, vérifié par MediapartSource: Wikipedia, vérifié par MediapartLa rémunération du livret A au plus bas depuis... 1818 !La rémunération du livret A au plus bas depuis... 1818 !





Sans précédent, l’abaissement de 1,25 % à 1 % à compter du 1er août 2014 du taux de rémunération du livret A constitue, de fait, un symbole de la politique droitière conduite par François Hollande depuis son accession à l’Élysée en 2012. Aucun gouvernement, fût-il de droite, n’avait osé au cours de ces deux siècles tomber jusqu’à ce palier et malmener le livret A qui est donc un véritable monument national. À cela il y a, certes, une explication. L’inflation est, elle-même, à un point historiquement très bas – ce qui n’est d’ailleurs guère rassurant. Selon les dernières statistiques de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la hausse des prix a, en effet, été nulle en juin (0 %) et a atteint un point bas à seulement + 0,5 % sur les douze derniers mois. En clair, de fortes tendances déflationnistes pèsent sur l’économie française, qui anémient sa croissance et pèsent aussi fortement sur les prix.
Le gouvernement cherche à minimiser l’importance de cette déflation, mais en tire au moins argument pour justifier l’abaissement à 1 %, le 1er août, du taux de rémunération du livret A. Il fait même valoir que l’application stricte de la formule d’indexation, qui repose sur l’évolution moyenne des prix et des taux d’intérêt à trois mois, aurait pu lui permettre de donner son feu vert à une baisse du taux de rémunération jusqu’à 0,5 %. En clair, le choix d’un taux à 1 % serait même une largesse.
Ces arguties ne font pourtant pas illusion. Car le gouvernement socialiste franchit indéniablement une étape qu’aucun gouvernement de droite n’avait jusque-là explorée. Et il le fait alors que le pouvoir d’achat des Français a connu en 2012 et 2013 – et dans une moindre mesure en 2014 – une baisse sans précédent depuis 1984. Le livret A aurait donc pu être utilisé – comme le Smic ou une réforme fiscale redistributive – comme l’un des rares leviers de politique publique permettant d’amortir le choc subi par les ménages les plus modestes. Mais le gouvernement socialiste a donc décidé de n’en rien faire.
Et ce n’est pas le seul arbitrage contestable fait par le gouvernement depuis 2012. Dans le cas du livret A, une autre disposition prend une résonance encore plus forte. Pour rémunérer au mieux l’épargne populaire et pour que, grâce à cet argent ainsi collecté, le logement social dispose de financements encore plus abondants, François Hollande avait fait une promesse choc pendant sa campagne présidentielle : il avait pris l’engagement de doubler les sommes pouvant être déposées sur un livret A. Dans ses « soixante engagements », la disposition était explicitement prévue par la 22eproposition : « J’agirai pour que soient construits au cours du quinquennat 2,5 millions de logements intermédiaires, sociaux et étudiants, soit 300 000 de plus que lors du quinquennat précédent, dont 150 000 logements très sociaux, grâce au doublement du plafond du livret A. » Il était donc prévu que le plafond de dépôts sur le livret A passe à terme de 15 300 euros à 30 600 euros. Les socialistes avaient alors fait valoir que cette hausse était d'autant plus justifiée que le plafond était resté gelé très longtemps à 15 300 et que la simple prise en compte de l'inflation aurait justifié qu'il soit mécaniquement réévalué d'au moins 40 %.
Or, on sait ce qu’il en est finalement advenu : la promesse a été reniée par deux fois. D’abord, le plafond du livret A est passé de 15 300 à 19 125 euros au 1eroctobre 2012. Puis il a été relevé à 22 950 euros au 1erjanvier 2013. Mais depuis, plus rien ! Le gouvernement a clairement fait comprendre qu’il n’y aurait pas de relèvement complémentaire et qu’en somme la promesse de François Hollande ne serait pas honorée.
Mais il y a plus grave que cela. Bafouant aussi le plus célèbre de ses engagements – « mon adversaire, c’est la finance ! » – François Hollande a accepté que les nouvelles sommes collectées grâce au relèvement du plafond soient partiellement soustraites à leur destination initiale, à savoir le financement du logement social, pour être apportées aux banques privées. C’est ainsi qu’il y a un an, le 30 juillet 2013 pour être précis, un décret a été pris, modifiant les règles habituelles de centralisation de la collecte du livret A auprès de la Caisse des dépôts et consignations, et autorisant que 30 milliards d’euros soient apportés aux banques (lire Livret A : le fric-frac de l’été). Ces 30 milliards d’euros ont donc été apportés aux banques, et nul ne sait l’usage qu’elles en ont fait. Même si les banques prétendent périodiquement que cette manne leur a servi à financer l’économie française et à concéder des prêts aux entreprises qui en avaient besoin, l’opacité du système bancaire français permet de ne pas prendre ces belles paroles pour… argent comptant !
La privatisation du livret A au profit des banques
Et en fait, toute la clef de l’énigme est ici : depuis le début de l’histoire, ce sont les banques qui sont à la manœuvre et commandent. Ce sont elles qui ont tout fait pour mettre la main sur un magot formidable qui leur échappait.
Cette histoire de reprise en main de l’épargne réglementée a, certes, commencé bien avant 2012 ; et les dirigeants socialistes ne sont pas les seuls responsables de ce gâchis. Pendant de longues années, le système français, qui a donc été façonné au XIXe siècle, marchait pourtant de manière exemplaire. La Caisse des dépôts (CDC), qui assurait la centralisation de la collecte du Livret A et s’en servait pour financer le logement social, était ainsi l’actionnaire de référence des Caisses d’épargne qui, elles, disposaient d’un monopole de distribution du livret A (avec La Poste ; et le Crédit mutuel pour le Livret bleu). L’alliance entre la CDC et les Caisses d’épargne permettaient donc de garantir deux missions conjointes d’intérêt général : la rémunération de l’épargne populaire et le financement du logement social.
Mais on sait ce qu’il en est advenu. Par coups de boutoir successifs, les grandes banques privées sont parvenues à détruire ce système très vertueux d’économie à vocation sociale. D’abord, les Caisses d’épargne ont violé en 2006 leur pacte d’actionnaires avec la CDC et se sont gorgées de produits hautement toxiques sur les marchés américains, avec au bout de cette dérive folle une crise gravissime dont la banque ne s’est jamais relevée. Ce qui a permis à François Pérol, l’ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy, de la marier avec les Banques populaires, pour fonder BPCE, et d'en prendre la présidence dans des conditions tourmentées qui lui ont valu une mise en examen pour prise illégale d’intérêt (on peut consulter ici nos très nombreuses enquêtes et révélations sur l'affaire Pérol).
Et dans le même temps, les banques ont obtenu, avec l’aide de Bruxelles, la fin du monopole de distribution de ces produits d’épargne réglementée. En somme, c’est à une privatisation progressive du livret A que l'on a assisté, pour le plus grand profit des banques privées.
Quand François Hollande accède à l’Élysée en 2012, l’essentiel de la déréglementation est donc déjà réalisé. Il avait ainsi devant lui un choix assez simple : soit accepter cette politique néolibérale ; soit s’y opposer, en reconstruisant le système qui venait tout juste d’être détruit, éventuellement en procédant à la nationalisation de BPCE.
Comme souvent, François Hollande a hésité et a d’abord pris des chemins de traverse. C’est ainsi qu’il a sorti de sa besace pendant la campagne présidentielle cette proposition un peu démagogique et, en vérité, assez mal construite, d’un doublement du plafond du livret A, dont les épargnants modestes n’avaient en vérité pas grand-chose à attendre (les Français qui peuvent épargner 30 600 euros ne sont pas les plus modestes !), sauf si le financement du logement social devenait plus abondant. Mais quelle était l’utilité d’un doublement du plafond, si dans le même temps aucune garantie n’était donnée sur l’usage des fonds collectés ? Quel en était l’intérêt si l'on n’en revenait pas, d’une manière ou d’une autre, à un système de contrôle public des sommes collectées ? Dans les turbulences de la campagne, il faut bien dire que pas grand monde n’a pris garde à ces subtilités. Et François Hollande est parvenu à ses fins : sa proposition a été perçue comme une réforme clairement ancrée à gauche.
Ce sont donc ces ambiguïtés qui apparaissent aujourd’hui en plein jour : François Hollande n’est plus l’adversaire de la finance mais son zélé serviteur ; et la grande réforme de gauche annoncée sert désormais à apporter des liquidités… aux banques privées ! Assez logiquement, la rémunération de plus en plus faible du livret A fait l'affaire des banques, qui peuvent orienter leurs clients vers des placements plus rémunérateurs pour elles. À preuve, comme le montre le tableau ci-dessous, la collecte sur le Livret A a tendance à baisser :

   (Cliquer sur le tableau pour l'agrandir)
La rémunération du livret A au plus bas depuis... 1818 !

L’épilogue de cette histoire est pitoyable mais prévisible. Car il existe désormais une totale porosité entre les milieux bancaires et les sommets de l’État, que Mediapart a depuis longtemps minutieusement documentée (lire en particulier L’indécent chassé-croisé entre Bank of America, Quand les banquiers infiltrent les sommets de l’État, ou encore Le plan de carrière emblématique d’une oligarque de Bercy). Et dans ce système totalement poreux, ce sont les grandes banques qui commandent – et beaucoup de jeunes hauts fonctionnaires qui travaillent au Trésor acceptent cette soumission car ils savent que ces mêmes banques seront sans doute très vite… leur employeur.
Sauf à la Caisse des dépôts, le vieux système de l’épargne réglementée n’a donc dans les sommets de l’État que des ennemis. La direction du Trésor a pris fait et cause pour les banques privées depuis très longtemps – dans ce dossier comme dans tous les autres. Et il en va de même pour les hiérarques de la Banque de France, qui défendent avec zèle les intérêts privés des banques et qui ne se soucient plus guère de l'intérêt général.
Allez vous étonner ensuite que le livret A soit en train de rendre l'âme et qu’il profite d’un taux de rémunération historiquement bas, sans précédent depuis 1818. Comme le Smic ou l’ISF, c’est une survivance du passé que beaucoup aimeraient jeter par-dessus bord. Oublieux de ses promesses de campagne, c’est ce à quoi s’emploie aujourd’hui avec application François Hollande…

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