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À la chasse aux comètes

Publié le 05 août 2014 par Pyxmalion @pyxmalion

Depuis des millénaires, les comètes nous fascinent comme en témoignent les nombreuses traces archéologiques retrouvées de par le monde. En attendant la rencontre très attendue de la sonde spatiale Rosetta avec la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko prévue le 6 août, retour sur ces astres observés de plus en plus près.

Depuis l’antiquité, on désigne ces corps célestes qui traversent nos nuits étoilées, Asteres Komêtês en référence, bien sûr, à leurs cheveux étincelants qui ont toujours fasciné. En Chine, dans un almanach (textes de Mawangdui) transposant des centaines d’observations, on parlait volontiers d’étoile-balais ou étoile-buisson. À l’instar d’autres civilisations, ces étranges visiteurs du soir étaient par ailleurs interprétés au pays du Milieu comme des signes avant-coureurs de catastrophes… Il y aussi de célèbres exceptions à la règle : notamment les Romains qui virent dans la « grande comète » apparue en l’an 44 avant Jésus-Christ, le signe de la divinisation du dictateur Jules César assassiné quelques jours auparavant… Idem, en 1066, avec la bataille de Hastings illustrée sur la fameuse tapisserie de Bayeux. Pour les troupes de Guillaume le Conquérant, le phénomène visible en avril de cette année (il s’agissait, en l’occurrence, de la comète de Halley), était précurseur de leur victoire… Malgré tout, l’étiquette maléfique colla longtemps aux comètes. Au grand désespoir des savants de la Renaissance et des temps modernes qui s’intéressaient à leur nature. En 1773, découvrant la population affolée, Voltaire s’indignait : « Tout Paris, en dernier lieu, était en alarmes, il s’était persuadé qu’une comète viendrait dissoudre notre globe le 20 ou 21 mai ». Et quelle ne fut pas la stupeur de l’astronome Camille Flammarion, près de deux siècles plus tard, qui — malgré les brillants travaux d’Halley et Newton et un 19e siècle jalonné de découvertes scientifiques importantes —, assistait à l’effroi de ses concitoyens. Ceux-ci s’imaginaient, en effet, périr empoisonnés par la célèbre comète de Halley (1P/Halley), à l’occasion de son passage prévu en mai 1910, entre la Terre et le Soleil. L’astronome était loin d’imaginé semblables réactions lorsque, quelques années plus tôt, il observa « la présence de gaz cyanogène » dans l’atmosphère et la queue de la comète. Bien sûr, les grandes inondations que connut la capitale française cette même année furent imputées au phénomène.
Pas sûr qu’aujourd’hui encore, les superstitions du même type se soient définitivement tues. Notamment, au su des innombrables fausses rumeurs, colportées sur internet, qui entourent ces astres.

Sur les traces de nos origines

Après avoir décrit, au cours du XVIIIe siècle, l’orbite des comètes et prédit avec succès leurs retours, les astronomes se sont davantage intéressés à leur nature et origine. Ainsi, dans les pas d’Emmanuel Kant, Pierre-Simon Laplace reprit en 1805 l’idée d’un effondrement gravitationnel d’une nébuleuse primitive pour expliquer la formation du Soleil et des planètes auxquelles elles étaient apparentées. Les courtes périodes orbitales observées suggérèrent qu’elles appartenaient au système solaire et non au milieu interstellaire.
C’est vers 1872 que fut établie la relation entre les pluies d’étoiles filantes (essaim météoritique) et ces astres chevelus ponctuels. L’Histoire nous enseigne qu’au début du XIXe siècle, la comète de Biela, dont l’orbite était de 7 ans, fut observée plusieurs fois jusqu’à sa division en deux corpuscules en 1846. À son passage de 1852, ceux-ci apparurent fragmentés et enfin, vingt ans plus tard, à la date anniversaire de sa visite, une pluie de météores lui succéda !

comète de biela fragments

Dessinnée par Otto Struve, les fragments de la comète de Biela lors de son passage de 1846

Avec l’arrivée des grandes lunettes et télescopes, de la photographie et de la spectroscopie, les astronomes s’employèrent à scruter la physionomie des comètes, leur noyau, la coma (atmosphère), les queues. Giovanni Donati fut le premier, en 1858, à livrer des clichés et des études physico-chimiques systématiques. Au cours des décennies suivantes, comme on l’a évoqué plus haut, des traces de carbone diatomique, de cyanure et autres molécules furent détectées dans leurs sillages. Des données amassées qui permirent aux chercheurs de la seconde moitié du XXe siècle de dresser les portraits les plus complets de ces corps constitués de glaces et de poussières… Des « boules de neige sales » pour reprendre l’expression émise en 1950 par le professeur Fred Whipple, enseignant-chercheur à Harvard. Son modèle, confirmé ensuite par l’observation, suggère des corps de petite taille, constitués de glace (essentiellement de l’eau, de l’ammoniac, du méthane et du dioxyde de carbone) et de poussières. Parallèlement, son confrère Johannes Oort proposait qu’elles puissent provenir, en partie, d’un immense « réservoir de comètes » qu’il situe aux confins du système solaire. Des centaines de millions de comètes potentielles, composées des éléments témoins de la naissance de notre étoile et parfois désorbitées… En 1951, Gerard Kuiper proposera quant à lui, l’existence d’une ceinture (qui porte désormais son nom) au-delà l’orbite de Neptune, à l’origine des éléments à courte période.

A la poursuite des comètes

Toujours fascinée par ces astres glacés, lesquels sont soupçonnés de détenir quelques clés sur les origines de la vie — et des océans — sur Terre, notre espèce qui dispose depuis les années 1950, de moyens technologiques toujours plus performants pour explorer son environnement cosmique, commence à envisager de les approcher voire même de les aborder. En 1985, l’agence spatiale américaine est la première à se lancer dans l’aventure avec la mission ICE (International Cometary Explorer) laquelle poursuivra 21P/Giacobini-Zinner à seulement 7 800 km de distance. Mais la grande année pour ce type de rencontres est 1986, car elle marque le grand retour dans notre voisinage de la plus célèbre de toutes les comètes : Halley (elle revient tous les 76 ans). A cette occasion, de nombreuses sondes spatiales sont alors programmées comme les Soviétiques Vega-1 et Vega-2 (elles s’aventureront à quelque 8 900 km et 8 000 km de sa surface), les Japonaises Sakigake et Suisei. Sans oublier Giotto, la plus ambitieuse et prometteuse de toutes. Conçue par l’agence spatiale européenne (Esa), la sonde spatiale de 960 kg frôlera l’imposant noyau (15 x 7,2 km) de la mythique comète observée depuis des millénaires à moins de 600 km (12 000 impacts furent alors enregistrés). Quelques années plus tard, en 1992, les scientifiques remirent cela en conduisant le vaisseau à moins de 200 km de la surface de 26P/Grigg-Skjellerup. Les astronomes furent surpris de découvrir dans les deux cas, des noyaux beaucoup plus sombres qu’ils ne l’avaient prévu.

Après cet épisode intense, ingénieurs et scientifiques veulent aller encore plus loin et plus profond, en explorant désormais les entrailles de ces corps célestes, en touchant et « goûtant » leurs surfaces… Lancée en 1998, Deep Space 1 — chargée notamment de tester la propulsion ionique — atteignit la comète 19P/Borelly (8 x 4 km) en 2001. Elle transmettra des images d’une résolution alors inégalée.
Le début du XXIe siècle verra ensuite s’envoler la mission Stardust. Cette fois, il est question de recueillir, dans le sillage de la comète 81P/Wild (ou Wild 2), quelques grains essaimés puis de les renvoyer intacts vers la Terre. Arrivés en 2006, les échantillons récoltés se sont montrés très délicats à analyser (7 particules débusquées dans l’aérogel) et n’ont pas encore livré tous leurs secrets. En 2005, la bien nommée Deep Impact (« impact profond ») lança un impacteur dans le sol de 9P/Tempel — également désignée Tempel 1 — afin d’étudier le nuage de poussière qui s’en est dégagé. Entretemps rebaptisée Epoxi, la sonde spatiale se rendit, en 2010, auprès de 103P/Hartley ou Hartley 2. Signalons que Stardust bénéficia aussi d’une extension de mission, devenant, en 2011, Stardust-Next. La cible choisie : la comète 9P/Tempel visitée quelques années auparavant par son homologue. Les clichés transmis montrèrent les transformations du noyau, le resurfaçage et des détails du cratère apparus 6 ans avant.

comète de rosetta à 300 km

Portrait de 67P/Churyumov-Gerasimenko pris le 3 août 2014 à une de 300 km du noyau de la comète par la caméra NavCam de Rosetta

La pierre de Rosette

Bien sûr les comètes ne nous ont pas encore tout dit. Aussi, pour tenter de décrypter les secrets qu’elles détiennent dans leur masse glacée, les chercheurs ont mis au point un engin en mesure de survoler de très près 67P/Churyumov-Gerasimenko, à une distance inférieure à quelques dizaines de kilomètres. Il est prévu aussi de déposer un atterrisseur sur ses flancs. Son nom ? Rosetta, emprunté à la fameuse pierre de Rosette découverte en 1799 sur les rivages du delta du Nil. Cette stèle, rappelons-le, permit la traduction et la compréhension des hiéroglyphes égyptiens. Quant au module Philae qu’elle transporte depuis son départ de la Terre, le 2 mars 2004, il a été baptisé en référence à une île du grand fleuve africain où fut retrouvé un obélisque qui jadis aida au déchiffrement de l’écriture de cette civilisation.

Après un périple de 10 années, la sonde spatiale européenne arrive enfin à destination, prête pour son exploration physique. Un peu moins grande que le Mont-Blanc, 67P/C-G (surnommée aussi « Churry ») s’est révélé sur les images les plus récentes qui nous sont parvenues, un corps double en contact, maculé de taches sombres. Le 6 août, Rosetta s’approchera en douceur pour tenter de s’insérer « en orbite » autour du noyau de quelque 4 km de long. Peu après, l’enquête sur ce corps témoin des origines pourra commencer. La sonde accompagnera la comète à travers le système solaire, au fil de sa progression vers le Soleil (sa période orbitale est de 6,5 ans). Une situation privilégiée et historique qui offrira un point de vue sans précédent sur l’activité de ces astres qui n’ont de cesse de nous surprendre. Enfin, le site où se posera Philae en novembre prochain devrait être déterminé courant septembre.
Une myriade d’événements nous attendent tout au long de ce périple en compagnie de l’un de ces astres chevelus très photogéniques.

Crédit photos : ESA.


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