« Nous attendons beaucoup de vous, m'a-t-il dit, d'une voix sèche. Vous serez le premier à occuper ce poste de médecin dans notre usine. Jusqu'ici je m'étais toujours opposé à la création d'un service médical. Il a fallu les circonstances que vous connaissez pour que j'y consentisse. »
Partage de la soif est un récit à une voix dans la veine existentialiste, et dont le principal personnage est toujours, ou presque, en décalage avec les autres. Le narrateur se fait embaucher dans une PME en qualité de médecin. Après avoir exercé en cabinet et s'être soigné quelques années dans un sanatorium, son influent beau-père l'a fait descendre de sa montagne !
« Il m'a lancé alors avec une sorte de défi dans le regard qu'il était communiste et qu'il avait fait la guerre contre le fascisme. (...) Un espace temps s'est écoulé. Nous nous sommes observés avec discrétion et j'ai senti qu'aucune hostilité ne flottait entre nous. »
Chaque jour, il quitte la maison spartiate de son enfance pour rejoindre l'usine à vélo. Passionné de littérature, poète à ses heures, le docteur est néanmoins un citoyen épris de justice qui découvre le monde ouvrier et les conditions de travail à l'usine, l'injustice et les inégalités sociales, bien que ses origines familiales soient modestes.
« Je sais que, pour moi, l'anarchie est la tentation de chaque jour. Reste à savoir si ce n'est pas le seul qui me convienne, tout au moins, auquel j'aspire. Mais je ne me fais pas d'illusions, l'anarchie ne peut exister que par périodes car les hommes ont une tendance naturelle à organiser et à mettre partout de l'ordre. C'est ce dont je souffre. »
Au fil du récit qui se situe probablement après la Libération, il se d'amitié avec un réfugié espagnol, fraîchement naturalisé et militant dans l'âme. Il partage également un amour platonique avec la secrétaire du patron. Il est, un peu, le spectateur impuissant de sa propre vie...
« Voyez-vous, mon ami, a-t-il repris, je comprends votre attitude qui est, je le reconnais, généreuse, mais elle suppose des moyens que nous ne possédons pas. L'erreur est de croire que nous sommes riches. Eh bien! nous sommes pau-vres, a-t-il martelé, en détachant chaque syllabe. Vous me demandez d'apporter des améliorations, d'augmenter la puissance des ventilations, de réduire les cadences, que sais-je encore ! (...) Bénéfices ! Bénéfices ! Vous n'avez que ce mot à la bouche. Croyez-vous que nous conserverions nos actionnaires si nous ne distribuions pas de dividendes ? Vous êtes naïf. »
Le malaise qu'il ressent grandit en lui, la médecine l'insupporte. De plus, les ouvriers le suspectent d'être au service du patron, et ce dernier n'apprécie pas de le voir au beau milieu des ouvriers grévistes ou d'aller dans les ateliers... Socialement, il a le cul entre deux chaises, ni prolétaire, ni bourgeois, ni ouvrier, ni cadre zélé du patron.
« Quant à moi, j'étais condamné à vivre dans ce mensonge que l'existence peut toujours être sauvée parce que mon métier, parfois efficace, donc trompeur, était en tout cas indispensable à entretenir l'espérance de ceux qui, comme moi, plaçaient au-dessus de tout le vie qu'ils savaient perdue d'avance. »
A lire.